Chapitre 10

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 Eylen était allongée de tout son long dans les herbes sauvages, certaines venant lui chatouiller le visage. Les nuages cotonneux avançaient doucement aux grés du vent, recouvrant parfois le soleil brillant du matin. Elie était parti prodiguer des soins à certains de ses patients, et ne rentrerai que dans l’après-midi.

 Ne sachant quoi faire, et n’ayant pas d’envie particulière, la jeune fille avait décidé de se poser dans une prairie en hauteur, non loin de la Fuste, depuis laquelle elle pouvait observer les environs.

 Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis la visite inopportune des hommes du maire. Ces derniers disaient rechercher une adolescente en fuite après l’incendie de sa maison. Le ton qu’ils avaient employé pour la décrire laissait clairement penser qu'elle était soupçonnée d’avoir elle-même mis le feu à la ferme et de s’être enfuie après.

 L’amertume monta en elle à cette pensée, une bouffée de colère faisant accélérer sa respiration. Elle s’imaginait apparaissant devant le maire, au milieu de Frozir, dénonçant tous ses crimes. Les gens lui jetteraient des pierres, le hueraient, elle en profiterait alors pour s’avancer vers lui et lui enfoncer une dague dans le cœur !

 Elle se calma vite cependant. À quoi cela servirait-il ? Sa famille était morte de toute façon. Elle ne les reverrait plus jamais. Qu’est-ce que cela changerait de les venger ? Et surtout, elle n’en avait pas la force.

 Elle se demandait ce qu’elle faisait encore ici. A quoi bon ? Plus rien ne l’intéressait. Seule la peur l’accompagnait, la poussant à avancer, sans raison. Elle pourrait aussi bien fermer les yeux, et ne plus les rouvrir.

 Elle s’exécuta, se retrouvant dans le noir, seule avec ses pensées moroses. Elle se revit alors dans la baignoire d’Elie, cachées par les fleurs de puretés flottants à la surface de l’eau. Si elle avait lâché la tige qui lui permettait de respirer, que ce serait-il passé ? Serait-elle morte, noyée ? Bien sûr que non ! Idiote. Elle se serait simplement fait attraper par les hommes du maire. Et là, c’est clair que j’aurai préféré mourir. Elle pensa alors à la vieille guérisseuse. Elle aurait eu des ennuis s’ils l’avaient trouvé chez elle. D'ailleurs elle risquait toujours d’avoir des ennuis en l’accueillant comme elle le faisait.

 Eylen rouvrit les yeux et se tourna sur le flanc. La tête posée sur son avant-bras, elle tritura machinalement le pendentif de sa mère pendu à son cou. Elle se remémora alors la conversation qu’elle avait eu avec la vieille femme, le soir de cette fameuse journée.

— Tu n’es vraiment pas banale ma fille. Entre les traits de ton visage hors du commun, le fait que tu sois recherchée comme une criminelle, et voilà que maintenant tu fais mourir les plantes mystérieusement. Commença la guérisseuse en buvant une gorgée de son thé, installée dans son canapé. Je ne dis pas ça pour te mettre mal à l’aise, mais j’avoue que tu commences à m’intriguer.

Eylen, assise près de la cheminée allumée, pour se sécher, resserra les pans de la couverture dans laquelle elle était emmitouflée. Elle regarda le sol gênée, ne sachant quoi répondre.

 _ Et bien, maintenant que tu as retrouvé la parole, au détriment de ma récolte entière de la journée, soit dit en passant, peut-être pourrais-tu m’éclairer un peu ? Je n’ai pas pour habitude de poser des questions, mais si tu veux que je t’aide, j’ai besoin d’en savoir un peu plus, continua-t-elle en s’adoucissant.

 _ Je n’ai pas besoin d’aide, lâcha la jeune fille de but en blanc.

 Elle rougit et se mordit la lèvre, ayant conscience de son impolitesse.

 La vielle Elie rit doucement.

