Chapitre 36 : Un superbe secret.

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Des cernes jusque par terre, Kyle traînait des pieds dans ses baskets trop plates jusqu’au lycée. La sacoche de l’appareil bien accrochée autour de son épaule, clope et café à emporter en main, il peinait à dégager ses mèches de cheveux trop longues. Depuis quand n’avait-il plus été au coiffeur ? Cela l’importait peu. Il plaça un doigt sur sa cigarette et la tapota. Les cendres s’envolèrent dans la brise qui aurait pu soulever son poids. Kyle n’avait jamais été bien grand, ni très lourd. C’était juste un petit gars, un blondinet, qui devenait géant une fois son appareil photo entre les mains. Il le caressa du bout des doigts avant de jeter son mégot au sol. Une bonne partie de sa boisson finit dans son gosier. Le restant atterrit dans le fond de la poubelle, hors du gobelet qui avait ricoché tel un ballon de basket gagnant son panier. Ce geste, mou et rapide, allait de pair avec sa manière d’être. La réelle envie d’aller à l’école et de suivre les cours l’avait quitté depuis longtemps. Il en devenait apathique au jour le jour, alors qu’il adorait à la base venir secouer les rumeurs tel le ferait un chercheur d’or ne craignant pas de se mouiller. La chance de se noyer dans le ruisseau était mince, mais pas de zéro. En effet, l’art de fouiner dans les affaires des autres avait des conséquences. L’une d’elle était de rendre son esprit agité en permanence. Si bien qu’il eut décrété de faire grasse matinée après un week-end bien chargé.

Le nez planté sur son téléphone, il passa devant le secrétariat avec aucunement l’intention de justifier son arrivée tardive. Il n’en avait pas besoin. D’une quelconque manière, il avait réussi à traumatiser la dame de l’accueil, cette dernière cherchant dès lors à l’éviter à tout prix. Ceci constituait un avantage précieux aux yeux du journaliste qui avait alors champ libre à Saint-Clair. Cette brillante école dirigée, pour son plus grand plaisir, par un directeur trop laxiste. Kyle avait plus ou moins conscience des faveurs que le vieil homme lui accordait. S’il devait réfléchir à la raison, il préférait encore la chasser de son esprit. Toute pensée l’amenant à visualiser ses parents le tirait dans un gouffre sans fond. Les affronter le week-end, même à distance, car ils ne se déplaçaient jamais pour le voir, avait déjà été de trop. L’Amérique était trop éloignée pour une réunion avec leurs fils. Davantage l’Asie, s’ils faisaient une escale dans leur dojo familial. Kyle s’arrêta au milieu de la cour. Il leva la tête vers la fenêtre du bureau du directeur. Ce n’était pas une excuse pour se trouver une famille de substitut. Dans l’optique : “On est jamais mieux servi que par soi-même”, le blondinet excellait. Il souffla et se focalisa sur la notification qu’il avait reçue.

Quitte à penser à un bridé, autant se concentrer sur celui dont il était le plus proche. Il lut le message de Steve d’un air strict : “Grouille-toi. Une petite surprise t’attend en classe <3". Le con agrémentait toujours ses messages d'un petit cœur.

Lui, c’était bien le seul à ne pas le caresser dans le sens du poil. Il en avait fait son acolyte spécialement pour cette raison, car il ne rentrait pas dans les rangs. C’était bien connu, tout ceux que Kyle touchait finissaient rongées jusqu’à la moëlle. Plus personne ne cherchait à le rendre meilleur ou à trouver des compromis à ses menaces, l’abandon trouvant un meilleur succès en termes de réponse. Voilà ce qui le rendait puissant : le manque de détermination des autres. Et voilà ce qui l’animait tant dans le personnage du Diable Blanc. Parmi tous les dramas en cours, cette vieille identité restait sa préoccupation principale. Il s’y engouffrait pleinement, y appréciant une personnalité emplie de motivation. Un être qui se relève, qui n’abandonne pas… Cela le rendait curieux et envieux.

