Chapitre 23 : "EXIT"

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La fuite. Leroy la connaissait bien, par cœur, comme une sœur attachée à sa peau. Elle le menait par le bout du nez, le forçait à fuguer, loin de ce qui l’avait mis en danger. Ce fut plus fort que lui. Ses jambes avaient détalé en première, sans réfléchir à ce qu’il avait laissé derrière.

Il retrouva l’usage de ses pensées seulement en sortant du premier couloir : “Pourquoi tu cours ?” ; “Pourquoi t’es parti ?” ; “Retournes-y !!” ; et en parallèle, ses vieux démons le poussaient à continuer son chemin : “Si elle sait...” ; “Mais elle sait déjà” ; “Elle doit me prendre pour un monstre” ; “Je suis un monstre” ; “Je l’ai tuée “ ; “Je l’ai…”

Face à l’escalier, Leroy freina brutalement sa course. Il se stoppa avant la première marche. Comme s’il venait de reçevoir un coup derrière le crâne, sa vision se troubla. De peur de tomber en avant, déséquilibré, il serra son front dans sa main et se força à reculer jusqu’au mur du hall. Son dos était trempé, des gouttes se frayant un chemin le long de sa nuque et de ses tempes. Il les sécha d’un coup de manche.

“Calme-toi”, se répéta-t-il en boucle, la respiration lourde. “Calme…” , rien n’y faisait. Il se liquéfiait, paradoxalement à la tétanie qui le prenait. Les muscles de son visage se contractaient :

  • À moi ! C’est à moi !

La voix stridente qui venait de loin lui fit planter ses doigts raidis, puis ses ongles, dans la peau de ses joues. Marqué, ses mains migrèrent sur le haut de sa tête. Il la serra fort et se laissa tomber au sol, fesses en première.

Il plissa les yeux :

  • Rends-le moi !

Des larmes se mêlèrent à sa sueur quand il étendit son cou vers le plafond pour récupérer de l’air.

  • Mamaaaaaaan ! Leroy a pris mon jouet !
  • C’est pas vrai ! Tu l’as pris en première...
  • Leroy !! Rends-lui !

À genoux, il se plia en deux et plaça ses paumes au sol. Les gouttes qui se joignèrent à son menton s’y écrasèrent. Sa grimace grandissait. Une main après l’autre, il essaya de se rapprocher de la première marche, sa poitrine, de plus en plus secouée.

N’arriverait-il donc jamais à oublier ? Il avait pourtant fait de son mieux pour effacer ces souvenirs qui lui restaient gravés. Dans des plaintes, Leroy s’obligea à attraper la rampe. Il se releva en laissant ses sanglots sortirent. La voix de sa mère lui giflait les oreilles, son cri déformé par l’épouvante, ainsi que le bruit de sa sœur s’écrasant contre chaque marche.

Il l’avait poussée :

  • Ne vous battez pas les enfants ! avait ordonné sa mère. Allez, donne-lui, exigea-t-elle ensuite.
  • Mais c’est mon nounours… bredouilla Leroy, dépité.
  • Tu peux bien lui prêter !
  • À moi !

Depuis qu’elle était née, Leroy avait dû tout céder à sa petite sœur et notamment, l’attention et l’amour de ses parents. Son cœur d’enfant refusait de lui laisser en plus sa peluche de naissance. Tiré dans tous les sens, le doudou subit un combat féroce. Quand celle-ci lui arracha de force, rigolant espièglement pour célébrer sa victoire, il décida d'effectuer le geste inverse. Ça avait été l’objet de trop.

Encore à l’heure actuelle, son passage à l’acte manquait à l’appel. La rage s’était transformée en un trou noir. De manière contradictoire, il se souvenait de la force avec laquelle il l’avait bousculée. La peluche avait volé. Tout ça, pour un nounours. Sur le moment, ça lui avait fait un bien fou. Il frissonna à cette pensée et laissa échapper un cri étouffé et aigu en déposant un pied tremblant sur la première marche. Les images de sa sœur, à peine âgée de quatre ans, étalée au sol, remontaient à la surface. L’envie de vomir aussi. Sa mère hurlant. Les coups mérités ensuite, tiraillant ses cicatrices. Sa peau le brûlait littéralement. En nage, il se sentit partir, des étoiles venant danser devant ses yeux.