 _ Très bien, c’est vrai que tu ne m’as rien demandé. Donc... ces hommes ont dit rechercher une certaine Eylen. C’est bien toi n’est-ce pas ? En même temps peu de gens ont des yeux en amandes bleus et bridés comme les tiens.

 Elle lui lança un regard insistant. Eylen grimaça.

 _ Oui, c’est bien moi, avoua-t-elle en soupirant. Mais, je n’ai pas mis le feu à ma maison !

 _ Je m’en doutais, va. Ces hommes avaient clairement l’air d’être des brigands, et si tu veux mon avis, cela m’étonnerait qu’ils te ramènent vivante devant leur maire.

 Oui, cela semblait logique. Le maire n’avait pas d’intérêt à ce qu’elle rentre chez elle vivante. Il valait mieux pour lui qu’elle soit morte, et qu’il n’y ait personne pour hériter des biens de son père. Ainsi il pourrait disposer tranquillement des terres qu’il convoitait tant. Ces hommes étaient donc à sa recherche soit pour la tuer, soir pour s’assurer qu’elle était morte dans la forêt. Si elle revenait, il mettrait certainement tout en œuvre pour la faire accuser du meurtre de sa famille, et la faire disparaître.

 _ Je ne peux pas rentrer chez moi... murmura-t-elle pour elle-même.

 _ Non, en effet. C’est difficilement envisageable...

 Un long silence s’installa, seulement interrompu par les craquements du feu, et les ronronnements du chats gris, qui était venu se lover entres les jambes de la jeune fille.

 _ Maintenant, peux-tu m’expliquer ce que tu as fait dans cette baignoire ?

 Eylen nia de la tête en grimaçant.

 _ Je n’ai rien fait du tout ! Je ne sais pas ce qu’il s’est passé...

 _ Je n’avais jamais vu des fleurs flétrir aussi rapidement, marmonna Elie. Et tu es sortie de cette eau en retrouvant ta voix, comme par miracle... les fleurs de puretés servent à soigner, mais il aurait fallu les boire pour guérir ta gorge. C'est d'ailleurs le remède que je m’apprêtais à préparer, mais... Est-ce que tu as bu l’eau du bain ?

 _ Non.

 _ Hum... c’est vraiment étrange. C’est presque comme si tu avais aspiré la vie des fleurs pour te soigner... Elle secoua la tête. Non c’est du jamais vu, même les plus puissants mages du royaume sont incapables de faire ce genre de chose.

 Elle s'arrêta et fixa intensément la jeune fille. Puis elle posa sa tasse sur la petite table, se redressant sur son siège.

 _ Peux-tu venir ici ?

 Eylen acquiesça et la rejoignit sur le petit canapé. Elie posa ses deux mains, paumes vers le plafond, sur ses genoux.

 _ A-t-on déjà testé tes capacités magiques ?

 _ Non, j’étais malade le jour de l’évaluation, maman n’a pas voulu que je me rende en ville pour y aller.

 _ Très bien. Tu vas voir ce n’est pas douloureux. Je ne suis pas mage, mais je peux tout de même t’évaluer. Pause tes mains sur les miennes, et laisse-toi faire.

 Eylen s’exécuta. Voyant que la vieille femme fermait les yeux, elle en fit de même. Elles restèrent ainsi un long moment, puis Elie lâcha doucement ses mains sans rien dire. Ses sourcils étaient froncés, elle prit une des sphères posées sur la table qui s’éclaira d’une lumière douce à son contact. Eylen ouvrit inconsciemment la bouche. Elle était toujours impressionnée lorsque qu’elle regardait des gens utiliser la magie. Dans sa famille, personne n’avait de prédisposition en magie, donc ils ne l’utilisaient simplement pas.

 _ Alors ? Demanda-t-elle, une légère pointe d’espoir au fond d’elle.

 _ Alors tu n’as pas une seule goutte d’énergie magique en toi, lui répondit la vielle femme qui semblait profondément déçue. Elle grimaça. Désolée, ce n’était pas très subtil comme façon de te l’annoncer.