Au-delà de ça, il se considérait lui-même comme une mauvaise herbe, du genre bien incrustée entre les pavés de l’école et de même qu’il ne le revendiquait au sein de sa famille. Si ses parents l’incitait à sauter une classe pour se lancer dans des études supérieures et maîtriser l’économie, Kyle tenait à rester jusqu’au bout de sa dernière année… Au cœur du combat. De manière fantomatique, il parcourut à nouveau les arguments qu’il leur avait donné pour finir son cursus, en s’avançant vers sa classe. Qu’est-ce qui l’attendait là-bas ? Cette question était vide de sens. Vu l’actualité de Saint-Clair, il ne pouvait y avoir qu’une option possible. Est-ce que ça l’inquiétait ? Non. Le moment serait simplement désagréable. Il s’y lança sans frayeur, en toutes circonstances, armé jusqu’aux dents. Kyle débarqua dans la classe située au deuxième étage, comme s’il traversait le pas de sa maison. Pour un garçon qui séchait outrageusement les cours, il était bien installé au sein de l’école. Également à l’internat où il passait la plupart de son temps et ce même durant l’été. En ce sens, il se considérait chez lui. Ainsi l’arrivée de nouveaux élèves chaque année revenait à accueillir des nouveaux voisins. Il avait pourtant déjà bien eu affaire à la retardataire. Il la connaissait même très bien.

La prétendante numéro une de Sky Makes, alias sa future femme, revenait tout droit du Japon... Cet endroit qu’il connaissait bien, mais qu’il ne pouvait voir en peinture, pas même en rouleaux. Alors qu’elle avait atterri à Saint-Clair dans le but de se rapprocher davantage de son futur époux, cette dernière n’y resta qu’un court temps. Elle disparut dès la fin de leur première secondaire, suivant ses parents au pays du soleil levant et plus précisément son père, qui fut muté à l’époque dans le cadre de son travail. Les aventures de Jena Solaire à Tokyo purent commencer.

Déjà de son temps au sein de la grande école, la jeune fille était connue pour son caractère bien trempé. Pour ne s’être jamais vantée d’être promise au plus puissant des Richess, nombreux la tenaient en haute estime. Alors que le garçon en question se voyait propulsé à la tête du groupe des sept familles, en parallèle l’adolescente montait en binôme la création d’un journal. Quoi de mieux que de s’unir à la personne qui avait promis de couvrir les Richess pour gagner en reconnaissance ? L’âme des ragots en son for intérieur, elle appréciait tendre l’oreille pour avoir des histoires croustillantes à rapporter, et ce, en toute franchise. Ce fut là où Jena eut des divergences avec son partenaire de crime. Elle ne souhaitait pas descendre les autres étudiants ou profiter de leur argent, là où Kyle se léchait les doigts pour compter les billets verts. Elle abandonna l’idée du journalisme et mit en place des solutions pour arrêter le blondinet. Pour des raisons qui lui échappaient, le directeur n’y mit jamais un terme. Investie dans sa vie scolaire, Jena plaça cette expérience dans son dos, découvrant avec douceur et culpabilité les joies d’une première amourette. Ce sentiment négatif disparut en même temps que son promis tombait dans un autre genre de fantaisie. Ce n’était rien, car à l’époque, sept années les séparaient encore du mariage, mais plus que quelques mois avant son départ.

Ses derniers jours à Saint-Clair avaient été bercés par la drôle impression de tourner le dos à son destin. Sky l’avait regardé partir de loin après une poignée de main serrée. Dans ces termes, elle ne s’était pas attendue à finir en première couverture de ce fameux journal. L’article transmis par une de ses copines dégoulinait de mensonges sur sa rupture avec son petit-ami et d'un aurevoir embrasé avec l’homme qui l’accompagnerait dans le futur, alors même qu’elle débordait de pureté et de respect envers ce même garçon. Depuis cette lecture, Jena s’était promis de toujours se méfier de Kyle Kuraga qui à l’époque fonctionnait au mensonge. Elle le reprendrait à son retour, cette dernière ne sachant pas qu’elle le trouverait encore plus redoutable, car s’il mentait dans le passé, au présent le journaliste ne se servait plus que des contours de la vérité.

