Chapitre 9

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Eylen était tranquillement adossée au tronc d’un grand chêne, les yeux fermés, profitant de la chaleur du soleil. Sa petite sœur Mery, était blottie conte sa poitrine, la jeune fille lui caressant affectueusement les cheveux.

Soudainement, une ombre passa sur son visage, elle rouvrit les yeux et aperçut d’énormes nuages noirs qui assombrissaient le ciel. Elle se redressa, tenta de réveiller Mery pour qu’elles rentrent vite à la maison. Mais la petite fille restait immobile, lorsqu’elle baissa son regard, elle découvrit sa sœur pâle et rigide.

Elle se releva d’un bon, horrifiée, la respiration saccadée.

_ Mery !

Se retournant vers la ferme. Vite ! Il fallait prévenir papa et maman !

Elle courut à toute allure, dévalant les champs à une vitesse folle. Arrivée dans la cour, elle se précipita vers l’habitation, mais son pied se cogna contre quelque chose de mou, et elle tomba au sol.

Se retournant, elle tavec horreur le corps sans vie de son père, gisant dans une mare de sang qui se répandait peu à peu jusqu’à elle.

Tremblantes, les yeux remplis de larmes, elle recula toujours sur les fesses vers l’entrée de la maison.

Une main se posa alors sur son épaule, la faisant sursauter.

_ Tu viens manger ma puce ? Tout le monde t’attend, Lui dit sa mère avec un doux sourire.

Elle était penchée au-dessus d’elle, sa longue tresse noire retombant par-dessus son épaule, ses magnifiques yeux noisette posés sur elle avec tendresse.

Sa mère se releva et lui fit signe de la suivre. Elle entendait les rires et les bavardages de sa famille provenant de l’intérieur de la maison. Se relevant doucement, elle regarda à nouveau la cour. Plus rien. Le corps avait disparu. Soulagée, elle s’avança alors vers la porte.

 Dans la cuisine, toute sa famille était attablée et discutait joyeusement. Son père buvait un verre de vin dont les gouttes coulaient le long de son menton, Brion et Mery se battaient avec leur cuillère et sa Mère était en train de resservir copieusement leurs assiettes. Son père l’aperçut et lui adressa un clin d’œil.

_ Alors ? Tu nous rejoins ? Lui dit-il.

_ Dépêche-toi ! Lui dit Mery on t’attend !

_ Allez ! renchérit Brion en dirigeant vers elle ses grands yeux bleus.

Mais alors qu’elle s’apprêtait à entrer, de gigantesques flammes jaunes jaillirent tout autour de la table.

_ Attention ! Cria la jeune fille.

Mais ils ne l’entendaient pas, ne semblant même pas remarquer le feu qui embrasait leurs corps. Elle tendit la main, essayant d’avancer, mais la porte se referma devant elle, l’empêchant de les atteindre.

 Eylen se réveilla paniquée, la respiration saccadée, sa sueur faisant coller le tissu de ses vêtements à sa peau. Repoussant le drap qui l’enveloppait, elle réalisa qu’elle se trouvait dans un petit lit de bois à l’intérieur de ce qui semblait être une chambre. Les murs, le sol et le plafond étaient faits de larges lattes de bois sombre et poussiéreux. Sur une table de chevet était posée une vielle lampe à huile, qui éclairait faiblement la pièce. Par la fenêtre, les premières lueurs de l’aubes faisaient leur apparition entres les arbres, donnant au lieu un aspect mystérieux et apaisant.

 Tendant l’oreille, la jeune fille perçut le sifflement d’une respiration régulière. Elle ramena le drap sur elle avec nervosité, et tourna son regard vers l’unique porte en bois de la chambre. Celle-ci était entrouverte, laissant apercevoir une seconde pièce qui devait être un salon. Eylen pouvait distinguer le dossier d’un vieux fauteuil vert sapin en tissus, sur lequel était nonchalamment allongé un gros chat gris aux longs poils, qui fixa son regard fauve sur elle. Ils se dévisagèrent longuement, s’évaluant mutuellement, puis le félin tourna lentement la tête de l’autre côté du canapé, ayant dû estimer qu’elle ne méritait plus son attention.

