Chapitre 2
Eylen resserra le châle en coton autour d’elle pour se protéger du vent matinal. Assise entre les meules de fromages, elle tenait la longe d’un vieux mouton. Elle se tourna pour observer la route plus loin. Son frère et son père étaient assis au-devant de la charrette, dirigée par leur vielle jument grise. Ils avançaient tranquillement, descendant la route cahoteuse qui menait au dernier village avant d’atteindre la ville.
Le ciel matinal était paré d’ocre et de rouille, aucun nuage n’apparaissait à l’horizon, l’ombre des arbres se déplaçait au rythme du lever du soleil. La journée promettait un temps idéal pour voyager.
Une secousse fit bouger la charrette lorsqu’une roue heurta une pierre et le mouton commença à bêler nerveusement.
_ Ohoo, là… fit doucement la jeune fille en lui caressant la tête.
L’animal se détendit et vint se serrer contre elle.
Désolée mon vieux, pensa-t-elle en continuant de lui flatter l’encolure. Ce dernier ne serait pas du voyage au retour. Ils le laisseraient aux soins de Gill le boucher afin d’en tirer un peu de viande pour eux et un bon prix pour le reste. Ce n’était pas un agneau certes, mais cette année ils n’avaient pas eu suffisamment de naissances dans le troupeau et d’après son père ce dernier ne passerait certainement pas l’hiver.
Owen se tourna vers elle en lui souriant.
_ Eh bien ! C’est toi qui voulais venir, pourquoi fais-tu cette tête ? Demanda-t-il en levant un sourcil interrogateur.
_ Je n’ai pas pu dire au revoir à Mery, elle va encore me faire la tête... mentit la jeune fille en lui souriant en retour.
_ Tu l’embrasseras ce soir, répondit son père en lui faisant un clin d’œil.
_ Oui…
Owen se retourna et elle repensa au visage préoccupé de sa mère lorsqu’elle lui avait serré le châle autour de son cou.
Qui pouvaient être ces gens dont ils parlaient hier ? S’ils ne parlaient pas leur langue c’est qu’ils devaient venir de très loin. Eylen y avait pensé la veille avant de s’endormir. Il y avait rarement des étrangers qui venaient jusqu'à Frozir. Eylen avait d'ailleurs du mal à imaginer des gens parlant une autre langue que la sienne. Les seuls étrangers qu’elle avait pu côtoyer étaient les troupes itinérantes comme celle dont sa mère avait fait partie avant d’arriver à Essert.
Viennent-ils des abords la frontière ? Pensa-t-elle. Est-ce qu’ils viendraient de par-delà la frontière ? Elle secoua la tête pour chasser cette idée. Non c’est ridicule ! Le peuple des sables ne vient jamais vers chez nous.
_ Eh ! Brion ! S’exclama une voie enjouée.
Eylen sursauta tant elle était prise dans ses pensées. Une tête blonde était apparue près de la charrette, un large sourire aux lèvres.
_ Tu viens jouer ?
_ Non désolé Josh, fit Brion en bombant le torse et en souriant fièrement. Je vais en ville.
_ Oh… dit Joshua la déception se peignant sur son visage, ses yeux noisette s’assombrissant.
Joshua était né la même année que Brion, ils n’avaient qu’une saison d’écart. Leurs villages étant presque collés l’un à l’autre et ces deux-là passaient leur temps ensemble à jouer au lieu d’aider aux corvées. Le père de Joshua, Périn, était Boulanger de Chénas.
_ Vous croiserez sûrement Papa il est partit ce matin pour faire affaire avec monsieur Juden. On se voit au retour ? Demanda t’il en se rapprochant de l’avant de la charrette.
_ Ton frère est resté au fournil ? Le questionna Owen en le regardant du coin de l’œil.
Eylen détourna vivement le regard, faisant mine de s’intéresser à son mouton.
_ Oui, Maman dit que son pain est meilleur que celui de Père, lui répondit le garçon.
_ Et toi Joshua, tu ne vas pas l’aider ?
_ Si bien sûr…
Eylen le vit baisser la tête et éviter le regard insistant de son père.
_ Bon à bientôt Brion...
Il leur fit un signe de la main et s’arrêta pour les laisser le dépasser.
