Chapitre 3

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« Je vois parfois dans le regard d’un cheval, la beauté inhumaine d’un monde avant le passage des Hommes. » - Bartabas

Mon père tente tant bien que mal de procédé à un examen rapide des blessures, mais l’étalon le tient à distance, l’air menaçant à chaque fois qu’il s’approche trop près. Les oreilles plaquées en arrière, il lui montre les postérieurs dès qu’il se sent menacé. Je ne sais pas ce que cet étalon à subit mais cela est loin d’être joyeux…

- Je ne peux rien faire s’il bouge comme ça. Sa blessure juste derrière l’épaule semble vieille, le sang ne provient pas d’ici. Celles sur les jambes ont l’air superficielles, ce qui est rassurant, même s’il faudrait un examen plus complet. Je vais appeler le vétérinaire pour voir ce qu’il nous conseille de faire, je vais aussi prévenir ta mère.

- Tu me diras ce qu’il a dit, en attendant je vais lui préparer une litière confortable sous l’abri avec de l’eau et du foin.

- Je m’en occupe. Je vais lui enlever le licol, je ne voudrais pas qu’il se blesse et puis, ça m’obligera à travailler la confiance avec lui.

- Sacré défi, tu t’en sens capable ?

- Je ne sais pas mais tu vois, j’ai la sensation que je dois l’aider.

- Je te fais confiance Ophélie, fait juste attention à toi. Il sera plus imprévisible qu’un cheval sain mentalement.

Mon père s’éloigne jusqu’à la porte, me laissant de la place pour libérer l’étalon. Je me place sur le côté, approchant doucement mes mains du licol pour le détacher. Il part comme une furie le plus loin possible de moi, trottant rapidement avant de se calmer et de rester immobile dans le fond du rond.

- Ce n’est pas gagné.

J’acquiesce à la phrase de mon père, le rejoignant à l’entrée.

Une fois tous les humains sorti du rond, l’étalon se met à explorer l’endroit, écoutant attentivement tout ce qui se passe autour de lui.

- Je vais le laisser seul le temps de préparer un bon lit pour lui.

- Cela lui fera du bien.

On s’éloigne chacun de notre côté après avoir jeté un dernier coup d’œil à l’étalon. Je me dirige vers le hangar, légèrement à l’écart, où sont stockés le foin et la paille. J’attrape une grosse brouette, une poubelle noire de quatre-vingts litres et repars aussi vite que je suis arrivé en direction de la douche où je croise les derniers cavaliers de l’après-midi en train de doucher leurs chevaux après leur séance.

La plupart de nos clients sont à l’image de nos écuries, simple, mais surtout, ils respectent et aiment nos chevaux. Depuis des années que l’écurie a vu le jour, mes parents se sont efforcés d’éduquer les enfants ainsi que les plus grands aux notions de bases de l’équitation. Le respect et le bien-être sont des conditions fondamentales, c’est pour cette raison que mes parents ont essayés d’adapter au mieux les écuries avec une pâture derrière les boxes, une grande stabule où sont nos shetlands ainsi qu’une écurie de propriétaire avec accès à des paddocks individuels mais avec possibilité d’interaction entre chaque individus. Ce n’est pas parfait mais j’espère que notre façon de fonctionner est un début pour de meilleure chose à l’avenir. Les chevaux passent tous un mois complet dans un grand pré au mois d’août afin d’avoir des vacances, souvent bien mérité.

- Salut Ophélie !

- Coucou les filles !

Je salue Salomé et Carla, deux cavalières avec qui je m’entends bien. Elles douchent respectivement Aslan et Noctali.

Des références de qualité en termes de prénom, toujours.

- Qu’est-ce que tu fais avec tout ça ?

Demande Salomé qui éteint le robinet.

- Je vous raconterai plus tard les filles. J’ai pas mal de boulot qui m’attend et surtout je ne voudrais pas que tout le club soit au courant.

- On ne dira rien promis.

Carla me supplie du regard.

Mais je connais bien les ragots et il est hors de question que l’étalon devienne un objet de foire. Même si cela finira par se savoir, j’aimerai qu’il soit un minimum en confiance avant. Je sais que je peux leur faire confiance mais on ne sait jamais, comme on dit chez nous : « Les souris ont des oreilles. »

Les filles capitulent et s’en vont remettre leurs chevaux dans leur pré pendant que je m’attelle à la tâche de nettoyer cette vieille poubelle à granulé. Je frotte et nettoie la poussière incrusté avant d’attraper le grand tuyau puis la brouette afin de tirer le tout jusqu’au rond où se trouve la jument. En chemin je croise Justine, lui demandant d’allumer l’eau lorsqu’elle reçoit mon appel et de l’éteindre quand je raccroche.

- Coucou mon beau.

Il sursaute, se retournant pour me faire face. Toujours dans le fond du rond, je rentre, le surveillant du regard pendant que j’installe la poubelle sous l’abri. Je place le tuyau et appelle Justine qui allume l’eau. Elle aussi est complètement perdue, en même temps, hormis Paul, je n’ai prévenu personne de ma découverte de l’après-midi. Ce n’est pas très juste mais j’ai le sentiment que c’est le mieux à faire, demain j’expliquerai à Justine en rentrant des cours sauf si mon père le fait avant.

