2.2 Atteindre son but
Je file sans tarder et m'éloigne le plus possible de la ville. Les informations que m'a donné le reproducteur vont m'être très utiles. Il m'a indiqué quelques villages où sa Delta suspecte la présence des rebelles. J'ai enfin un lieu plus précis dans ma quête de liberté. En suivant les petites routes, j'ai encore une semaine de trajet d'après lui.
Ayant eu très peur, je roule une bonne partie de la nuit pour m'assurer être suffisamment loin du village de Marchiennes. Heureusement que j'ai pas trop mal dormi la nuit dernière. Pour une fois, je n'ai pas fait de cauchemars. C'est épuisé, en pleine campagne et dans une maison abandonnée que j'ai découvert par hasard que je me gare.
Enfin au calme, je prends quelques minutes pour observer la carte. J'envisage toutes les routes possibles, de la plus grande et risquée à la plus petite, mais si longue. Entre deux jours et dix jours. Je tiens absolument à ne pas reproduire la même erreur et je veux éviter les lieux habités au maximum. J'opte pour les chemins forestiers, de terre et autres accès pompiers.
Je ne pourrais pas rouler à plus de vingt kilomètres heures de moyenne, mais au moins, je ne croiserais quasiment personne. C'est la solution la plus sûre pour moi. D'ici dix jours, je serais au pied des Ardennes, au bord de la frontière entre l'état de Sophie et celui d'Inès. En plein cœur de la zone d'hébergement des rebelles.
Sur cet espoir, je m'endors paisiblement, à peine dérangé par les rongeurs aux alentours. Le décor est un peu glauque de nuit. À force, je commence à m'y habituer et mon sommeil se fait plus profond chaque nuit. D'autant plus que les rares informations que je glane m'indique que Sophie est toujours à l'hôpital suite à ses blessures. Solène est donc en sécurité pour l'instant.
Durant les jours qui suivent, je passe par des décors splendides. Des plaines céréalières aux champs de betteraves, je découvre des paysages campagnards respirant le calme et le bien-être. En plus, les rares personnes que je croise ne s'intéressent pas à moi tant que je ne m'approche pas trop près de leurs champs ou de leurs bêtes.
Je m'arrête souvent pour manger près de pâture de vaches laitières dont l'attitude placide m'apaise et la rumination me fait bien marrer. Les mouvements de leurs bouches sont assez comiques. Je passe de longues minutes, les yeux dans les yeux à faire des duels de regards avec Pâquerette, Bringé et tout autres surnoms que j'invente pour me distraire. Je gagne souvent, la perdante déclarant forfait d'un meuglement sonore.
Chaque nuit, je me cache soit dans une forêt soit dans une maison abandonnée ou tout autre abri discret que je trouve par hasard. Je ne vais jamais près des habitations. Pour dissimuler ma fuite, j'ai acheté une canne à pêche que je pose près du cours d'eau quand j'en ai un. Si un promeneur vient à passer, il me prendra pour un pêcheur matinal.
J'avance plutôt bien et en partant dès le petit déj englouti, j'atteins mon objectif quotidien vers les cinq heures de l'après-midi, ce qui me laisse entre une et deux heures de soleil pour trouver une cachette. Parfois, quand j'ai de la chance, j'ai mon abri très rapidement et je peux m'offrir le luxe d'un bon décrassage, un brin de toilette plus approfondi ou un peu de cuisine pour améliorer mes repas. Je me couche-tôt pour faire le plein de sommeil.
Douze jours après Marchiennes, me voilà en bas des montagnes. Plus qu'un pont pour franchir le fleuve et ensuite, je file tout droit pour changer d'Etat, sur les terres d'Inès, je me sentirais plus en sécurité même si elle a été arrêtée. Les groupuscules rebelles ont été traités avec bienveillance pour ce que j'en sais.
Vers le milieu de la journée, j'arrive enfin à mon pont, seule partie de grosse route que je m'autorise, espérant être encore couvert par la non-dénonciation de Solène et l'enfermement de Sophie en clinique de soins.
Je suis nerveux. Il y a beaucoup de monde et des bouchons routiers se forment. Cela m'inquiète. Je ne pourrais pas fuir en cas de contrôle. Deux heures plus tard, je n'ai avancé que de dix kilomètres. Je croise des voitures qui font demi-tour et nous font signe. J'entrouvre la fenêtre pour entendre sans être vu.