_ A plus Josh, répondit Brion avec un air désolé. Puis il mima en silence A demain au lavoir !
Le garçon repartit d’un grand sourire et lui rendit un clin d’oeil complice avant de se diriger vers un embranchement vers la droite, qui menait au centre du village.
_ Passes le bonjour à ta mère et à Caleb ! Lui lança Owen en souriant par-dessus son épaule.
_ Oui m’sieur ! Cria le garçon en se mettent à courir.
_ Nous passerons sur le retour pour vous prendre du pain s’il en reste ! Continua le père d’Eylen sur un ton mi amusé mi menaçant.
Owen rit dans sa barbe et Eylen vit Brion à l’avant grimacer, son ami allait être obligé de mettre la main à la pâte aujourd’hui. Ça ne lui fera pas de mal, songea la jeune fille en souriant. Owen lui lança un regard en biais et elle se détourna aussitôt.
_ Hum... cela fera certainement plaisir a votre mère de manger du pain frais ce soir. Tu iras le choisir Eylen ? Lui demanda-t-il en se retournant vers la route.
_ Je n’y connais rien en pain...
_ Pardon ? Parle plus fort.
_ Oui j’irais ! Répondit la jeune fille à contre cœur.
L’ambiance entre Caleb et elle, le frère de Joshua, était devenue étrange depuis un moment. Le fait que leurs parents respectifs parlent d’eux deux concernant l’avenir n’était bien sûr pas étranger à cette situation. La jeune fille avait beau faire comme si de rien était, leur relation autrefois amicale avait peu à peu commencé à changer. Si le jeune homme ne semblait pas mécontent de ce changement Eylen, elle, n’était pas sûre d’apprécier la situation.
Elle aurait aimé que les choses puissent rester comme elles étaient, au moins encore un peu. Au moins deux ou trois hivers, ne seraient pas trop demander. Mais Joshua allait sur sa dix-huitième année et déjà plusieurs filles ne semblaient pas indifférentes à son charme. La jeune fille grimaça, puis se reconcentra sur la route.
Ils étaient sortis du couvert de l’abris des arbres à présent et la route amorçait sa descente en suivant le flan de la montagne à gauche, laissant entendre le son de la rivière plus loin en contrebas sur leur droite. Il leur restait encore la moitié du chemin avant d’atteindre la ville.
Lorsqu’ils arrivèrent enfin en ville le soleil était bien levé et le vent froid du matin avait laissait place la chaleur du début d’automne.
C’était jour de marché et les gens se bousculaient dans les rues à travers les étals des marchands. Frozir était une petite ville, la dernière avant la chaine de montagne de l’Ouest que longeait leur village. Les maisons blanches et grises, construites sur deux niveaux, longeaient la route délimitant chaque ruelle.
Les marchés duraient toute la belle saison jusqu’à la fin de l’automne, c’était à cette période-ci qu’ils pouvaient vendre le plus de leurs produits et acheter de ingrédients comme des épices et autre produits et tissus venant de différents lieux éloignés. Ensuite lorsque l’hiver arrivait leur père se rendait moins souvent en ville. Il vendait généralement ses produits à Juden qui s’occupait de les revendre aux autres villageois environnants. Il était rare durant cette période de croiser des marchands ou des troupes ambulantes.
Quand ils s'approchèrent des abords de la grande place pavée, les bruits des dizaines de personnes discutant et marchandant leur parvins aux oreilles dans un brouhaha jovial. Les odeurs d’épices, de viandes rôties et de tabac vinrent chatouiller leur narines et Eylen se tourna pour rendre à son frère le sourire émerveillé qu’il lui lançait. Les joues du garçon étaient rosies par l’excitation et ses yeux clairs pétillaient de malice.
La jeune fille se tourna sur elle-même pour mieux admirer les tissus de milles couleurs et les bijoux aux pierres brillantes apportées par les marchands nomades.
Quelques mètres plus loin au centre de la place de longues tables avaient été placées autour desquelles les gens se réunissaient pour bavarder, boire un coup ou manger. Un gigantesque brasero au-dessus duquel tournait deux cochons à la broche surplombait les lieux et trois personnes s’affairaient tout autour pour servir les clients agglutinés.
