chapitre 22

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Dans la voiture qui me ramène le soir à Florence, je me retrouve comme une enfant qui a fait l’école buissonnière et se souvient des bons moments volés : le coup de téléphone à Adrian, les pâtes aux gamberettis, la balade sur le sentier rocheux battu pas les flots, les plaisanteries d’Elizabeth. Quelle journée agréable finalement !

Adelina est rentrée, elle va mieux et exige un récit complet, autour de l’incontournable verre de whisky.

Dès le lendemain, je rappelle Adrian. Il me lit les paroles de sa chanson, la rencontre entre un chanteur perdu et sa « marraine la fée ». Je lui concéde que c’est « très mignon », en ironisant à part moi : ma foi, marraine, c’est tout ce qu’on mérite à mon âge. Je répète le refrain après lui, nous le fredonnons de concert pour le tester. Soudain, il me dit que je lui ai donné l’élan nécessaire et me plante là. La surprise passée, je préfère qu’il me raccroche quasiment au nez plutôt que d’avoir des remords à l’abandonner en plein désarroi comme la veille.

Toute la matinée, je conserve sa mélodie en tête. Je me surprend à la reproduire sur le piano du salon, d’une main. Un livret de partitions est appuyé sur le pupitre. Je le reconnais pour l’avoir étudié, enfant, avec Paulette. J’en parcours machinalement quelques pages, avant de me laisser entraîner à jouer de mémoire des morceaux plus compliqués. Le piano, c'est comme le vélo... Une inspiration me vient. Je m’enquiers d’une rallonge électrique auprès de Mimi, qui rôde dans la pièce depuis que je me suis mise au piano.

Mimi, c'est une dame dont le bienveillant visage rond, tout en rides et en fossettes, se trouve posé sur un corps dense aux articulations noueuses. Par-dessus une jupe stricte et des chandails sans manches, elle porte un tablier de travail, une singularité dans cet endroit où l’uniforme est de rigueur. Le bruit de ses claquettes résonne à longueur de journées dans l'hôtel particulier. Je ne pourrais définir son rôle auprès d’Adelina : costumière, régisseuse, infirmière, sœur de lait ? J’ignore même son véritable nom.

Je monte chercher l’appareil à cassettes, et le branche le plus près possible du piano. Mimi, qui estime que je l’ai incluse de fait dans mon mystérieux projet, avance une chaise pour elle. Je m'attelle à la tâche, déclinant la mélodie d’Adrian en différents thèmes que j’enregistre au fur et à mesure. Entreprise complexe. Comme je m’agite entre l'instrument et l'appareil, Mimi me fait part de sa volonté de m’aider. Nous nous accordons sur la façon de procéder : sur un geste de la tête, je lui donne le signal et elle appuie simultanément sur les touches « rec » et « play », pendant que je varie les tempos, les octaves, les allitérations...

Une fois satisfaite, je ne perds pas une minute et migre dans le hall. Mon assistante s'empare d'autorité du lecteur de cassettes et me suis, tricotant des guiboles le long des couloirs, la rallonge zigzaguant derrière elle sur le sol en marbre. Nous installons notre matériel. Mimi en mission, le doigt sur la touche « play ». Je refais le numéro d’Adrian. La même dame décroche. Mais cette fois, elle m’informe de l’absence de son fils. Je me présente, m’enquiers de la santé d’Adrian, me souviens qu'elle est italienne et lui demande dans sa langue quand il sera de retour… Mon entreprise de séduction échoue clairement et elle m’éconduit sans ménagement.

Pendant ce temps, Mimi a gardé l’index sur le bouton, dans l’expectative. Le contraste de sa main tavelée et fripée avec les touches lisses de la machine m’émeut. Nous digérons l'échec de notre tentative lorsque la sonnerie retentit. C’est Adrian qui me dit très vite, à voix basse :

— Évelyne ? J’étais sûr qu’elle ferait ça. Je t’appelle demain, quand je serais chez mon grand-père. À dix heures. Tu seras là ? Okay, bye.

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