Chapitre 1
Le soleil rayonnait bien haut dans le ciel. Eylen mis sa main en visière et appela son frère.
— Brion ? Tu viens ? C’est l’heure du repas !
Un petit rire lui répondit dans les hautes herbes. Elle soupira puis commença à avancer silencieusement, un large sourire se dessinant sur ses lèvres.
_ Tu vas voir quand je t’attraperai, petit chenapan, continua t’elle en fouillant les hautes herbes du regard.
Un bruissement se fit entendre sur sa droite et les herbes bougèrent. Sans attendre, elle bondit en avant et attrapa de justesse la cheville du jeune garçon qui tentait de s’échapper.
_ Je t’ai eu !
Le garçon rit de plus belle ; se tortilla pour se défaire de sa prise, mais Eylen avait l’habitude. Elle maintint sa prise de la main droite et, de la main gauche attrapa son petit frère par la ceinture. Puis, tirant sur ses muscles, elle le fit trainer jusqu’à elle et s’assit sur son dos en soufflant et en riant.
_ Hey ! Stop ! s’écria le garçon en râlant. Ce n’est pas du jeu ! Lâche-moi !
_ Mmmm, dit-elle en se tapotant le menton. Je ne sais pas… Tu vas venir avec moi si je te lâche ? lui demanda-t-elle en se penchant sur le côté pour lui sourire.
Le jeune garçon la fusilla de ses yeux bleus aussi clairs que le ciel. Puis, voyant que sa sœur ne céderait pas, il soupira et leva les yeux en l’air.
_ Bon très bien. Tu peux descendre, je te suis.
Eylen ne bougea pas et tendit sa main gauche vers Brion.
_ Promets !
Il dégagea son bras et vint taper sa main.
_ Oui, tope là.
La jeune fille se redressa puis aida son jeune frère à se relever. Il s’épousseta en grognant. Il était à peine plus petit qu’elle de quelques centimètres, son front lui arrivant au niveau du nez. Brion avait onze ans ; elle quinze, mais elle était plutôt petite pour son âge, et son frère ne tarderait pas à la dépasser.
_ Comment tu fais pour être si rapide ? Je n’ai même pas eu le temps de bouger.
_ C’est une question d’habitude, fit Eylen en lui ébouriffant les cheveux. Tu serais aussi rapide que moi si tu passais plus de temps à courir après les agneaux et moins de temps à te cacher !
_ Aah… Non merci, soupira le jeune garçon en repoussant sa main.
Puis il partit en courant vers la ferme.
_ Le dernier arrivé fait les corvées de l’autre ! lui cria-t-il par-dessus son épaule en rigolant.
_ Tricheur ! s’esclaffa Eylen en le poursuivant.
Lorsqu’ils arrivèrent essoufflés dans la maison, la grande table en bois était déjà mise, et une petite fille a la longue chevelure brune était assise sur un banc, balançant ses jambes impatiemment.
Leur mère, Anissa, mélangeait l’intérieur d’une bassine suspendue au-dessus de l’âtre de la large cheminée en pierres.
La seule et unique fenêtre de la pièce principale était ouverte ; laissant passer la lumière jaune du soleil qui réchauffait le sol de terre battue. Les murs blancs étaient recouverts de chaux, laissant apparaitre la forme des pierres et de la terre qui avaient servi à les construire. Un escalier en bois adossé au mur du fond menait à l’étage où la famille dormait ; en-dessous duquel une petite porte servait d’accès à la buanderie et la grange pour les bêtes.
La petite fille se tourna vers eux, la mine renfrognée.
_ On vous z’attendait ! fit-elle en zozotant.
Ses yeux, de la même couleur que ceux de Brion, jetaient des éclairs derrière sa frange mal coupée.
_ Z’ai faim moi !
_ Désolée Mery, fit Eylen en venant s’assoir à ses côtés. Brion avait besoin d’une petite leçon de discipline, continua-t-elle en souriant au garçon qui s’assit en face d’elle.
Ce dernier lui fit une grimace dont il avait le secret et se servit un verre d’eau qu’il engloutit d’une traite. Son torse se soulevait au rythme de ses respirations et ses joues étaient rougies par l’effort. Ses cheveux bruns en bataille lui tombaient sur les oreilles.
Il faudra bientôt les lui couper, songea Eylen en enroulant autour de son doigt une de ses longues mèches de cheveux noirs.
_ Tu triches de toute façon, l’attaqua son frère quand il eut finit de boire.
_ Allons, allons, fit leur mère en posant tendrement sa main sur l’épaule du garçon. Arrêtez de vous disputer et calmez-vous. Eylen, continua-t-elle en se tournant vers elle. Tu peux aller puiser un peu plus d’eau s’il te plaît ?
Cette dernière jeta un regard confiant à Brion, qui soupira à nouveau, et se leva.