Après avoir rempli l’eau, l’étalon me regarde faire des allers-retours de brouette pour lui faire une litière confortable avec de la paille et du foin pour la nuit. Même s’il y a un peu d’herbe dans la rond, ce n’est pas suffisant. Lorsque je termine mes tâches, la nuit commence à tomber, le soleil laissant tranquillement sa place à la lune.

- Alors, comment va-t-il ?

Accoudé à la barrière, ma mère me retrouve. Avec les cours de la journée, elle n’a pas eu le temps de passer le voir. Mon père n’est pas encore repassé devant, lui aussi, s’occupant des tâches de l’écurie.

- Elle reste ultra méfiante. J’ai passé la fin de journée à faire un endroit confortable et rassurant pour elle mais elle n’a pas bougé du fond du rond. Je n’ai pas vu de crottin non plus, j’espère qu’elle ne va pas faire de colique…

- On va le laisser tranquille pour la nuit. Ton père à appeler le vétérinaire qui devrait passer rapidement. Je vais préparer le dîner, tu viens ?

- J’arrive. Paul et Papa ont fini aux écuries ?

- Ton père est déjà rentré et Paul doit être avec son cheval. Il ne reste plus que toi.

- Tu m’accordes deux minutes ? Je vais lui chercher des carottes.

- Pas plus, demain tu as cours.

- Ne me le rappelle pas s’il te plaît.

Elle m’ébouriffe les cheveux avant de s’éloigner vers la maison. De mon côté, je cours vers le hangar pour attraper deux carottes avant de rentrer dans le rond en passant entre les barreaux de la barrière métallique. Je m’assois contre la porte, m’attelant à casser mes légumes en petits morceaux.

- Je ne t’embête pas longtemps mon beau. Regarde, je t’ai apporté des carottes. Tu en veux ?

Les oreilles pointés dans ma direction, il reste dans le fond, méfiant. Il montre des signes de malnutrition et de mauvais traitement, je devais m’y attendre. Cela ne sera pas simple. Je lui lance doucement un bout, le faisant sursauter, à mi-chemin entre lui et moi. Il ronfle un peu mais démontre de l’intérêt pour ce que je suis en train de faire. Je lui relance un morceau, le faisant souffler doucement.

- Si tu ne veux pas les manger, je les donne à Biscotte.

Je le menace en riant, parlant du shetland devenue notre mascotte.

Je casse les derniers morceaux pour les lancer un peu partout dans le rond, histoire de le faire bouger un peu, avant de me lever pour sortir. Si je ne vais pas dans la maison, ma mère va me tuer, c’est certain.

- A demain mon beau.

Je sors pour rejoindre la maison en courant. J’enlève enfin mes bottes, les laissant sur le palier à l’intérieur avec les autres paires de chaussures. La déco me fait parfois pensée aux maisons américaines qui abritent les cow-boys dans les ranchs. La tapisserie est vieille, cela fait des années que mes parents veulent la changer mais avec le travail à faire aux écuries, ils n’ont jamais pris le temps. Nous avons fini par nous y habituer avec ma sœur jumelle, Charlotte. Elle n’est pas souvent à la maison, en semaine, elle est en internat dans une maison familiale. Charlotte passe un bac pro CGEH en alternance, afin d’être capable de gérer les écuries une fois mes parents à la retraite.

Je n’ai pas voulu faire comme elle, je passe un bac général dans un lycée du coin avec mes amis, je suis aux écuries tous les jours et c’est ce qui me convient. Le moment venu, je sais que je serais celle qui s’occupera des chevaux plus que ma sœur, elle a beau les aimer, son truc, c’est la paperasse. Je suis hyper active et ça, ce n’est pas fait pour moi, quand j’aurai pris en expérience à cheval, je passerai mon BPJEPS afin de donner des cours avec ma mère au début et pour la remplacer après. Enfin, ce n’est que dans plusieurs années mais mes parents tenaient à nous dire ce qui nous attendaient si on décidait de garder les écuries avec Charlotte. Pour nous deux, il était inenvisageable de vendre la propriété. Pour nous, et nos clients, cet endroit, c’est l’équivalent du paradis.

- Ophélie ! On t’attendait.

Mon père râle en faisant un clin d’œil, signe que ma mère risque de ne pas être contente.

J’ai été si longue que ça ?

- Ophélie, tu prends une douche avant qu’on passe à table ?

Je hoche la tête avant de m’exécuter et de traverser le couloir pour rejoindre ma chambre qui est à l’image du reste de la maison. La seule exception, c’est que les murs sont tapissés de flots, de coupes, de photos de concours. La plupart avec Vaillant. Je ne me résoudrais jamais à les enlever, malgré toute la tristesse que je peux ressentir, il est, et restera, pour toujours mon meilleur ami. C’est trop difficile de tirer la page à tant d’années. Je me souviens encore du jour où j’ai vu ce petit poney bai, le premier que mes parents achetaient pour moi.