 Eylen prit alors une grande inspiration et se décida à sortir du lit. Posant les pieds au sol, elle découvrit qu’ils avaient été bandés avec soins, le tissu d’un blanc délavé remontant jusqu’ au-dessous de ses mollets. Elle s’appuya précautionneusement contre le matelas pour se relever, et sentit la douleur irradier de la plante de ses pieds jusque dans ses cuisses. Elle retomba aussitôt, fesses en premières, sur le lit.

 _ Vas-y doucement, La surprit une voix bourrue.

 Relevant la tête, elle aperçut dans l’entrebaillement de la porte à présent ouverte, une vielle femme qui l’observait, une main sur la poignée. Ses cheveux gris étaient rassemblés en un chignon qui surplombait sa tête, laissant s’échapper quelques mèches folles qui venaient encadrer son visage strié de rides profondes. Elle fixait sur Eylen un regard dur et intense. Semblant juger la jeune fille inoffensive, elle finit par entrer dans la chambre et s’assoir sur la chaise à bascule qui était près de la fenêtre.

 _ Tu m’as filé une sacrée frousse, petite ! Dit-elle en lui souriant.

 Eylen ne répondit pas. Incapable de savoir quoi dire.

 _ On n'a pas idée ! Pousser un roupillon à même le sol dans les bois ! J’ai failli m’écrouler de tout mon long sur toi ! Rigola-t-elle. Crois-moi, tu n’aurais pas apprécié.

 Elle lui fit un clin d’œil amusé et plongea sa main dans sa poche pour attraper un objet, qu’elle lui lança.

 Eylen le rattrapa par réflexe et reconnut le pendentif qu'elle avait récupérer du cou de sa mère. C’était un petit disque de métal, une face était entièrement blanche hormis un petit point noir en son centre, l'autre face était noire, avec un petit point blanc au mileu également. Elle sentit instantanément sa gorge se serrer, et un long frisson froid parcourir son dos. Elle serra ses mains bandées autour du précieux objet et se mordit les lèvres pour ne pas laisser les sanglots sortir de sa bouche.

La vielle femme, silencieuse, l’observait les mains croisées sur ses genoux.

 _ Ecoute, je ne te demanderai pas de me dire qui tu n'es ni d’où tu viens. Ces choses-là ne m’intéressent pas. Tant que tu promets de ne pas me nuire ou me voler, tu peux rester ici. Je te soignerais, je suis plutôt douée pour ça !

 Elle gloussa doucement et se releva, s’approchant d’Eylen.

 _ Alors, ta réponse ?

 Eylen hoche de la tête en la fixant.

 _ Bien c’est entendu !

 Elle lui tendit la main en signe d’accord, que la jeune femme pris maladroitement.

 _ Je m’appelle Sidélie, mais tout le monde m’appelle Elie ou la vielle Elie, comme tu préfères.

 Eylen s’apprêtait à lui répondre, mais quand elle ouvrit la bouche pour parler, aucun son ne sortit. Etonné elle plaça sa main sur sa gorge et réessaya, en vain. Sa bouche restait obstinément muette. Elle regarda avec panique la vielle femme qui posa calmement une main sur son épaule.

 _ Ce n’est rien petite, tu as tout ton temps. Ça finira par revenir.

 — Petite ! Viens m’aider à porter ce panier !

 Eylen s’aida du tronc contre lequel elle était appuyé, se redressa puis fit le tour de la petite habitation de bois pour rejoindre la vielle guérisseuse, ses pieds nus foulant doucement le sol de mousse.

 La vielle femme trainait derrière elle un énorme panier, qui lui arrivait à la taille. Il était rempli de fleurs d’un bleu azurin clair magnifiques d’où elles tiraient leur nom ; Les fleurs de pureté. À leur vue, la jeune fille se remémora les moments passés avec sa mère ; quand elles préparaient ensemble le fameux remède à base de ces mêmes plantes, qu’elle leur versait dans les yeux pour les protéger de la lumière du soleil.

 _ Et bien ! Tu comptes venir me filer un coup de main, ou simplement me regarder bosser !