Vu les conditions de leur séparation, ce dernier ne la cherchait pas, planté bêtement dans l’entre-porte. Un instant de plaisir le parcourut en voyant l’horreur derrière les lunettes de sa professeur qui n'en pouvait plus de ses retards. Sans cesse dans la provocation, il se permit d’immortaliser le moment.

  • Kyle ! le gronda la dame. Si tu sors cette photo…
  • Ne vous inquiétez pas, ça n’intéresse personne de voir le visage outré d’une vieille peau.

Ah. Il était peut-être plus de mauvaise humeur qu’il ne voulait bien le laisser paraître. Ce n’était pas dans ses habitudes de sortir de la taquinerie et de lâcher des mots qu’il pensait réellement. Ce qui le tendait ? La passion émanant de Jena qui était prête à en découdre. Kyle l’évita volontairement, ainsi que les avertissement de l’ancêtre, pour aller s’asseoir à côté de Steve. Celui-ci l’observa déposer tout son attirail, le regard encore plus étiré que par ses origines. Il n’avait aucune envie de la confronter et de se battre dans le vent.

  • Salut, Kyle.

“Forcément”, vu son caractère de chien, elle n’avait pas hésité à l’interpeller. À sa place, il ne broncha pas, sortant pour matériel qu’un seul bic. Il ne la regardait pas encore. Ce fut sans tarder. La diva se présenta à lui, brûlant d’envie de lui envoyer Némésis dans la figure.

  • Oui ? la devança-t-il, assez sûr de lui, mais d’un air je m'en foutiste.
  • J’ai un petit quelque chose à te dire.
  • Tu es bien mignonne, mais ça ne m’intéresse pas.

“Personne ne me manque de respect”, avait promis Jena. Bien que personne n’avait pour objectif de remettre en cause ses mots et qu’il n’avait fallu que le temps de la rencontrer pour que la classe entière la croie sur parole, elle s’apprêtait à le prouver. Visiblement, Sky lui faisait confiance sur ce point. Il leva les yeux au ciel et se mit en position d’observation, l’envie de la voir se battre avec Kyle dès son retour à Saint-Clair n'y étant pourtant pas. D’un autre côté, il jugea que le petit journaliste méritait bien de se prendre une tornade pour ce qu'il lui avait fait dans le passé. Le temps d’espérer que tout se passe bien, des éclairs avaient jaillis dans la classe, ladite affrontant de plain-pied son adversaire :

  • Tu te défiles ? le confronta-t-elle, grande, sur ses talons et bien plus sévère qu’à son arrivée. Le pire c'est que j'arrive encore à m'étonner.
  • Je n’ai pas envie de discuter avec toi, l’esquiva Kyle qui aurait dû lever les yeux pour tomber dans les siens.
  • Bien évidemment que tu n’as pas envie. Tu sais que tu es en tort, pauvre lâche.

D’un visage inexpressif, Kyle s’attarda sur ce soi-disant rayon de soleil. Un lâche ? Prêt à tout gagner pour un sou, il devait sans aucun doute donner cette opinion de lui-même. Sauf que dans l’absolu, il n’avait rien à tirer d’elle. Ses sourcils se courbèrent en même temps qu’il la dévisagea.

  • Quelle perte de temps, s’étouffa-t-il d’un rire moqueur.

Il réussit à lui faire lever un des siens. Soudainement menaçante, Jena prit appui sur son bureau pour le prendre entre quatre yeux.