_ C’est bon Maman, je m’en charge.
Il se dirigea vers la cour sous le regard surpris de leur mère.
C’était une femme de petite taille menue. Ses longs cheveux noirs qui tranchaient avec sa peau claire étaient tressés dans son dos et lui tombaient jusqu’au-dessus de la taille. Elle avait un visage ovale, un petit nez légèrement tombant et des yeux en amandes brun clair qui prenaient des reflets dorés sous les rayons du soleil. Mais ce qu’Eylen préférait sur le visage de sa mère, c’était son sourire qui ne quittait quasiment jamais ses lèvres roses.
Elle se distinguait de tous les habitants du village et de la ville qu’Eylen connaissait. Son père lui avait souvent raconté comment il l’avait rencontrée, alors qu’elle faisait partie d’une troupe de voyageurs itinérants. Et comment il avait réussi à la séduire et à la convaincre de rester avec lui juste un hiver à la ferme.
Anissa s’amusait souvent, elle aussi, à raconter tout ce qui l’avait étonné dans les coutumes de son père et sa famille, et comment cet hiver s’était finalement transformé en deux hiver, puis trois, et ainsi de suite jusqu’à ce jour.
On disait souvent à Eylen qu’elle était son portrait craché, sauf ses yeux qu’elle avait hérité de son père et qu’elle partageait avec son frère et sa sœur.
La porte s’ouvrit d’un coup et la fit sortir de ses pensées. Leur père, Owen, entra en tapant ses bottes sur le sol. C’était un homme aussi grand que sa femme était petite et aussi large que l’encadrement d’une porte. Ses cheveux bruns étaient coupés cours et sa barbe mal rasée laissait deviner un menton et une mâchoire carrés. Ses yeux aussi clairs que ceux de ses enfants cherchèrent un instant dans la pièce avant de se diriger vers ceux d’Eylen.
_ Brion n’est toujours pas là ?
_ Si, je suis là, fit se dernier en arrivant derrière lui les bras chargées d’un seau de bois remplis d’eau.
_ Ah, ça serait bien que tu aides un peu plus ta mère et ta sœur à la ferme au lieu de trainer dans la forêt. Tu n’es plus un enfant Brion, grogna Owen en fronçant les sourcils.
_ Oui père… répondit ce dernier en baissant la tête, ses joues rosissant à nouveau.
Il déposa le seau d’eau sur la table et se rassit, tandis qu’Owen embrassait sa femme et s’installait en bout de table.
Leur mère apporta le plat, les servit et Eylen versa de l’eau à chacun.
_ Je dois aller en ville demain pour vendre des fromages. Il te faut quelque chose ? Demanda Owen en regardant sa femme.
_ Oui, il faudrait arranger les chausses de Brion et du tissu pour les habits d’hivers.
_ Très bien, Brion tu viendras avec moi demain matin, dit-il en se tournant vers son fils. Sois prêt à l’aube, c’est clair ?
_ Oui ! répondit le garçon un grand sourire aux lèvres.
Eylen se mordit la joue en hésitant. Elle aussi aimerait bien se joindre à eux. Elle avait rarement l’occasion de se rendre en ville avec son père. N’y tenant plus, elle se jeta à l’eau.
_ Est-ce que je pourrais venir avec vous ? demanda-t-elle finalement.
Il l’observa un moment en fronçant les sourcils.
_ Il faut s’occuper des bêtes, et aider ta mère à la ferme…
_ C’est bon chéri, l’interrompit leur mère en posant une main sur son avant-bras. Je m’en chargerai et les enfants m’aideront en rentrant, continua-t-elle en levant un sourcil vers Brion et Eylen. Cela fait longtemps qu’Eylen ne t’a pas accompagné et il faudrait aussi vérifier ses chausses, le cuir est un peu abimé.
_ Tu es sûre ? Seule avec Mery, ça ne sera pas compliqué ?
_ Non, Mery et moi on se débrouille. Répondit-elle en ébouriffant les cheveux de la petite fille qui se goinfrait de pomme de terre, étalant de la sauce sur son petit visage rond.
Owen se tourna vers Eylen.
_ Très bien, tu peux venir. On ne sera pas trop de trois pour porter les meules de toute façon.
_ Oui ! s’exclama la jeune fille en sautant presque de son banc. Merci maman !
Elle embrassa sa mère et son père et se précipita dehors pour aller faire ses tâches.
Le soir venu, Eylen s’étala de tous son long sur son lit en regardant le plafond. Demain elle irait en ville. Son cœur s’affola légèrement et un sourire se dessina sur ses lèvres.
Mizmi, leur chat, vint se coucher sur son ventre en ronronnant. C’était Eylen qui lui avait donné ce nom. Son père lui avait soutenu que les chats ne servaient qu’à chasser les nuisibles et que l’on ne devait pas leur donner de nom, surtout un noir comme celui-là.