  • Leroy !

La voix de Lysen le poussa à se retourner et à ne pas tomber dans les pommes. Elle l’avait rejoint. Derrière l’affolement, sa frimousse adorable avait disparu. Une fille aussi belle, qui lui portait autant d’attention, c’était dommage de la perdre. Son corps flanchait en arrière. En accourant pour le tirer dans ses bras, Lysen gonfla ses joues lorsqu’il y écrasa son poids. Les mains attachées à son dos, elle fit de son mieux pour le ramener dans le hall, surprise de son lâcher prise. En glissant sa main sur sa nuque, devenue moite, il laissa tomber sa tête contre son épaule.

Lysen avait eu tellement peur. Dans le silence qui se forma, elle écouta sa respiration saccadée devenir plus lente. Sous ses doigts, elle sentit sa peau brûlante et moite. D'abord confrontée à l'incompréhension, elle battit des cils, sensible, puis chercha à croiser son regard. Leroy refusa en détournant le sien. Son simple toucher lui donnait trop d’espérance. L’inverse était réel aussi. Ils espéraient tous les deux que le contact ne soit pas rompu à cause de la gravité de leur dispute.

Sans rien dire, Lysen s’osa à capturer son visage entre ses mains. Il semblait en souffrir, de grosses larmes dévalant ses joues.

  • Non… cafouilla-t-il en se reculant.
  • Non ? demanda-t-elle, la poitrine compressée.
  • Ne me… essaya-t-il de s'en défaire.
  • S’il te plaît, je… je ne veux pas qu'on arrête… craqua-t-elle, telle une enfant. Je ne veux pas que tu me rejettes.

Leroy releva enfin la tête. Il semblait avoir eu une illumination.

  • C'est moi qui… - il leva ses mains pour les approcher doucement de ses épaules où tombait sa chevelure brune - … devrait te dire ça… Et c'est toi qui devrais… me rejeter, fit-il, le regard rond en venant caresser ses mâchoires. C'est toi qui vas partir.
  • Non, rétorqua-t-elle en fronçant les sourcils et en attrapant ses mains.

Il fut surpris lui-même de ne pas avoir sursauté.

  • Je suis là.

La fuite. Leroy la connaissait bien, mais à cet instant précis, l'envie de rester était plus forte que celle de déguerpir. Face à cette fille qu'il avait détestée aux premiers abords, il ne résistait pas. Ses yeux de fouine et son petit nez fouilleur ne lui avaient aucunement inspiré confiance et pourtant… L'envie de se jeter corps et âme dans cette relation était irrésistible. Lysen non plus n’arrivait pas à faire autrement. Sans se poser aucune question, elle l'attrapa rapidement dans ses bras. Lui aussi craqua, pitoyablement. Elle était là. Il la sentait. La touchait. Lysen ne partirait pas. Ses crocs le démangeaient. En attrapant délicatement ses doigts, il passa de son cou à ses lèvres et planta sa bouche sur la sienne.

La manière dont elle y répondit, avec force et sincérité, l'apaisa. Il s'agrippa plus fermement et Lysen se mit sur la pointe des pieds pour le pousser de ses baisers. En récupérant son souffle, elle le regarda droit dans les yeux, de ses jolies prunelles rosées et lui glissa les trois petits mots qu’elle n'avait encore jamais dit à personne, pas même aux membres de sa famille.

***

Dans la chambre de Sky, en attente d’une réponse, Kimi se tortillait les doigts nerveusement. Elle gardait la tête baissée, assise au bord du lit, ses longs cheveux blonds cachant légèrement son visage. À côté, ce dernier l’observait méticuleusement. Il réfléchissait, digérant toutes les informations qu’il venait de recevoir. Quand il remarqua qu’elle se grattait la peau au niveau des pouces, il prit du recul et adopta une posture ouverte. Les mains aplaties derrière lui sur le matelas, il la fixa. Kimi tenait vraiment à son frère, malgré le fait qu’ils n’avaient pas de lien de sang. Il admira la manière dont elle arrivait à exprimer cet amour, ce que lui, n’était jamais arrivé à faire.

