3.2 Etrange Sophie
Daniel est en mission avec Sibylle et Gaël. Ils sont dans l'État 25. Ils doivent s'approcher de la maison de Sophie pour y cacher des caméras avant que le Suprême ne rentre chez elle. Depuis trois mois, sa blessure doit être refermée. Elle ne va pas tarder à revenir dans son antre. Daniel est le seul rebelle à être entré et à connaître cette maison. Sa présence est un atout.
Il n'y a pas de gardes. Les troupes armées sont tous devant chez Solène. Il est à quelques kilomètres d'elle, mais ne peut aller la voir. C'est vraiment anormal cette absence de gardes. Jamais cette demeure n'a été aussi peu protégée. Daniel est méfiant. Cette situation est inquiétante, même avec Sophie blessée.
Ouvrir la porte est facile. Le code d'accès n'a même pas été modifié depuis la dernière fois que Daniel est venu. Il fait entrer ses amis dans la demeure. La maison est meublée avec mauvais goût, les laisses des reproducteurs sont soigneusement attachées sur le mur. Dans un coin, leur enclos. Leurs chaînes encastrées dans le mur près de la porte d'entrée. Elles sont posées au sol, ouvertes.
Sibylle installe deux caméras dans l'entrée. La chambre de Sophie est nickel. Le lit fait avec des draps propres. Sa penderie est à moitié vide. Il manque des vêtements. Le peu qu'il reste est soigneusement plié et rangé, impeccable.
Daniel pose deux caméras pour voir toute la pièce. Son bureau aussi est propre et rangé. Il manque l'ordinateur et des classeurs, mais tout est en ordre. Les trois rebelles installent une caméra pour voir l'ensemble de la pièce et une autre sur la bibliothèque pour voir l'ordinateur lorsque Sophie sera de retour.
Le frigo est allumé et plein. Les placards aussi. Il y a un bouquet de fleurs fraîches sur la table, des fleurs du jardin. Une seule caméra pour surveiller le salon et la cuisine, dans un angle parfait. Les voitures sont garées dans le garage. On dirait que Sophie vient de partir. Un sentiment de malaise envahit les trois rebelles. Tout est trop propre, trop net.
Daniel, Gaël et Sibylle fouillent toutes les pièces et posent les caméras de partout. Ils entrent dans une chambre. Pas de meubles sauf un grand lit avec des draps de soie rose et une méridienne grise. Un crochet pour chaînes à côté. Des fouets alignés sur le mur. Des cannes. Des bâtons électrifiés.
— La chambre de baise, dit laconiquement Gaël.
— J'ai vu une fille se faire violer ici. Sur ordre de Sophie. C'est un monstre. Je serais heureux quand elle sera morte, enrage Daniel.
Tous les trois ne trouvent rien. Ils ont encore des pièces à fouiller. Une par une, ils inspectent et cherchent. Ils ne se sentent pas en sécurité. C'est trop calme. Il leur reste une petite pièce, avec trois lits avec un crochet au sol. Deux couches sont vides.
La troisième contient un homme torse nu qui dort à poings fermés. Il porte de vieilles traces de coups, mais semble être bien traité depuis quelque temps. Il est propre, rasé et coiffé, avec de bons vêtements. Il a ses neuf entraves. Daniel le reconnaît. C'est le troisième reproducteur de Sophie. Elle en avait trois. Le premier s'est enfui peu de temps avant Daniel. Le second, c'est Numéro Un. Le dernier dort devant eux. C'est la chambre des reproducteurs. Là où ils dorment quand ils sont sages.
Daniel pose une caméra en silence, sans réveiller l'homme qui ronfle bruyamment. Ils ressortent à pas feutrés. Ils sont inquiets. Sans savoir pourquoi les trois rebelles sentent que les choses ne sont pas normales. Une maison d'Alpha n'est pas aussi facile à fouiller. Il n'y a aucune sécurité extérieure, aucune alarme intérieure. C'est trop simple. Surtout quand on pense que c'est la demeure de l'investigatrice du coup d'État, l'actuelle Leader mondiale.
Il y a quelqu'un dans la cuisine. Un homme est en train de boire, la porte du frigo grande ouverte. Il referme la porte et se retourne. Les trois rebelles sont face à face. L'homme est inquiet. Daniel lui fait chut du doigt et enlève sa cagoule.
