Chapitre 8

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 Adossé au mur de terre, perdu dans ses pensées, Qahir  observait maussadement le ciel bleu à travers la petite fenêtre de sa chambre. J’ai plus l’impression d’être un prisonnier qu’un patient, pensa-t-il avec agacement.

 Il avait tenté à plusieurs reprises de sortir de cette pièce, mais à chaque fois une prêtresse qui “passait par là” l’en empêchait. À croire qu’elles avaient organisé une ronde pour s’assurer qu’il reste bien enfermé ! Combien de temps vont-elles me garder ici ? Je suis guéri, c’est bon !

 Alors qu’il s’apprêtait à faire une nouvelle tentative d’évasion, la porte s’ouvrit soudain, le faisant sursauter dans son lit.

 L’odeur de l’encens et de la fleur d’oranger vinrent lui chatouiller les narines, et il sut qui était sur le seuil avant même d’apercevoir le tissu violet de la robe d’Aamal.

 Le garçon sauta de son lit, un sourire jusqu’aux oreilles, et s’empressa de retenir la porte à son amie.

 _ Qahir, le salua-t-elle en entrant. 

 _ Aamal, lui répondit le garçon, son sourire s’élargissant encore.

 La jeune femme allait sur sa seizième année, elle avait fini son noviciat de prêtresse de la divination l’année précédente, et arborait à présent la robe violette de ses consœurs, les élues.

 Elle avait un corps élancé que ne pouvait camoufler sa longue robe. Celle-ci étant faite de voilages allant de la couleur violine au mauve, en passant par le lilas et la lavande. Sa longue chevelure noire ondulait sous son fin voile couleur prune qui encadrait parfaitement son visage ovale au teint halé. Ses yeux gris, mystérieux, semblaient voir à travers l’âme des autres, et Qahir s’était souvent perdu dans leur contemplation lorsqu’elle lui parlait. Malgré sa jeunesse, elle semblait avoir déjà vécu mille vies, et elle était pour lui l’incarnation de la sagesse et du savoir.

 _ Tu as l’air de t’être bien remis, continua-t-elle en lui rendant son sourire.

 _ Va dire ça à mes geôlières ! Plaisanta Qahir en jetant un coup d’œil accusateur dans le couloir sombre.

 Aamal rit, lui caressa affectueusement la tête, et le garçon sentit ses joues chauffer doucement.

 _ Ne sois pas comme ça ! Elles ne font que prendre soin de leur patient.

 _ Mais je suis guéri ! Lui répondit-il en écartant largement les bras pour appuyer ses propos.

 _ En effet tu es en pleine forme ! Tu veux te promener avec moi ?

 Qahir jeta un regard suspect dans le couloir

 _ On peut ?

 _Bien sûr, suis-moi, dit la jeune femme en sortant de la chambre.

 Qahir lui emboîta le pas et la suivit le long du couloir obscur. Aucune ouverture ne laissait filtrer la lumière du jour. Les murs faits de terre sombre étaient seulement éclairés par des torches fixées à intervalle réguliers.

 Ils passèrent devant l’une des prêtresses qui était justement “passé par là” plusieurs fois dans la matinée pour empêcher le garçon de sortir, mais cette dernière les salua en baissant respectueusement la tête devant Aamal. Les autres femmes voilées de noir qu’ils croisèrent baissèrent elles aussi la tête à leur passage, et Qahir se demanda d’où leur venait ce changement soudain de comportement. Observant Aamal, il s’aperçut que cette dernière ne semblait nullement étonnée de la situation, et il décida donc d’en faire de même.

 Ils arrivèrent finalement sur une cour intérieur, bordée d’arches de pierres et de plantes vertes. Au milieu du sol pavé se tenait une petite fontaine qui laissait échapper le son apaisant du clapotis de l’eau. Aamal alla s’asseoir sur le rebord en plongeant pensivement ses doigts dedans. 

 Le garçon contempla les lieux avant de la rejoindre à son tour.

 _ On a le droit de rester ici ? Finit-il par lui demander légèrement anxieux.

 Ils étaient dans le temple des prêtresses de sang ; Qahir avait entendu peu d’histoire sur ce lieu, si ce n’est que n'importe qui ne pouvait s’y promener librement sans y être invité. Il était déjà étonné d’avoir eu la visite de son ami Babil, et maintenant voilà qu’Aamal aussi était là. Pourtant les quelques prêtresses qui se baladaient dans la cour ne semblaient nullement choquées, et certaines leurs jetaient des regards discrets, presque avec déférence.

 _ Oui, lui répondit la jeune femme en plongeant son regard dans celui du garçon. Les prêtresses de divination ne sont pas restreintes à leur propre temple contrairement à celle du sang.

 Qahir acquiesça, pas tout à fait convaincu, mais il ne connaissait guère les détails de la hiérarchie entre les différents temples des prêtresses. 

 Elle arrêta son geste dans l’eau pour le fixer intensément. 

 _ Demain l’empereur organisera une fête, pour célébrer la victoire sur le démon des ruines.

 _ Oh ? Génial ! s’exclama Qahir, impatient de pouvoir s’amuser avec Babil.