Mal à l’aise de ce jeu de regard prolongé, Kimi avait l’impression qu’il fouillait son âme et qu’il arrivait à lire ses plus profondes pensées. L’idée l'effrayait. S’il y avait eu accès, il se serait rendu compte de ses mensonges. Pour son bien, elle avait menti sur la découverte de Leroy, stipulant le hasard, avec ses amis. Il y avait un peu de vrai dans son histoire.

À force de traîner dans les rues, ils avaient fini par prendre conscience qu’un enfant y errait seul. La première fuite de ce dernier les avait poussés à établir un plan pour le retrouver. Ils ne s'étaient pas attendus à le découvrir dans cet état.

Sky avait besoin d’en savoir plus à propos de ce sombre passé :

  • Donc… Il s’est retrouvé à la rue, parce que ses parents le battaient ? Mais combien de temps ? C’est quand même grave et dangereux, rationalisa-t-il.
  • Moins dangereux que chez lui, répondit-elle du tac au tac. Sinon, peu de temps. C’est pour ça qu’il… En fait, non, se reprit-elle. Si aujourd’hui il a ce comportement, c’est à cause de ses parents. Ils ne lui ont pas pardonné.
  • Mais c’était un accident, reprécisa-t-il en recoiffant ses cheveux en arrière.

Kimi haussa les épaules, d’une petite mine. C’était le cas, bien que Leroy s’en mordait encore les doigts et que ses parents avaient fini par lui faire payer.

  • Il m’a expliqué qu’au début il ne s’était rien passé, raconta-t-elle. Qu’ils l’avaient même rassuré sur le fait que c’était un accident, mais ensuite, c’est sa mère qui… Il n’a jamais été trés explicite, mais je sais que c’est elle qui a commencé et que c’est devenu de pire en pire.
  • … Il n’a jamais rien dit, là-dessus ? l’interrogea-t-il après un silence.
  • Hum. Si, mais.... Tu vois, c’est très difficile, tu sais ? De parler de ce genre de choses et avec ses cicatrices… Je n’ai pas vraiment eu besoin de demander. Je sais que… Dossan en sait plus que moi, parce qu’il a pu témoigner devant les tribunaux.
  • Ok. Je vois, acquiesça-t-il.

D’un air drôle, Kimi l’interrogea. Son attitude l’étonnait.

  • Et euh… Après, il a été à l’orphelinat. Ça ne s’est pas non plus bien passé.. C’est là qu’il a rencontré Silka, qui… Elle non plus n’a pas vécu des choses trés chouettes…
  • Comme quoi ? demanda-t-il franchement, intéressé.

Il y eut un temps où ils se regardèrent sans rien dire. Elle eut l’impression qu’il était apte à comprendre, comme elle lui avait fait promettre. Depuis qu’elle lui exposait les faits avec sincérité, Sky était resté trés calme et attentif. Elle se sentit bien dans cette bulle.

  • Viol… lâcha-t-elle en regardant ailleurs.
  • Oh… Waw… Ok, fit-t-il, estomaqué. Ok, répéta-t-il plusieurs fois en hochant la tête. Ouais… J’ai capté.
  • C’est vrai… ? demanda-t-elle d’un ton hésitant et plein d’espoir.
  • Bah ouais, enfin ! Je suis pas un monstre !

Il fut ahuri une nouvelle fois en voyant son expression soulagée sous ses larmes naissantes.

  • Euh… Pourquoi tu… paniqua-t-il en gagnant quelques centimètres vers Kimi.
  • Je sais pas… Je… Je voulais que tu comprennes et… bégaya-t-elle en hoquetant. Ce n’est pas sa faute s’il est comme ça. Il est pas méchant. Il a juste… peur constamment et il n’a confiance en personne. C’est vraiment… horrible pour lui au quotidien et… ça me fait trop de peine, pleura-t-elle. Parce qu’à cause de ça, il se fait pas d’amis ici. On est différents.

Sky tiqua sur cette réflexion.