— Numéro Un. C'est moi. Chut. Ne dis rien. N'aie pas peur. On ne te fera pas de mal. Comment va Solène ? Où est Sophie ?
Numéro Un a repris du poids. Il porte une petite barbe entretenue et s'est coupé les cheveux. Daniel est rassuré de le voir en aussi bonne forme. Numéro Un est tranquillisé par la présence de Daniel. Ils se connaissent depuis si longtemps. Ils sont même presque devenus amis depuis les sévices de Sophie, solidaires dans la douleur.
— Bon sang Numéro Deux. Tu m'as fichu la frousse. Solène va bien. On la voit quand elle nous apporte de la nourriture. Sophie, je ne l'ai pas revu depuis qu'elle est partie au conseil. Tout ce que je sais, c'est qu'elle est chez Solène. Ta proprio est venue il y a trois mois. Elle avait le bracelet de Sophie. Solène nous a enlevé nos chaînes. Elle avait de la bouffe et des pansements.
Elle nous a ordonné d'entretenir la maison, car Sophie pouvait revenir d'un jour à l'autre. On doit rester à l'intérieur. Prendre soin de nous et nous faire beaux pour le jour où Sophie reviendra. On n'a pas le droit de sortir plus loin que l'enceinte du jardin. Sinon, on reçoit une décharge. Solène nous amène de la nourriture une fois par semaine. Elle a emmené Louise, la nouvelle Zêta, mais je ne sais pas où.
Ce qu'il dit est étrange. Sophie n'aurait pas permis autant de nourriture. La Vice Suprême aurait laissé les chaînes. Daniel est sûr que quelque chose ne tourne pas rond. Tout ceci ne ressemble pas à cette monstruosité de femme. On dirait plus la façon d'agir de Solène, cependant, jamais elle n'aurait osé désobéir à sa mère. Elle va bien, Numéro Un lui a confirmé. C'est l'essentiel.
— Ne dis à personne qu'on est passé. Même pas à Solène. Je suis dans la rébellion. Je te jure que je reviendrais te chercher.
— Prends ton temps. Pour l'instant, tout va bien. Mais reviens avant que Sophie ne rentre Numéro Deux. Parce que là, je vais morfler grave.
Daniel et Sibylle s'enfuient. Ils ne peuvent pas emmener les reproducteurs. Sans le bracelet de Sophie, il est impossible de leur enlever leurs entraves. Ils seront électrocutés s'ils sortent de la maison. Daniel serre les dents. Il a envie de pleurer de rage. Solène est vivante. Elle a l'air d'aller bien d'après son ami. C'est le principal pour lui. Personne ne les a vus.
Igor surveille les caméras pendant des jours. Les deux reproducteurs mangent, dorment, font le ménage. Rien ne se passe. Personne ne vient. Aucun appel. Aucun livreur. Juste deux reproducteurs qui prennent soin deux. La surveillance ne fournit aucune information aux rebelles.
Une fois, Daniel a vu Solène. Elle est entrée, a posé deux gros sacs de courses. La jolie blonde a fait un salut de la main aux reproducteurs et est ressortie. Sa venue a été brève, le strict minimum pour le ravitaillement des reproducteurs.
Daniel ne cesse de passer les images en boucle. Elle avait l'air de ne pas être blessée. Un peu craintive mais pas terrorisée. Un détail a attiré l'attention de Daniel et d'Igor. Solène portait deux bracelets de gestion à son poignet. Sûrement le sien et celui de Sophie.
Elle est si belle. Daniel caresse l'écran. Il touche les contours de son corps sur l'image. Daniel zoome sur son visage pour le voir en gros plan, et lui caresse la joue comme si elle était près de lui. Elle lui manque. Daniel s'en veut tellement d'être parti. Tous les jours, il culpabilise et regrette son geste avant de se raisonner en se disant qu'il n'avait pas le choix. Sophie l'aurait tué. Solène va bien. Daniel a fait ce qu'il fallait pour sa survie.
Il voudrait lui donner des nouvelles, mais il risquerait de la mettre en danger ou de mettre ses coéquipiers en danger. Daniel se sent tellement impuissant. Il ne sait plus quoi faire.