 Dans la cité impériale, les fêtes étaient l’occasion pour tous de s’amuser et rire ensemble. Le palais distribuait lors de ces occasions des mets et des boissons à toute l’armée, qu’ils soient volontaires ou non, Garidan ou Garandï.  Tout le monde partageait et profitait ensemble. Dans ces moments-là, les rues étaient remplies de lumières multicolores, d’odeurs alléchantes et des rires des enfants. On pouvait aussi assister, si on en avait la chance, à des spectacles de rue, des numéros d’équilibriste, ou même observer de véritables cracheurs de feux. 

 Il pourrait certainement aller s’amuser dans les rues de la cité avec Babil et les autres gamins de leur escouade. Cela faisait bien longtemps que le peuple n’avait pas eu quelque chose à fêter, pensa le garçon.

 Aamal continuait de l’observer sans rien dire, comme si elle avait suivi le fil de ses pensées.

 _ Tu y seras ? Finit-il par lui demander plein d’espoir.

 _ Bien sûr. Je ne raterai cela pour rien au monde.

 _ Super ! Alors nous pourrions nous croiser !

 _ Nous allons faire plus que nous y croiser...

 _ Que veux-tu dire ? La questionna le garçon, étonné par cette étrange réponse.

 _ Demain tu seras intronisé lors de la cérémonie pour devenir un appenti Garandï.

 _ Quoi ? S'écria-t-il surpris, avant de jeter un regard gêné autour de lui.

 Qahir n’avait jamais ne serait-ce qu’espéré devenir un jour Garandï. Ces derniers étaient l’élite de l’armée. La garde impériale, chargée de protéger le palais de l’empereur, ainsi que sa majesté. C’étaient des soldats surentrainés, capables de transformer leur énergie intérieure en aura protectrice ou destructrice. Il ne saurait jamais faire une telle chose ! Il jeta un regard presque implorant à la jeune femme qui soupira doucement avant de lui caresser l’épaule.

 _ Suis-moi, je vais t’expliquer.

 Aamal se releva et se dirigea, Qahir sur ses pas, de l’autre côté de la cour vers une grande porte en métal cuivré, faite de milliers d’entrelacements de fils de métal.

 Une des gardiennes qui se tenait au bord l’ouvrit pour eux, et s’inclina sur leur passage. La voyante la remercia d’un signe de la tête et ils entrèrent dans un grand hall lumineux. Les murs et le sol étaient fait de plaques de pierre blanches et brillantes.  Quelques prêtresses, voilées de noir, de violet, et même certaines en robes brunes de novice, marchaient silencieusement. En posant ses vieilles scandales usées sur le sol, Qahir eut l’impression de salir la pierre, comme s’il ne méritait pas de le fouler. La gêne s’empara alors de lui, et il se fit tout petit en avançant derrière son amie, espérant qu’on ne le remarque pas.

 Cette dernière avança calmement droit devant elle, sans s’apercevoir du malaise grandissant du garçon. Puis elle poussa une porte en bois clair et ils déboulèrent à nouveau dans un petit couloir faiblement éclairé.

 _ Ce passage mène au temple de la divination, lui expliqua-t-elle en continuant d’avancer. Le hall que nous venons de passer est au centre des deux temples de la cité, celui de la divination et celui du sang.

 Qahir hocha la tête tout en continuant de la suivre, déjà plus à l’aise que dans ce fameux hall. Aamal s’arrêta finalement devant une porte en bois sombre, l’ouvrit, et fit signe au garçon d’entrer avec un sourire encourageant.

 _ Je t’en prie.

 Il s’exécuta et découvrit une pièce faite de pierre grise, éclairée par une grande fenêtre agrémentée de morceaux de verres colorés. Au milieu, trônait un grand bureau en bois rouge vernis sur un magnifique tapis tissé de fils colorés et dorés. Sur la gauche, une ouverture donnait sur une seconde pièce qui semblait vide. A droite, le rideau entrouvert laissait apparaitre un lit en bois et une petite commode assortie.

 Qahir réalisa que c’était certainement la chambre de son amie en rosissant.

 _ euh... c’est ta chambre ?

 Aamal rigola devant son air ahuri et acquiesça.

 _ Mais elle est gigantesque !

 _ Ce sont mes nouveaux appartements, lui répondit-elle pleine de fierté non dissimulée.

 _ Ouah ! Comment as-tu eu un tel privilège ? La questionna le garçon en allant tester le moelleux de la banquette qui était installé contre un mur.

 _ Humm... Par où commencer, dit-elle en se tapotant le menton du doigt, pensive. Connaissant votre habitude à Babil et à toi d’espionner les Garandïs, tu dois certainement déjà savoir pour quelles raisons vous êtes allés aux ruines avec l’armée des Garidans. Je me trompe ? 

 - Oh... Commença le garçon en évitant son regard, mais en souriant malgré lui. Oui j’ai entendu deux trois trucs, mais je ne suis sûr de rien...

 _ Très bien, fit-elle en venant s’assoir à ses côtés, s’accoudant au dossier de la banquette. Il y a de cela une semaine, une vision a été révélé par le temple de la divination à sa majesté l’empereur. Cette vision parlait d’un démon qui errait dans les ruines du clan des Dorogaïs.