  • Il faut que tu comprennes qu’à l’orphelinat, j’étais pas là pour lui, dit-elle en s’essuyant les larmes. La seule sur qui il a pu compter, c’est Silka. C’est pour ça qu’ils sont aussi proches. C’est pas explicable, mais c’est pas de l’amour… Enfin, pouffa-t-elle amèrement. C’est moi qui dit ça, alors que j’y connais rien…

À nouveau, il fut interpellé. La question de l’amour pouvait aussi le mettre dans des états pitoyables. Il se le garda. Kimi insistait :

  • Donc, vraiment, appuya-t-elle avec ses mouvements. Ils ne sont pas amoureux, mais… Par contre, avec Lysen, je ne l’avais jamais vu comme ça. Moi non plus, hein, avoua-t-elle d’une petite voix, j’avais pas une bonne opinion d’elle…
  • Tu m’étonnes, lâcha Sky en levant un sourcil.
  • Ne rigole pas, dit-elle en s’obligeant à ne pas sourire et en tapant le bout de ses doigts sur ses genoux. Bref, ce que je veux dire, c’est que depuis qu’ils sont ensemble, Leroy a l’air tellement mieux et heureux. Je comprends que ça ne lui ai pas fait plaisir de le voir aussi proche d’une autre fille, mais il faut qu’ils règlent ça entre eux. Il l’aime vraiment. Si on s’en mêle… ça n’ira pas… Je ne veux pas qu’il soit malheureux et toi… S’il te plaît, laisse-les, le supplia-t-elle presque d’un regard de chien battu.

Comment dire non à une telle demande ? Sky n’avait rien à dire. Lui aussi se savait trop méfiant. Il aurait été mal placé pour ne pas accepter. Comprendre ? Il avait compris, le passé de Leroy, son vécu difficile, son amour pour sa sœur… Au fond, il la jalousait un peu. Ca avait toujours été le cas, car elle était l’enfant gâtée de la fratrie, mais cette fois, il se sentait bête de n’avoir connu de tels sentiments avant Lysen.

  • Mouais… Tu as raison, dit-il gêné. Ce n’est pas de notre ressort.
  • Tu vas… les laisser tranquille ?
  • Je te dis que oui.

De plus belle, à croire qu’elle cherchait à le déstabiliser, Kimi se remit à pleurer. Perdu, il chercha à comprendre.

  • C’est rien, le coupa-t-elle en cachant légèrement son visage.
  • … Tu ne veux pas m’expliquer ce qui se passe ?

Elle aussi admis intérieurement qu’elle se sentait désorientée. Il agissait bizarrement. Habituellement, il l’aurait déjà engueulée ou charriée.

  • C’est juste que… Je me sens pas bien, balança-t-elle, dépitée, presque avec dégoût, en pleine introspection. Il y avait ça avec mon frère et Lysen… J’ai pas assuré, parce que comme tu l’as dit… Si je t’avais pas raconté son passé, tu aurais pu le demander à Kyle, parce qu’il sait. J’ai dû lui dire… - elle s’arrêta en voyant Sky froncer des sourcils -... Pour faire venir mes potes ici, parce que j’avais peur pour eux. J’ai négocié avec le père de Laure. Pour que ça marche, j’ai dû faire appel à Kyle. Il m’a demandé une info…
  • Pourquoi il voulait savoir ça ? la coupa-t-il.
  • Je sais pas… mentit-elle en ravalant ses larmes. Laure m’en veut… - Sky se mordit les lèvres, comprenant de plus en plus la situation -... J’ai l’impression qu’elle me déteste et… Je veux pas… perdre mon amie, dit-elle en lâchant un gros sanglot. Et j’ai peur que Kyle vende la mèche. Leroy va me détester. Et je… Tu m’as dit que j’allais trop vers mes anciens amis, alors que je veux rester avec vous, c’est juste que… je voulais les accueillir. Mais si toi, tu penses ça, alors les autres du groupe aussi ? Je ne veux pas. J’ai peur de ça et… Ce n’est que le début de l’année. Je me sens bien avec vous, moi. Puis, Chuck m’a donné des photos, rajouta-t-elle encore un élément à la liste. Depuis que… qu’on a appris pour nos parents, je me sens… Je sais pas, je me sens… Comme si… Comme si tout avait perdu un sens et je pense à eux… À mon père, qui était juste… Malade, mais je peux pas lui pardonner. J’y arrive pas ! Et à ma mère… À ma mère… J’arrête pas de penser, dit-elle d’une voix épuisée en rapprochant ses mains de sa tête. Je pense à Dossan qui…

Elle releva ses yeux dans les siens, la vision floue. Sky ressentait toute sa peine, incapable de répondre quoi que ce soit. Il n’y avait plus de mots adéquats, même pour Kimi qui laissa ses larmes couler. Elle resta comme ça un temps à vider sa tristesse jusqu’à ce qu’il approcha sa basket de la sienne.