Brion se pencha pardessus leur véhicule pour humer un peu mieux les odeurs ragoûtantes, mais Owen le rattrapa par le col de sa tunique.
_ Tout doux mon grands, grogna-t-il avec un sourire en coin. On a d'abords du boulot, ensuite je vous libèrerais pour que vous en profitiez.
_ Si on a le temps ! Rectifiant-t-il en voyante son fils prêt à bondit sur place.
Ce dernier se laissa tomber sur le banc, incapable de se calmer complètement. Owen les dirigeât alors vers une grande devanture rouge devant laquelle étaient présentés divers saucissons secs, pâtés et jambons secs, et se gara dans la rue adjacente à côté de la porte de service.
_ Bon, dit-il en se retournant vers ses enfants. Vous deux vous m’attendez là le temps que je marchande avec Gill. Il termina en fixant avec insistance Brion qui continuait à sourire béatement.
_ Oui ! Fit se dernier, incapable d’arborer une mine sérieuse.
Eylen pouffa intérieurement et acquiesça de la tête également.
Owen descendit de la charrette et toqua à la porte. Un homme en blouse blanche lui ouvrit, il faisait la même taille qu’Owen, avait des bras comme des abattoirs et une moustache blonde aussi fournie que son crane était lisse, qui contrastait avec ses joues rondes et rouges.
Il jeta une rapide coup d’œil au mouton sans prêter attention aux deux enfants et fit signe à Owen d’entrer en fermant derrière lui.
Leur échange ne dura que très peu de temps et ils revinrent bientôt avec les sourcils froncés. Chacun d’eux semblait mécontents de leur échange, mais Gill prit tout de même tranquillement la longe du mouton avant de serrer la main d’Owen et de partir avec l’animal vers la cour arrière.
Lorsqu’il redémarra la charrette pourtant, Owen affichait un petit sourire satisfait et c’est en sifflotant qu’il mena celle-ci vers l’autre bout de la place principale. C’était toujours comme cela pensa Eylen et levant les yeux au ciel. Lorsque son père négociait avec les commerçants, ils finissaient toujours la conversation comme si aucune des deux parties n’était satisfaite, mais plus tard ils se retrouvaient à boire une chope de bière ensembles en riant à gorge déployées. La jeune fille l’avait suffisamment vu faire pour savoir qu’en réalité chaque partie était satisfait de leurs négociations.
La charrette fit le tour de la place, zigzaguant entre les passants, pour s’arrêter contre l’épicerie de Juden. C’était l’une des plus belles devantures de la place.
Les murs étaient recouvert d’ocre jaune orangé, une grande pancarte en bois vernie sur laquelle était gravée le nom de la boutique trônait au-dessus de la large porte grande ouverte. De chaque côté de cette dernière deux fenêtres en verre véritable brillaient en reflétant les rayons du soleil. Un grand étal recouvert de fruits et légumes étaient sorti, et deux fillettes à peine plus âgées que Brion courraient dans tous les sens pour répondre aux curieux et remplir les caisses en bois. Elles portaient chacune un petit tablier en coton blanc pardessus leur robre verte, et arboraient deux magnifiques tresses brunes qui se balançaient dans leur dos lorsqu'elles courraient.
Eylen observa Owen rentrer dans la boutique. À l’intérieur, une femme rondouillette et souriante servait les clients derrière un présentoir à fromages. Elle avait la même coiffure que les fillettes à l’extérieur et portait également un beau tablier blanc.
Owen lui adressa un rapide salut de la tête et se dirigea directement au comptoir derrière lequel se trouvait Juden. C’était un homme fin et presque aussi grand qu’Owen. Il avait des cheveux cuivré coiffés en arrière avec élégance et une fine paire de lunettes en argents trônait sur son nez aquilin. Lorsqu’il aperçut Owen, sa fine moustache dessina un aimable sourire et il fit signe à ce dernier de le suivre dans l’arrière-boutique.
_ Allez les enfants, au boulot ! S’exclama Owen en sortant de la porte de service avec un air renfrogné. On dépose tout ça dans la réserve de Juden et on va faire nos achats.
_ Oui ! Répondirent-ils en cœurs en sautant de la charrette.