Rudolf et Gaël se moquent de lui pour lui changer les idées. Les jumeaux font des commentaires graveleux sur Solène, juste pour rendre Daniel furieux et jaloux. Ce sont deux idiots lourdauds. Daniel a fini par le comprendre et ne s'énerve plus à leurs conneries. Il en sourit même. À leur manière, ils sont gentils et amicaux. D'une certaine manière, leurs blagues salaces sont des compliments envers Solène.
En attendant, Daniel scrute chacune des apparitions de Solène sur cet écran ou à la télévision. À chaque fois, il la trouve encore plus belle. Elle remplace Sophie pour tous les événements publics de petite ou de grande importance. Solène inaugure des centres d'éducations ou bien visite des écoles. Elle va voir les jeunes mères pour les féliciter et leur remettre leurs chèques de remerciements. Solène contrôle les usines et participe aux galas de la ville. Elle a le regard triste, mais ne semble pas être battue.
Ce soir, Suprême Sophie va parler. C'est la première apparition de Sophie depuis le coup d'État. Plusieurs rebelles ont tenté de rentrer en se mêlant à l'équipe de tournage. Personne n'a pu. Ni rebelle, ni journaliste, ni soldats. Solène a récupéré caméras, lumières et micros au grand dam de toutes les personnes présentes.
Tout le monde est devant son écran. Ils scrutent à la recherche de la moindre information. Rebelles comme femmes, tous se questionnent et se demandent les raisons de ce si long silence. Sophie apparaît enfin. Elle est richement vêtue et parfaitement maquillée. Elle porte un magnifique châle bariolé autour du cou. On ne voit que son visage et le haut du torse. Elle est assise dans une pièce aux volets fermés. On ne voit pas grand-chose de la pièce, mais Daniel reconnaît le bureau de Solène.
Les traits de Sophie sont tendus, crispés et fatigués. Son regard semble inquiet. Elle observe quelqu'un, qui se trouve dans la pièce avec elle. La personne qui tient la caméra. Sophie commence son discours sur les choses mises en place et les nouvelles entraves. Elle se glorifie que les rebelles qui enfin ne tuent plus. Sophie insiste sur la rébellion qui doit être matée. Les propos sont cohérents avec les événements. Rien de neuf. Des questions arrivent. Quelqu'un les lit.
Daniel reconnaît la voix de Solène. La Suprême répond logiquement avec le reste de son discours et de sa personnalité. Cette apparition rassure les Alphas complices, soulagée de voir leur chef aussi belle et charismatique. La conférence est finie. La caméra s'éteint.
Tout le monde chez les rebelles reste sur sa faim. Pourquoi la Suprême reste enfermée chez sa fille ? Pourquoi elle n'est pas aussi virulente que ses lieutenants dans sa politique de répression? Sophie ne dit pas tout. Elle cache quelque chose. Sa blessure n'était pas si grave que cela. Elle devrait déjà pouvoir sortir. A-t-elle peur des rebelles ? Peur pour sa vie ? Igor et Irène sont perplexes ainsi que Daniel.
Ils la connaissent suffisamment pour savoir qu'elle n'a pas été sincère dans son discours. Elle avait ce petit tic de la lèvre quand elle ment. Quel est son secret ? Pourquoi ne rentre t'elle pas chez elle ? Pourquoi personne à part Solène ne peut accéder à la maison de Solène ? Quelque chose cloche et ils ne savent pas quoi.
Les rebelles sont très inquiets. Daniel pense que Sophie est manipulée par quelqu'un. Son attitude n'était pas naturelle. Il a vu les signes infimes. Sophie avait peur. Or, aussi loin qu'il se rappelle, Daniel n'a jamais vu Sophie avoir peur. Il a juste reconnu des traits faciaux communs à Solène, quand elle montrait une face publique sereine alors qu'elle était terrorisée par sa mère.
Daniel exprime ses soupçons à ses amis. Il a peur pour Solène. Si Sophie est en danger, alors sa jolie blonde l'est aussi. Pourtant, rien n'indique que Sophie est en danger. Rien sauf l'intuition tapie au plus profond du cœur de Daniel.
Personne n'approche à moins de cinq cent mètres de la maison. Ordre de la nouvelle Suprême. Elle ne veut aucune visite, aucun parasite. Elle ne tolère que sa fille et sa Zêta pour la soigner. Des rumeurs courent qu'elle ne veut pas se montrer en position de faiblesse. Cependant, même via la caméra de son ordinateur, personne, y compris ses Deltas ou ses complices, ne l'ont vue.
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