  • Je m’occuperai de Leroy seulement s’il brise le cœur de ma petite sœur.
  • Hein ? lâcha-t-elle, ne comprenant pas sa réponse.
  • … Nos familles sont liées après tout, déclara-t-il en tapant la pointe de sa chaussure à la sienne. Leroy et Lysen. Ton père et ma mère… Puis, y a nous.

Kimi se redressa doucement sur le lit, sa voix ne lui étant jamais apparue aussi claire et son visage aussi net. Pas même autant que la fois où il l’avait embrassée. Sa poitrine devint lourde. Le tambour en-dessous s’accentua quand il se leva. Elle le suivit des yeux, se diriger vers sa garde robe où il s’accroupit. Kimi pencha la tête en le voyant trifouiller dans ses affaires.

  • J’ai ramené ça au cas où je me ferai chier durant l’année… dit-il d’un ton plaisantin en agitant deux manettes de playstation devant lui. On fait une partie ? proposa-t-il en lui glissant un petit sourire en coin.
  • Ah… Ouais ! s’exclama-t-elle en lui rendant son esquisse. Tu as quoi... comme jeu ? se leva-t-elle ensuite avant de se placer à ses côtés.
  • Le dernier que j’ai acheté… réfléchit-il en attrapant les pochettes. Mortal Kombat… C’est un jeu… de combat, enchaîna-t-il avec une pointe d’ironie.
  • Sans blague, je vais te laminer ! déclara-t-elle en lui volant des mains.
  • Ha ! s’exclama-t-il en levant les yeux au ciel. C’est ça ouais.

Tous les deux se fixèrent pour se défier un sourcil marqué. Quelques minutes plus tard, ils mitraillaient les boutons des manettes, adossés au pied de son lit. Balancer des coups dans le vide avait permis à Kimi de retrouver sa joie de vivre. Sky la taquina sur sa manière de jouer et fit le malin en gagnant toutes les parties jusqu’à ce qu’elle ait attrapé le coup de main. Entre eux, c’était à nouveau la guerre, mais celle où ils riaient ensemble. Après la montée des émotions, voilà ce qu’il lui avait fallu. La fatigue retomba, le sommeil qu’il lui manquait frappant à la porte. Sky profita d’un bâillement pour lui éclater son personnage :

  • Et boum, lâcha-t-il en imitant une explosion avec ses lèvres.
  • Pff, c’est pas vrai, bouda-t-elle en se frottant un œil.
  • On arrête là ? proposa Sky, ravi d’avoir gagné.
  • C’est ça… Comme par hasard quand tu m’as battue…
  • Mais quelle mauvaise joueuse, rigola-t-il à pleine dents.
  • C’est bon, t’es chiant.

Tandis qu’il se régalait de la voir râler, Kimi se tourna sur elle-même pour déposer sa tête sur le matelas. Même assise au sol, elle se serait bien endormie. Totalement relâchée, elle ferma les paupières.

  • Hey, l’interpella Sky doucement. He, Kimi, t’endors pas, enchaîna-t-il en venant secouer son bras.
  • Hum, grogna-t-elle. T’es chiant, dit-elle ensuite en fronçant les sourcils.
  • Alors que c’est toi qui pionce ??

Elle l’écoutait à peine. Désespéré, Sky l’imita. Il ne trouva pas cette position aussi confortable. En voyant sa bouche s’entrouvrir, il devint silencieux. Il soupira ensuite et éteignit la console, ainsi que la télévision. Qu’est-ce qu’il était censé faire ? En caressant sa nuque maladroitement, il pensa un temps. Un autre soupir qui venait d’encore plus loin s’échappa de son nez. Sky attrapa à nouveau son bras pour la sortir de sa somnolence :

  • On va dans le lit ? demanda-t-il sans vraiment la regarder.
  • … Hum… Oui…

En ni une, ni deux, il la vit se mettre à genoux pour grimper sur le lit et effectuer son plus beau ramping, sa chevelure en pagaille devant son visage, pour se glisser en dessous des couvertures. La scène lui donna envie de rire, mais il se retint. Engloutie sous les draps, il retira son t-shirt quand il constata que la grosse boule qu’elle formait gesticulait dans tous les sens. Il la vit cacher son soutien gorge subtilement sous son oreiller.