Deux heures plus tard, ils étaient enfin attablés sur la place du village entrain de déguster du cochon de lait. Eylen savourais son morceau de viande qu’elle arrachait vigoureusement de son os, tout en écoutant son père bavarder avec Juden qui s’était joint à eux.
_ Il semblerait que monsieur le Maire ai encore acheté des terres, disait ce dernier à Owen en tirant sur sa pipe.
_ Encore ? Qui a-t-il menacé cette fois-ci ? Le questionna Owen.
_ Le Bouvier de Chénas, et ce n’est pas le premier à qui il achète dans le coin. Tu devrais te méfier mon ami, il ne tardera pas à toquer à ta porte.
_ Et bien, qu’il vienne, Fit Owen en lançant son os à un chien qui guettait entre les tables. Il ne sera pas déçu !
Il se resservit dans le plat un gros morceau de côte et reprit :
_ Mes terres appartiennent à ma famille depuis plusieurs générations, je n’ai pas l’intention de m’en séparer.
Il fit un clin d’œil à Eylen avant de mordre dans sa viande.
_ Tu devrais faire attention, tout de même... Gardes en mémoire ce qui est arrivé à Varen et sa famille...
_ Juden ! Le coupa Maryse, son épouse.
Elle jeta un regard appuyé à Josie et Bonies, leurs jumelles qui discutaient joyeusement avec Brion. Du moins étais-ce l’impression que cela donnait à première vue si on omettait le fait qu'ils essayaient discrètement de se chiper l’intérieur de leurs assiettes respectives.
_ Qu’est ce qui est arrivé à monsieur Varen ? Demanda Eylen à son père en serrant sa jupe sous la table.
_ Ce ne sont pas des histoires pour les enfants ma belle, lui répondit Maryse en lui souriant gentiment.
Eylen était déçue, mais elle s’y attendait un peu. Juden et son père repartirent l’air de rien dans leurs débats commerciaux et elle perdit le fil de la discussion en regardant autour d’elle.
Elle aperçut alors un homme de dos, vêtus d’une longue cape noire à la capuche relevée. Il dépassait d’une tête la plupart des villageois, et devait même très certainement dépasser son père. Il discutait avec un homme brun qui lui arrivait à l’épaule et qui arborait une outrageuse robe fuchsia agrémentée de broderies dorées assortie à un chapeau de la même couleur.
Lorsqu’ils tournèrent sur leur gauche Eylen reconnu le fameux Maire dont parlais son père quelques instants plus tôt. Ce dernier semblait sourire nerveusement et on pouvait apercevoir les gouttes de sueurs perler sur son front. L’inconnu lui tendit une bourse bien rebondit et s’approcha de son visage, certainement pour lui dire quelque chose de confidentiel. Eylen fronça les yeux et se pencha inconsciemment pour mieux voir. Le Maire acquiesça et tendit la bourse bien rebondit à un de ses gardes derrière lui. Finalement l’homme à la cape s’inclina à son tour et repartit en direction d’une ruelle adjacente.
_Quand on parle du loup, murmura Juden qui avait suivi le regard d’Eylen.
_ Il montre de bout de sa queue... Finit son père en se détournant discrètement les yeux vers son assiette.
En effet monsieur le Maire semblait justement s’avancer vers leur table.
Maryse se leva et se tourna vers ses jumelles :
_ Il est temps de rentrer les filles.
_ Oh ! Non, s’exclamèrent les deux sœurs déçues.
_ On peut aller jouer avec Brion plutôt ?
Maryse jeta un regard à son mari qui acquiesça.
_ Mais vous ne faites pas de bêtises et vous ne vous éloignez pas de la place. C’est compris ? Les prévint-il.
_ Oui !
_ Super !
Alors que les trois enfants se levaient du banc, Owen retint Brion par le bras.
_ Eylen, fit-il en se tournant vers la jeune fille, tu les accompagnes.
_ Oui p’pa, répondit cette dernière moitié contente d’avoir une peu de liberté, moitié déçue de ne pas savoir ce qu’il allait se dire.
Elles se joignit à son frère et ils suivirent les deux fillettes vers la rue près de la boutique de leur père. Quand elle se retourna, elle aperçut le Maire qui serrait la main de son père toujours attablé.
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