La conductrice crie aux autres personnes que le pont a été détruit par les rebelles pour empêcher les troupes de Sophie de rentrer dans l'Etat 34. La route est fermée. Nous devons faire demi-tour. Dès que j'entends cela, je m'exécute. Je ne pourrais pas passer et en plus, je risque de me faire prendre par les troupes de Sophie.
Je fonce en sens inverse et regagne en fin de journée mon point de départ. Essoufflé et le cœur battant de panique, je m'écroule au bord de mon petit coin de verdure. J'étais à moins de trente minutes de plusieurs centaines de soldats. Il s'en est fallu d'un cheveu pour que je perde tout. Je tremble à cette idée. J'ai failli me jeter tout droit dans la gueule du loup.
Je veux consulter mes cartes, mais je suis trop fébrile. Je ne suis bon à rien. Je décide d'aller marcher un peu pour me détendre. Le soir est en train de tomber. Je croise un renard portant dans sa gueule une poule. L'objet de son larcin me fait saliver. Je décide de me diriger vers le lieu du crime.
J'entends très vite une basse-cour en effervescence et une fermière qui ronchonne contre cette saleté de renard. Je me cache pour qu'elle ne me voie pas. Elle décide de reporter la réparation du grillage au lendemain matin en raison de la noirceur de la nuit. Je souris, cela m'arrange bien.
Dès qu'elle s'est éloignée, je me rapproche du poulailler en douce. Je prends le seau de grain tout proche et en jette un peu pour calmer les volatiles. Pendant que les gourmandes picorent sans trop de bruit, je rentre et ramasse les quelques œufs qui traînent. Une des poules a été blessée par le renard et boite.
Leste et agile, je m'approche d'elle comme pour la caresser. Habituée au contact humain, elle s'accroupit et s'immobilise, me facilitant la tâche. Je sors mon canif et la tue rapidement et sans douleur. J'ai deux à trois bons repas qui se profilent. Je ressors très vite, tandis que les poules finissent leur encas et m'enfuis en courant le plus vite possible.
Arrivé à mon campement, je plume ma pondeuse et la vide puis la découpe en morceaux. Je la fais cuire comme je peux sur mon feu dans une casserole fermée, avec quelques légumes. Une cuisson vapeur improvisée. L'odeur alléchante fait gargouiller mon estomac.
Une fois mon repas prêt, je l'engloutis à toute vitesse, heureux de manger de la viande fraîche. Je m'auto-discipline pour ne pas tout avaler. Je range précieusement mes restes et mes œufs loin des prédateurs et chapardeurs nocturnes et vais me coucher.
Le lendemain matin, j'ai les idées plus claires et je peux enfin réfléchir calmement à cette situation nouvelle. La radio de la voiture m'indique une forte présence policière dans les environs. Les troupes de Sophie veulent passer de l'autre coté et elles empêchent aussi l'entrée des rebelles de l'Etat 34 à l'Etat 25. La frontière pourtant si proche est extrêmement protégée.
Je n'ai qu'une seule possibilité. Une toute petite route de montagne, escarpée à souhait et sillonnant le long d'une pente abrupte. De nuit et sans phares pour ne pas me faire repérer. C'est très dangereux, surtout que je n'ai pas l'habitude de la montagne et que je ne connais pas les lieux. C'est ma seule possibilité. Partir du bas au début de la nuit, passer le col en altitude et regagner la plaine de l'autre coté en quelques heures, avant le lever du jour.
Avant de repartir, il faut que je patiente le temps que les choses s'apaisent. Près de la frontière, il y a beaucoup de monde et de mouvements de troupes. Il faut que tout ce peuple s'éparpille un peu. Mon abri étant plutôt sympa, je décide de me poser là quelques jours. En plus, je vais pouvoir tester ma canne à pêche sur le cours d'eau tout proche et cela me fera un peu de poisson frais.
Trois jours plus tard, la radio m'informe que les choses se calment. Je dois faire le constat de mes piètres talents de pécheur. Deux poissons tout petits en trois jours. Heureusement, monsieur Renard m'a indiqué gentiment un autre poulailler à piller dans les alentours. J'y ai glané aussi quelques légumes et fruits cueillis à la sauvette dans le potager et le verger. Très peu, pour ne pas me faire remarquer.