Ma sœur avait eu le sien l’année précédente, une jolie jument noire, ensemble elles ont évolué en dressage avant d’arrêter et de commencer les spectacles. Les stars des écuries du Chêne. Sa jument coule à présent une retraire paisible dans les hectares de prairies aux abords de la forêt. Charlotte la sort de temps en temps en balade pour continuer de l’entretenir et pour son moral. Avec ses copains, elle vit clairement sa meilleure vie.

J’ai eu un vrai coup de cœur pour Vaillant. Les débuts n’ont pas été simple, il était têtu, très près du sang et possédait un tempérament de guerrier. J’ai plusieurs fois goutée le sable de la carrière et du manège à la suite de ses élans de folie. Malgré tout, Vaillant faisait partie de ses chevaux auquel on s’attache. Après avoir compris comment il fonctionnait, ça été tellement facile, tellement bien. Grâce à lui, j’ai pu participer aux Championnat de France de CSO, où nous avons fini deuxième. La victoire ne faisait pas partie de nos objectifs principaux mais avec le temps j’ai fini par y prendre goût. C’est lui qui m’a porté tout au long de mon début de carrière et qui continuera de le faire même après sa disparition.

Je retourne dans la cuisine en pyjama, mes cheveux blonds attachés en chignon mal fait. Mon père sert le repas, des pâtes au pesto vert, mon péché mignon, pendant que ma mère s’occupe de la viande. Je m’installe à ma place habituelle, près de mon père.

- Alors ma chérie, comment va le cheval ?

- Il va plutôt bien papa. Il a l’air plus calme qu’a son arrivé cela dit.

- C’est une bonne chose, fait remarquer ma mère.

- C’est le premier jour, rien n’est vraiment gagné.

- On verra comment il se comporte d’ici quelques jours. J’ai réussi à téléphoner au vétérinaire, il passe dans la semaine. J’espère qu’il se laissera approcher d’ici là.

- N’y crois pas trop, Denis.

On se regarde, sachant parfaitement que le travail va être long. Les séquelles de maltraitance sont difficiles à corriger mais je crois en lui. On y arrivera.

- Il faudra sûrement déclarer l’étalon à la gendarmerie, il a peut-être été voler.

La remarque de mon père me remet doucement les pieds sur terre, me rappelant que ce cheval n’est pas légalement à moi. Il ne faut pas négliger ce genre de détail, cela pourrait attirer des ennuis à ma famille.

- Oui… Je comprends.

- Bon… Même s’il est possible qu’il soit volé, ce petit ne va pas rester sans prénom. N’est-ce pas ? Ajoute-t-il.

Je souris de toutes mes dents, ayant réfléchis à cela toute la journée.

- Tu as une idée ma chérie ?

La tradition familiale est de laisser les enfants choisir le nom des poulains tous les ans, même si ce cheval n’est pas un poulain et Charlotte étant absente, c’est donc mon tour. C’est vraiment l’une des choses que j’aime le plus faire.

- Alors qu’est-ce que tu attends !

Mon père rigole en me tapant gentiment l’épaule. Je ne réfléchis pas très longtemps avant d’annoncer :

- J’ai décidé de l’appeler, Orion.

Alors que le jour se lève à peine le lendemain matin, je tourne déjà à cent kilomètres heures. Je suis déjà en tenue pour le lycée et j’avale mon petit déjeuné à toute vitesse afin d’avoir le temps d’aller voir Orion avant mon départ. Ma mère râle car je mange trop vite, me faisant lui répondre que je suis pressée. Elle secoue la tête, terminant son café avant de commencer les corvées des écuries.

- On se voit à la sortie des cours ! Je vais rentrer avec Milo et Jade.

- Tu le diras à ton père. Bisous ma puce.

- Bisous maman.

Je sors en trombe, attrapant ma paires de basquette pour les enfiler, manquant de tomber dans la précipitation. Je fonce récupérer deux carottes dans le hangar, courant ensuite vers le rond. Je ralentis une fois à proximité pour ne pas surprendre l’étalon.

- Coucou mon beau.

Il sursaute alors qu’il mangeait son foin. Cette vision me soulage. Il s’alimente correctement, c’est déjà un bon signe. Je m’assois par terre contre la barrière, reproduisant le même jeu que hier alors que je lui parle doucement.

- Comment tu vas ce matin ?

Je lance un morceau de carotte assez près de lui qu’il renifle avant de manger doucement.

- Je n’ai pas beaucoup de temps ce matin mais ce soir, je t’embêterai encore un peu. Il faudra que tu sois sage.

Je lance autre morceau, recommençant le même manège plusieurs fois et il l’a mangé à tous les coups. Cela prendra du temps pour réparer ses traumatismes mais il y arrivera, il me semble très courageux.

Et vaillant.

- Je vais devoir y aller, je te promets que tu auras des carottes ce soir.

Je me lève, sortant pour rejoindre mon père qui doit déjà être dans la voiture à m’attendre, je vais finir par être en retard. Je me retourne une dernière fois, lui disant avec le sourire :

- Au fait, je t’ai trouvé un prénom. Maintenant tu t’appelleras Orion, j’espère que ça te plaît !

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