_ Ça porte malheur, lui avait-il dit.
Mais Eylen s’en fichait. Mizmi était son chat et il méritait un nom, point. Depuis, il la suivait quasiment partout quand il ne dormait pas sur son lit. Personne à part elle n’avait le droit de le toucher, sous peine de recevoir un coup de griffe ou de dent. Elle lui caressa machinalement la tête tout en imaginant sa journée de demain
Brion se redressa sur son lit de l’autre côté de la chambre, ce qui fit sursauter le chat qui lui jeta un regard courroucé.
_ Toi aussi tu penses à demain ? Lui demanda-t-il excité.
_ Oui, chuchota-t-elle. Il me tarde d’être à demain.
Mizmi s’était allongé de tout son long maintenant et il frottait son museau contre le menton de la jeune fille en ronronnant de plus belle.
_ J’espère qu’il y aura des chasseurs de monstres ! s’exclama le garçon en sautillant sur lui-même.
_ pff, pouffa Eylen, ça m’étonnerait qu’est-ce qu’ils feraient ici ? On est trop loin de la frontière.
_ Joshua m’a dit la dernière fois qu’il en avait vu en ville.
_ Joshua raconte toujours n’importe quoi répondit Eylen en souriant.
_ Chut !! Ze dors moi… les gronda Mery de son lit en dessous de celui de Brion, tout en se retournant vers le mur.
Brion fit de même, et Eylen resta à contempler le plafond éclairé par la lueur de la lune qui filtrait à travers la petite fenêtre en papier ; tout en gratouillant son chat derrière les oreilles. Sous la porte la lumière de la pièce du bas qui éclairait le sol s’éteignit et elle entendit les pas de ses parents qui montaient l’escalier et se dirigeaient vers leur chambre.
Ils avaient la chance d’avoir une maison suffisamment grande pour avoir deux chambres. Autrefois, elle et Brion partageaient cette chambre avec leur grand-mère, la mère d’Owen. Elle été décédée l’année précédente durant l’hiver. Depuis, Mery avait quitté la chambre de leurs parents et ils se retrouvaient tous les trois.
J’espère que nous pourrons rester ainsi encore longtemps. Songea-t-elle en regardant son frère et sa sœur qui commençaient à s’endormir.
Mizmi sauta du lit et gratta la porte pour sortir. La jeune fille soupira puis se leva pour lui ouvrir. Elle regarda le chat sortir sur le palier et entendit les voix de ses parents qui discutaient dans leur chambre à côté de la leurs. Ils semblaient se disputer. Elle vérifia que Brion et Mery dormaient toujours et se faufila silencieusement vers la chambre fermée.
_ …Chercheraient des femmes pour les ramener chez eux, disait son père à voix basse. Je ne veux pas qu’ils voient Eylen on ne sait…
La jeune fille s’approcha encore pour mieux entendre
_ Ils viendraient jusqu’à Frozir pour ça ? s’inquiéta sa mère. Nous sommes pourtant loin de la frontière… Comment ont-ils traversé ?
_ Ça, je ne sais pas. Mais ils ne viennent pas que pour ça, ils viennent aussi pour troquer avant l’hiver il parait. C’est pour cela que j’y vais maintenant, nous pourrions gagner beaucoup si Juden arrive à leur vendre nos fromages et trouver des choses intéressantes. Peut-être auront-ils encore du sel…
Ils parlent des chasseurs de monstre ? Pensa Eylen. Ils n’y avaient qu’eux qui s’approchaient suffisamment de la frontière et qui faisaient du troc avec le peuple du désert pour ramener du sel. Mais pourquoi nous achèteraient-ils du fromage avant l’hiver ?
_ Tu vas faire affaire avec eux ?
_ Non pas directement, je ne parle pas leur langage tu sais bien.
La jeune fille fronça les sourcils. Quel langage ? Les chasseurs parlent notre langue.
_ Alors il n’y a pas de raison que vous les croisiez demain, dit-elle doucement.
_ Normalement… grommela son père.
_ Je dirais à Eylen de mettre un châle sur ses cheveux. Au cas où…
_ Oui, on ne sait jamais… Et maintenant viens me réchauffer femme, grogna-t-il.
Eylen entendit sa mère rire et recula rapidement en rougissant puis retourna discrètement dans sa chambre.
_ Et ben on espionne les parents ? Lui chuchota Brion en ricanant.
Elle sursauta et lui fit signe de parler moins fort, les joues toujours en feu.
_ Moins fort, idiot !
Elle hésita puis se tourna finalement vers son lit. Cela ne servirait à rien d’inquiéter son frère pour rien.
_ Dors, on a une longue journée demain. Elle se recoucha sous sa couverture. Tu as intérêt à m’aider en revenant de la ville. Tu as perdu à la course.
_ Oui, oui, grommela le garçon en se retournant.
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