  • Écoute-moi bien tête de rat, lui décrocha-t-elle un léger un recul. Je t’assure que la prochaine fois que tu profites de mon absence pour cracher dans mon dos… Parce que oui, précisons que tu n’as même pas eu les roubignoles de propager tes rumeurs lorsque j’étais là, tu verras que le prochain cylindre qui te passera par le trou de balle ne te fera aucun bien.
  • Ohm, geint-il, un peu de douleur, ça ne fait jam…
  • Ferme-là. Entends-moi bien quand je te dis que je ne veux plus qu’aucune rumeur grotesque remonte jusqu’à mes oreilles, balaya-t-elle sa remarque. Je n’hésiterai pas à porter plainte pour diffamation, cette fois. Tu as dix-sept ans, Kyle, arrête d’agir comme un enfant, tenta-t-elle d’écraser son ego en même temps qu’elle appuyait son index sur la table.
  • Tu m’as comprise ?
  • … Je n’ai de toute façon plus de raison de parler de toi. Les gens bien sont tous pareils, cracha-t-il hors de ses lèvres comme s’il s’agissait d’une insulte. Vous êtes désespérants.
  • Parce que c’est censé m’affecter d’une quelconque manière ?
  • Droite et sans aucun secret… Autant dire que tu es bonne à jeter à la poubelle. Tu ne m’intéresses plus, Jena, lui répondit-il en mimant le geste. Oh, allez, à la limite, je n’oublierai pas d’annoncer dans mon journal le retour de la poulette aux œufs d’or… Ou plutôt de la poulette qui a gagné le jackpot…
  • Tu veux bien te taire, un peu.

La voix de Sky porta dans toute la pièce. Il restait de marbre, mais depuis sa place, il toisait le journaliste d’un regard lourd de poids.

Les pommettes de ce dernier gagnèrent en hauteur :

  • Qu’est-ce que je disais, souffla-t-il, ravi de cette intervention. Le gros lot, en rajouta-t-il une couche, ses yeux s’amusant à traîner ici et là, pour finir rieur dans ceux de Kimi.

Le supposé petit diable qui triturait tous ses doigts, un air soucieux planté au milieu de sa figure, n’avait guère l'air impressionnant. Kimi n’avait jamais vu cette facette de Sky. Du moins, elle ne l’avait pratiquement jamais connu protecteur avec quelqu’un d’autre qu’elle-même. En effet, il se montrait aussi féroce que sa future femme :

  • Plus casse-couilles, tu meurs. Je veux plus rien entendre, et toi, s’adressa-t-il à Jena, lâche l’affaire. C’est inutile.

Une main placée sur sa taille, en dépit de la mettre dans la figure de Kyle, la brunette gonfla les narines et serra les mâchoires. Il suffit d’un battement de cils pour qu’elle reprenne son self-control. Ce n’était pas qu’elle n’écoutait pas Sky, mais elle préférait la jouer à sa manière :

  • N’interfère plus avec moi, insista-t-elle auprès du journaliste avant de reprendre place à son bureau.
  • Pas de souci, les amoureux.

Il avait toujours le dernier mot, ou plutôt, on le lui laissait toujours. Il eut en effet droit à un silence agaçant, car il n’y avait rien de plus tuant que l’ignorance. Sans surprise, une fois de plus, Kyle avait réussi à détruire l’ambiance. Il n’en fut pas mécontent et pourtant, il ne s’en réjouissait pas non plus. Sky, l’un de ses premiers amis à Saint-Clair, finirait par le détester. Jena n’avait plus peur d’agir contre lui. Les Richess étaient fatigués depuis longtemps de son comportement. Steve ne l’accompagnait pas dans sa méchanceté. La classe entière était déjà passée à autre chose, alors concentrée sur le cours. Il n’y avait qu’une seule fille qui lui portait étrangement de l’intérêt.

Depuis sa place, il la visualisait, ses pieds touchant à peine le sol, ses cheveux mi-longs noirs légèrement décoiffés, séparés en deux couettes basses qui retombaient sur ses épaules… Le regard lunaire d’Irina le mettait mal à l’aise. Il en avait des sueurs froides, peu habitué à ce qu’on lui accorde une telle attention. Ce ne fut pas difficile de dévier la sienne ailleurs quand il constata la drôle atmosphère autour de Kimi. Cette dernière n’écoutait rien de ce que leur professeur racontait et jouait nerveusement avec son bic, perdue dans le dos de Sky. La meilleure qualité d’un journaliste se consacrait sans nul doute à l'observation, mais davantage au fait de renifler les scoops. Celui de Saint-Clair avait un flair égal à celui d’un blaireau. Une étincelle naquit dans ses yeux quand il vit la blonde écraser ses lèvres l’une contre l’autre, clairement confuse par l’existence du Richess. Il tenait là un superbe secret, comme de ceux qui l’excitaient, à justifier au même titre que son identité de Diable Blanc, certes, mais un superbe secret.

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