Au bord de la nuit, je me rapproche de mon point de départ et patiente jusqu'à ce que le noir de la nuit sans lune tombe. Je me remets en route dès lors, roulant prudemment et sans lumière. J'avance péniblement et j'ai peur de ne pas y arriver. J'ai oublié un détail de taille. En montant en altitude, je rencontre des plaques de verglas qui sans lumière sont invisibles. Plusieurs fois, je manque de valser dans le précipice.
Soudain, en plein virage, la glace me fait continuer tout droit et je vois le vide se rapprocher dangereusement. Après plusieurs coups de volant, je finis ma course sur une placette terreuse, entre deux arbres. Bordel, j'ai failli mourir là. Je tremble comme une feuille, mais je dois continuer.
Je descends de la voiture pour observer les dégâts. Je suis soulagé, la voiture n'a rien. J'entends des bruits et sursaute. Le silence qui suit m'indique qu'il s'agit probablement d'animaux. Je pousse mon véhicule pour le remettre sur la route. Ensuite, en me retournant, je vois les grosses traces de roues et avec une branche cassée, je tente de les effacer, pour ne laisser aucune preuve de mon passage. Bon sang, j'ai eu une telle frousse. Maintenant que l'adrénaline est retombé, et avec le froid de la nuit, j'ai terriblement envie de pisser alors je m'enfonce un peu dans le bois pour soulager ma vessie.
D'un coup, je me sens tiré en arrière par une poigne forte. Une main de grande taille me bâillonne et un type dont je distingue à peine les traits se place en face de moi pour me faire signe de rester silencieux et me menace d'un couteau. Il s'agit sûrement de rebelles. Je dois rester calme pour les rassurer.
Le type m'interroge pour savoir d'où je viens et ce que je fais. Sa méfiance est normale. Je réponds avec honnêteté. Mon calme, mes réponses franches et logiques, et peut être aussi ma bonne tête les rend plus calmes.
Le type qui me ceinturait me relâche. En le regardant, je suis quasi sûr qu'il s'agit du compagnon d'Inès. Celui que j'ai vu à la télé. Aucun doute, je suis avec deux rebelles. Je dois montrer patte blanche pour qu'ils m'acceptent.
Je les laisse vérifier mon véhicule et mes fringues sans broncher. Je vois bien que mon matériel les intéresse, toutefois, je n'ai pas peur de me faire détrousser, ils ont eux aussi des bonnes têtes et je me sens quelque part en sécurité en sachant le mec d'Inès présent. Après leur inspection, tranquillisés, ils reconnaissent être des rebelles et me proposent de les suivre, ce que j'accepte avec joie et soulagement.
Les gars me baladent un bon bout de temps. Ils veulent me paumer pour que je ne sache pas où est leur planque. Ou bien, ils s'assurent que je ne suis pas suivi. Je n'arrive pas à savoir vraiment, tous les deux gardent le silence et restent concentrer sur la route et les alentours. Ils finissent par se diriger vers une grotte après avoir reçu un appel.
Je découvre une cachette immense et fortement peuplé. Je suis si heureux. Je suis enfin chez les rebelles, en sécurité. Il y a tellement de monde que je me sens un peu désorienté. Je réponds de mon mieux à toutes leurs questions. Soudain, alors que je cite le nom de Solène, je les sens se crisper. La tension est palpable dans l'air. Les esprits s'échauffent.
Le mec d'Inès ouvre la bouche et me pose une question étrange. Et là, ce que j'apprends me rend incrédule. Huit jours après mon départ, et tous les jours depuis, il semblerait que Solène envoie des informations importantes sur les troupes de Sophie aux rebelles. Quotidiennement, elle envoie son message pour moi, avec un mot d'amour.
Tout se bouscule dans ma tête. Solène trahit sa mère. Solène me déclare son amour tous les jours. Solène est en quelque sorte entrée dans la rébellion. Je ne sais pas comment elle a fait. J'ai espoir que tout cela signifie qu'elle va bien. Épuisé et heureux, je finis par m'endormir dans un canapé sans manger le repas qu'on me propose.
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