— Voyons cela, dit-il en se reprenant et en feignant le plus grand sérieux.

Lisette déballa ses deux modelages sur le bureau. Ainsi présentés, ils n’avaient l’air de rien et elle s’en voulut d’avoir obéi sans réfléchir au comte. Ducoursial les considérait cependant avec curiosité. Elles n’étaient pas très impressionnantes en effet, poussiéreuses et légèrement écornées. Pourtant, même ainsi, quelque chose de profondément original s’en dégageait, comme un nouveau regard … Bien que très classique de formation et de goût, il était assez informé et surtout assez malin pour sentir le vent de l’époque. Dans sa naïveté, cette enfant méritait d’être suivie. Il replia les pans de l’étoffe et lui rendit le paquet. Mais c’était surtout la possibilité d’en savoir plus sur le comte par son intermédiaire qui l’intéressait.

Elle le regardait fixement, inquiète de son verdict et il engagea la conversation avec elle comme il le faisait d’habitude avec ses nouveaux élèves.

— Oui, c’est bien, dit-il d’abord avant de reprendre, la peinture t’intéresse ? Tu voudrais bien suivre des cours toi aussi, comme tous ceux qui sont là ?

Lisette jeta un coup d’oeil aux gradins derrière elle.

— Oui, j’aimerais bien mais je ne veux pas faire ce qu’ils font, reprit-elle.

— Que veux-tu faire alors?

— Je ne sais pas.

Il y eut un grincement au fond de la salle, la porte d’entrée s’ouvrit et Ursulette entra. Elle ne pouvait rester attendre Lisette sur le trottoir plus longtemps, elle avait résisté le plus possible mais elle était frigorifiée. Elle se serra contre la cloison qui soutenait les gradins de façon à ne pas voir l’intérieur de l’atelier. Ducoursial lui accorda à peine un regard et poursuivit son entretien en posant la question qui lui permettait à chaque fois de faire parler un peu ses futurs élèves et ainsi de mieux les connaître :

— Dis-moi : quels sont les dessins qui te plaisent le plus parmi ceux qui sont au mur, là derrière moi ?

— J’aime bien la nature, les bêtes et les champs et j’aime bien celui-là, dit-elle en montrant la copie du tableau qu’elle avait reconnu, bien consciente que sa réponse importait peu à Ducoursial.

— Tu as bon goût, dit-il cependant.

Au fond de la salle, des rires juvéniles se firent entendre : un des élèves les plus jeunes était soudain tombé de sa chaise après avoir chahuté discrètement avec ses voisins. Tout en le regardant sévèrement, Ducoursial poursuivit machinalement son discours :

— C’est un Van Hay, un maître flamand du XVII ème siècle et dis-moi pourquoi…

Mais il dut s’interrompre : Lisette s’était levée et faisant le tour du bureau, elle passa derrière lui et s’approcha de la reproduction.

— Il y a plus de couleurs normalement. Il y a du rouge et un peu de vert là, dit-elle en s’animant soudain.

Et en se mettant sur la pointe des pieds, elle tendit le doigt vers les endroits dont elle parlait.

— C’est pas comme ça qu’il est en vrai.

Ducoursial sortant brusquement de son indifférence distraite lui jeta un regard perçant en cachant sa surprise. Avait-elle réellement vu ce tableau qui avait disparu depuis des années ? Mais il retint sa question : inutile de la bousculer, il faudrait d’abord l’apprivoiser.

— Reviens demain matin à neuf heures. Je fais travailler un groupe de jeunes filles. Tu auras ta place parmi elles. Je suis certain que tu feras de très jolies choses, conclut-il gentiment.

Il la suivit des yeux pendant qu’elle s’éloignait. Ursulette qui s’était assise sur le tabouret bas, se leva précipitamment et sortit avant même que Lisette ne soit arrivée à sa hauteur. Le petit chien se leva aussi et retourna prendre sa place auprès du poêle où il se rendormit avec un soupir.

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