Brouillard
La traversée de la forêt ne pose aucun problème. L’état de la route et les suspensions usées de sa bagnole lui interdisent de battre des records. De toute façon, cette grand-mère n’est plus une foudre de guerre, à supposer qu’elle ne l’ait jamais été. La vitesse réduite lui permet de regarder les animaux de bois qui s’écartent dans les feux jaunes devant lui, d’apprécier ce moment où les trois forces terrestres dominantes se rencontrent. Homme, Nature et Machines, chacune dans un même lieu.
Lorsque l’orée de la forêt approche, les premières volutes de brume se profilent dans ses phares, David n’y prête pas attention. Mais quand il quitte la protection des arbres, il se retrouve, en quelques mètres devant un mur blanc, implacable. Trente secondes plus tard, il repasse en seconde, il ne voit pas beaucoup plus loin que son capot. Les poteaux électriques qui longent la route lui apparaissent de temps en temps.
Il a beau connaître le trajet par cœur, un sentiment d’angoisse le gagne, une peur irrationnelle de s’être trompé de chemin. Son esprit lui dit qu’il est exactement là ou est censé être, mais ses sens lui renvoient le contraire. Son univers se réduit à ce qu’il peut voir, mais il ne reconnaît rien dans les quelques silhouettes fantomatiques qui bordent la chaussée.
Il n’entend que le ronronnement de sa voiture, familier et rassurant. Aucun bruit, aucune lumière ne perce le mur opaque du brouillard. Son compteur affiche vingt kilomètres par heure, en fait, il indique entre quinze et vingt-cinq kilomètres par heure, tellement l’aiguille tressaute dans son cadre chromé. Le temps s’étire lentement, déréglant encore ses marques.
Lorsque David arrive au premier carrefour, il sait pertinemment qu’il doit bifurquer à gauche. Mais il s’arrête au stop et hésite longuement. Il discerne le fantôme du panneau indicateur devant lui, mais ne parvient pas à le lire. Il avance jusqu’à ce qu’il puisse déchiffrer les lettres peintes.
Qu’il ait eu raison et qu’en effet, c’était bien à gauche qu’il devait tourner ne le rassure qu’à moitié. Il éprouve une curieuse sensation : il sait exactement où il se trouve, mais se sent perdu. Allez ! Il faut continuer, c’est tout droit jusqu’au prochain embranchement. Il regarde la pendule de la voiture, il a encore le temps d’arriver.
C’est peut-être l’effet du rythme lent qu’il a adopté, mais le carrefour tarde à surgir du brouillard. Quand enfin il aperçoit les lampadaires qui bordent le croisement, son souffle se relâche, une tension s’échappe de lui. Il se sermonne, il ne comprend pas du tout son angoisse.
Il s’arrête au stop, en profite pour souffler et se rassurer un peu. Par sa fenêtre ouverte lui parvient un bruit de moteur qui vrombit devant. Il attend, il est désormais sur une route éclairée, dans un endroit familier, il est à l’heure, tout va bien.
Deux phares ronds surgissent dans la brume, ils ralentissent dans le virage, une mini. Pas une de ces sportives modernes et chics, mais une ancienne, un kart avec quatre roues et un volant. Et derrière celui-ci, dans la petite voiture, il reconnaît la belle rousse. Il pense savoir dans quelle direction elle se dirige. Il enclenche la première et se lance à sa poursuite.
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