 Eylen se précipita de l’autre côté de la corbeille pour attraper la deuxième anse. Elle était tellement chargée, qu’elle dû s’y prendre à deux mains pour réussir à la soulever. La poignée en rotin appuyait douloureusement sur sa paume blessée, là où elle s’était brûlée avec le pendentif de sa mère ; elle fut soulagée lorsque, arrivée dans la salle de bain, Sidélie posa enfin leur fardeau au sol.

 _Aah ! Merci mon enfant ! Souffla la vielle femme en se tenant la taille. J’ai passé l’âge de faire ce genre de choses !

 Eylen rigola silencieusement essuyant ses mains moites sur la laine de sa robe brune, que la vielle femme lui avait donné.

 Cela faisait trois jours que la vielle guérisseuse l’avait accueilli, mais elle n’arrivait toujours pas à parler. Elle s’en été inquiété la première journée, puis s’était vite faite à l’idée. De toute façon elle n’avait pas très envie de parler ; encore moins de devoir raconter pourquoi elle était ici.

 Sidélie commença à transvaser les fleurs de pureté dans la grande baignoire en métal, et la jeune fille s’empressa d’en faire autant. Elle ne voulait pas être un poids pour la vielle femme, comptant bien mériter l’aide qui lui était si généreusement offerte. Sa compagne ne crachait jamais sur ses coups de mains, la regardant en souriant comme si elle la comprenait. Elle ne s’offusquait pas non plus qu’Eylen ne parle toujours pas, continuant de lui parler comme si le fait qu’elle réponde ou non n’avait aucune importance. Pas qu’elle ait eu besoin de ça pour la comprendre de toute façon, la vielle femme était à la fois très perspicace et discrète.

 Une fois qu’elles eurent vidé le panier, elles remplirent la baignoire d’eau, se servant de seaux qu’elles approvisionnaient dans la rivière qui passait juste en contrebas de la maisonnette.

 Eylen n’aimait pas s’éloigner de l’habitation, craignant toujours que quelqu’un arrive et la reconnaisse. Elle était terrifiée à l’idée que les hommes du maire ou pire, les étrangers en noir, ne viennent la chercher jusqu'ici. Elle restait donc aux alentours de la maison, Sidélie lui ayant interdit de rester allongée les yeux fixés au plafond, immobile, comme elle l’avait fait les deux premiers jours de son arrivée. Elle s’asseyait donc dans l’herbe ou contre un arbre, le regard toujours perdus dans le vague.

 La journée, elle ne pensait pas vraiment à ce qui lui était arrivée. Elle ne pensait d'ailleurs à rien en particulier, laissant simplement le temps défiler devant ses yeux. La nuit par contre, c’était une toute autre histoire. Chaque fois qu’elle fermait les yeux, elles revoyaient les scènes horribles se dérouler en boucle devant elle, et sentait la présence sombre de l’homme aux yeux noir qui se rapprochait, la traumatisant un peu plus à chacun de ses réveils. Pour éviter d’aller dormir, elle restait éveillée tard le soir, prétextant aider la vielle femme et écoutant ses histoires.

 Sidélie lui avait expliqué qu’elle se trouvait juste au-dessus de Abies, un petit village un peu reclus. Il fallait moins d’une heure de marche pour s’y rendre, mais le retour prenait généralement plus de temps ; la vielle femme ayant de plus en plus de mal à remonter la piste avec ses articulations douloureuses.

 Eylen s’était étonné qu’elle ne vive pas tout simplement au village si c’était si contraignant.

 _ Les fleurs de puretés ne poussent pas en bas des montages ! S'était agacé la vielle femme, devinant son questionnement silencieux. Et puis je suis mieux ici, à la Fuste, c’est ma maison tu comprends.

 Oui, Eylen comprenait.

 Sidélie passait le plus clair de son temps à préparer des remèdes pour les villageois environnants. Elle était autrefois une guérisseuse de renom ; certains veinaient d'ailleurs de la cité royale jusqu’ici pour demander ses conseils ou pour avoir recours à ses soins. Mais c’était plus souvent les habitants d’Abies qui faisaient appel à ses services. Il n’était pas rare qu’un patient vienne frapper à la porte aux premières lueurs de l’aubes ou tard le soir pour des urgences ou des affaires incommodantes.