 Qahir frissonna en entendant le nom de cet ancien peuple maudit, et se concentra plus profondément sur les paroles de la jeune femme.

 _ La vision disait qu’un démon y rôdait les nuits de pleines lunes. Et que s’il parvenait à terrasser ce démon l’empereur recevrait un présent.

 _ Oui ! C’est exactement ce que m’a dit Babil, s’exclama Qahir avant de poser une main sur sa bouche, embarrassé.

 Aamal rigola mais ne lui en tint pas rigueur.

 _ La vision ayant été exaucée, et l’empereur ayant reçu un présent, il se devait donc de remercier celle qui était à l’origine de cette vision, continua-t-elle en souriant, énigmatique.

 Qahir demeura immobile un instant, puis réalisa avec surprise la signification de ces derniers mots.

 _ Oh ! Ah ! Donc c’est toi qui …?

 Aamal hocha la tête.

 _ Waouh... Félicitations alors ! Lui dit-il impressionné.

 Une question le travaillait toujours, cependant, et il se risqua à questionner la jeune femme.

 _ Est-ce que tu sais quel est le présent qu’a reçu l’empereur ?

 _ Oui, lui répondit Aamal en le fixant intensément.

 Le silence s’installa et Qahir se demanda si elle allait lui répondre. Elle finit par reprendre après un long moment.

 _ En réalité, ce n’est pas l’empereur qui a reçu un présent. Pas vraiment... Cela aurait été différent s’il avait, comme lui avait annoncé la vision, tué lui-même le démon. Mais nous savons tous les deux, ainsi que le reste de la cité, que ce n’est pas le cas. N’est-ce pas ?

 Le regard de la voyante se fit plus profond et Qahir aurait aimé détourner les yeux, mais en était totalement incapable.

 _ Oui, en effet, répondit-il gêné.

 _ Ce soir-là, reprit’elle en se relevant, le libérant ainsi de son attention, lorsque tu as vaincu le scorpion, ce n’est pas l’empereur qui a reçu un cadeau... C’est son peuple qui l’a reçu.

 Elle était dos à lui à présent, regardant au dehors, à travers la fenêtre qu’elle avait ouverte.

 _ La vision disait que le démon offrirait à celui qui le vaincrait, l’espoir. Continua-t-elle en se retournant vers lui pour plonger à nouveaux ses yeux gris dans les siens. Et cet espoir, c’est toi... Qahir.

 Le garçon la regardait sans comprendre.

 _ Moi ... ?

 Elle revint s’assoir tout près de lui, leurs jambes se frôlant presque.

 _ Tu n’en as peut-être pas encore conscience, mais lorsque tu as tué le démon, quelque chose t’a été transmis, dit-elle en posant sa main sur la blessure qu’il avait à la poitrine.

 Qahir suivit sa main du regard, ressentant alors une vive énergie le traverser dans tout le corps. Il se sentait tout à coup plus fort, plus rapide, pouvant discerner plus intensément la chaleur des doigts de la jeune femme sur sa peau. 

 Puis Aamal retira sa main, et la sensation disparut aussitôt.

 _ Le scorpion t’a donné sa force, son aura. Celle-ci t’a guéri et rendu plus fort... Et bientôt tu deviendras encore plus fort et puissant Qahir. Tu vas faire de grandes choses. Tu es l’espoir offert à notre peuple. Grâce à toi, nous pourrons un jour marcher sur la terre verte et fertile de l’autre côté de la frontière. Tu es celui qui, avec la force du démon, libérera notre peuple de cette maudite frontière.

 Qahir sentait son cœur tambouriner dans sa poitrine, et avait la sensation que la tête lui tournait tellement il avait d’informations à encaisser. Il ne pouvait détourner son regard des yeux profonds de la voyante, se sentant tomber dedans comme dans un océan d’incertitudes.

 _ Tu fais erreur... Tu dois te tromper... commença-t-il la bouche sèche.

 _ Je ne fais pas d’erreur, lui répondit Aamal en se redressant de toute sa hauteur, pleine de fierté. J’ai vu ton avenir, j’ai aussi vu celui de notre peuple. Souviens-toi Qahir, c’est moi qui t’ai donné ce nom, continua-t-elle à présent autoritaire. Ce n’est pas un nom ordinaire. Il signifie le conquérant, le victorieux... Tu es celui qui guidera notre peuple vers la liberté et qui conquerras les terres de l’autre côté.  

 Qahir l’observait à la fois affolé et admiratif, ne sachant plus quoi faire ou dire de peur de s’attirer ses foudres. Elle qui avait toujours été si douce avec lui, semblait aujourd’hui être une autre personne, qui lui était totalement étrangère.

 Voyant son désarroi, elle s’approcha et lui prit le visage entre les mains, ses traits s’adoucissants enfin.

 _ Ne t’inquiètes pas Qahir, lui dit-elle en souriant. Tu es destiné à de grandes choses, et je serai là pour t’y guider. Tu représentes l’espoir de tout notre peuple désormais. Je sais que tu ne me décevras pas...

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