  • C'est bon. Mets-le à terre, tu vas l’abîmer, dit-il en desserant son jogging.

Kimi s’effectua. Le temps qu’il entre à son tour dans le lit, elle se maudit une cinquantaine de fois d’être restée. Son cœur battait à toute allure. Ils avaient pourtant déjà dormi ensemble. L’idée l’avait complètement réveillée. “Puis, il y a nous”, ses oreilles se mirent à chauffer. En un coup, la fatigue avait disparu. Quelle idiote, se flagella-t-elle ensuite. Lorsqu’il éteignit la grande lampe pour la petite, elle tomba sur son torse-nu. “Dors... “ ; “Dors où je te fous des claques”, se força-t-elle. La lumière orangée qui restait allumée lui fit ouvrir les yeux doucement.

  • Pourquoi tu ne…
  • De quoi ? la questionna-t-il quand elle ne finit pas sa phrase.

La joue sur l’oreiller, ses prunelles tamisées luisaient. Fatiguées, elles étaient douces et déposées dans les siennes. Sur le moment, elle comprit ce que les filles lui trouvait d'irrésistible et ne put s’empêcher de le détailler : son nez droit, ses sourcils bruns, pas trop épais, masculins, comme tous ses traits. Il avait une belle mâchoire, pas trop prononcée, juste assez pour vouloir y glisser ses doigts. La couverture ne couvrait pas totalement ses épaules. Par-dessous, elle avait accès à son torse. Kimi bataillait dans sa tête. Ce n’était pas comme si elle n’avait jamais vu de muscles, à force d’être entourée de danseurs. Mais ses yeux surtout, elle ne pouvait pas s’en détacher, sauf pour fixer ses lèvres à la place. Sky eut un rictus et roula sur le dos.

  • Arrête…T’es bizarre...
  • Quoi ? Comment ça… Je… bafouilla-t-elle, prise sur le fait.
  • … Me regarde pas comme ça… dit-il d’une voix plus basse en passant sa langue sur l’arrière de ses dents et en fixant le plafond.

Puisqu’elle s’enferma dans un silence, Sky tourna brusquement la tête sur l’oreiller. Il lui offrit un regard digne d’un martyre.

  • Comme ça, lâcha-t-il avant de se relever à moitié dans le lit et de se rapprocher dangereusement de son visage.

Kimi ne bougea pas d’un pouce, paralysée. En boule sous les draps, le sang lui monta à la tête. Elle sentit la pulsion dans ses lèvres quand son nez vint chatouiller le bout du sien.

  • Je… laissa-t-elle sortir en se reculant à peine.

Quelques millimètres en plus et leurs souffles se croisaient. Enflammé, quelque chose l’en empêchait aussi. Leurs corps se rapprochèrent malgré tout. Pour se protéger, Kimi déposa ses mains sur son torse. Elle devait trouver quelque chose. Une solution. N’importe quoi. Ils ne pouvaient pas. En sentant sa bouche chaude, elle frissonna de la tête au pied. Elle fondit. Quelque chose tourbillonnait dans son ventre. Ils s’embrassaient. Sky en profita pour glisser sa main sur son avant-bras, puis humecta ses lèvres. Quand elle sentit le bout de sa langue qu’elle s'apprêtait à accepter, Kimi retrouva ses pensées : “Non !”, s’écriait-elle en s’éloignant d’un coup. Sur quoi, Sky chercha son regard. Il était rond, mais fébrile. Lui aussi. Quelque chose. N’importe quoi. Kimi avait trouvé sa solution :

  • Je… Euh, je… bafouilla-t-elle alors qu’il attendait nerveusement une explication. Je… j’ai besoin de savoir… C’est qui… Jena ?

Ou plutôt sa porte de sortie.

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