 Elles s’étaient installées devant la maison chacune sur une chaise, équeutant les haricots verts qu’un patient avait offert en guise de paiement.

 Soudainement, la vielle femme releva la tête et demanda calmement à sa compagne :

 _ Je ne te l’ai pas demandé, mais je suppose que tu ne veux pas que l’on sache que tu te trouves ici. Je me trompe ?

 Eylen fit vivement non de la tête. Se mordant les lèvres, elle regarda autour d’elle affolée. Il n’y avait personne dans les environs. Pourtant la vielle femme poursuivit.

 _ Alors, je ne saurais trop te conseiller de rentrer à l’intérieur et de t’y trouver une bonne cachette. Nous avons de la visite, et ils ne viennent pas d’Abies.

 Elle lança un regard appuyé aux bois, en direction du sud. Là où se trouvait son village.

 La gorge d’Eylen se serra, elle se leva d’un bon, prit sa chaise pour la replacer à l’intérieur et aperçut Sidélie qui rassemblait tranquillement les deux tas d’haricots verts en un seul. Eylen tourna sur elle-même, à la recherche du meilleur endroit pour passer inaperçu. La chambre était un endroit trop logique pour se cacher, de même que la réserve, où il n’y avait rien d’assez gros pour la camoufler.

 Son regard se posa sur la baignoire remplie d’eau et de fleurs de pureté. Les plantes bleues flottaient à la surface, cachant totalement le fond de cette dernière. Je suis suffisamment petite. Un bouquet d’angélique était posé sur la table, elle prit le couteau qui était posé à coté, coupa une des longues tiges creuses juste sous la fleur et se dirigea rapidement vers la salle de bain. Elle entendait à présent le faible galop des chevaux à l’extérieur qui ne tarderaient pas à arriver. Comment Sidélie les avait-elle entendus d’aussi loin ? N’ayant pas le temps d’y réfléchir, la jeune fille entra dans la baignoire, ses pieds nus se recroquevillant au contact de l’eau froide. Elle s’assit doucement dans l’eau pour ne pas éclabousser le sol, coinça une extrémité de la tige d’angélique entre ses lèvres, inspira profondément et plongea en arrière, disparaissant sous la surface de fleurs bleues.

 Immobile, les yeux ouverts, elle observait les centaines de fleurs flottant dans l’eau, qui laissaient s’écouler leurs pigments en petites vaguelettes colorées dans l’eau. Son tube végétal dépassait légèrement de l’eau, lui permettant de respirer doucement.

 Enfin, elle entendit la voix d’un homme à l’extérieur. Il échangea quelques mot aves la vielle guérisseuse, des bruits de pas résonnant sur le plancher lui indiquèrent qu’au moins deux, voire trois personnes étaient entrées dans le salon. Les hommes semblaient se déplacer innocemment dans la pièce principale, ou peut-être inspectaient-ils à la dérobée les lieux ?

 Son cœur s’accélérât encore lorsque certains se rapprochèrent d’elle. Elle garda les yeux grands ouverts, certains cheveux noirs échappés de sa tresse flottants au-dessus d’elle. Elle perçut alors la voix de Sidélie qui se dirigeait vers elle.

 Soudain une ombre se pencha au-dessus d’elle et une main surgit vivement d’entre le tapis de fleur. Eylen se figea, et faillit lâcher sa tige de surprise. Mais l’homme se contenta d’effleurer la surface de fleurs avant de repartir tranquillement en direction du salon.

 Ils discutèrent encore quelques instants, et repartirent rapidement, laissant la jeune fille terrifiée au fond de son bain gelé.

 Enfin, quand Eylen commença à se dire qu’elle pouvait peut-être sortir de sa cachette, la main fripée de Sidélie apparut dans l’eau pour l’aider à remonter.

 Elle saisit la main tendue, se redressa et inspira violement une grande gorgée d’air frais. Au-dessus d’elle, la vielle femme observait la baignoire la mine soucieuse.

 — Merci, dit-elle en respirant lentement pour reprendre son souffle.

 Sidélie la regarda étonnée. La jeune fille posa alors sa main sur sa gorge, ahurie et baissa les yeux. Les fleurs de la baignoire étaient devenues entièrement noires et flétries.

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