 Elle lui tapota la cuisse. Eylen regarda sa main, elle ne s’attendait pas à en avoir beaucoup, mais pas du tout ? Elle sentit naitre en elle une pointe de déception.

 _ Encore un mystère à rajouter à ta liste.

 Eylen lui jeta un regard interrogateur.

 _ comment ça ?

 _ Et bien, la plupart des gens, même s’ils ne sont pas doués de magie, possèdent tout de même un infime part d’énergie magique en eux. On appelle l’appelle l’Energie, tout simplement. Il est très rare de ne pas en posséder du tout. Les animaux eux-mêmes possèdent une énergie magique en eux, différente certes, mais présente.

 _ Alors... Je suis anormale ?

 _ Oui et non. Tu n’es pas la seule, j’ai entendu dire qu’il était arrivé à certains mages de tester des gens dépourvus d’Energie. Mais ce sont des paroles rapportées, qui dates d’il y a plusieurs années déjà, et je n’ai jamais connu quelqu’un qui en ai croisée lui-même. Après, je ne suis pas une grande magicienne, donc pas la mieux placée pour te parler de tout cela. Je ne suis qu’une simple guérisseuse. Douée, certes, mais ça s’arrête là.

 Eylen digéra les informations fournies par la vieille Elie, perdant son regard dans les flammes de la cheminée.

 _ Enfin, ça n’explique toujours pas ce qu’il s’est passé dans cette fichue baignoire. Mais bon, il est tard et nous auront du boulot demain, si je veux reremplir mes stocks de remèdes. Elle se redressa difficilement en s’aidant du dossier du canapé. Allons nous coucher, nous ne trouverons pas de réponse dans ce feu, mon enfant.

 Eylen passa sa main sur le tapis de fleurs sauvage, ces dernières lui caressant le bout des doigts. Depuis cette discussion, Elie avait testé différentes théories. Comme lui mettre un bouquet de fleurs de pureté en main et attendre attendre, attendre... qu’absolument rien ne se passe ! Ou encore, lui étaler du baume soignant sur la peau, ou encore lui faire tremper la main dans un bol de remède ; tout cela en lui tenant l’autre main, pour examiner une réaction magique. Qui ne se produisait malheureusement pas. Qu’elle est obstinée. Eylen, elle, avait fini par se dire qu’il s’était agi d’un simple hasard, et que de toute façon n’ayant pas d’Energie, le phénomène ne provenait certainement pas de son fait.

 Des piaillements forts et stridents la firent sursauter, et elle se redressa. Le son provenait des abords de la forêt. Curieuse et s’avança lentement, recherchant le petit braillard. Arrivée au pieds d’un grand hêtre, à l’entrée du bois, elle aperçut au sol, un magnifique oiseau blanc et bleu. C’était un geai bleu. Le magnifique oiseau se mit à imiter les miaulements d’un chat à son approche, peut-être était-ce pour l’impressionner, mais cela fit sourire la jeune fille. Elle avait souvent observé ces oiseaux aux alentours de sa ferme, avec sa mère. Cette dernière lui avait expliqué que c’était une des rares espèce d’oiseaux capable d’imiter le cri de leurs prédateurs pour les apeurer.

 _ Me prends-tu pour un chat, petit oiseau ? Dit doucement Eylen en se baissant.

 Elle remarqua alors que l’une de ses ailes était grande ouverte, sûrement cassé. Relevant la tête, elle aperçut alors ce qui devait être son nid. L’oiseau était encore jeune, il avait dû tomber sur son aile, et la casser.

 En haut, les piaillements des autres geais raisonnaient, assourdissants. Ils risquaient d’attirer un prédateur, et le petit animal blessé finirait dévoré.

 La jeune fille tendit alors les mains, et entreprit de prendre l’oisillon. Ce dernier se débattit, mais elle le serra contre sa poitrine, chuchotant des sons apaisants. L’animal se calma alors rapidement, ferma les yeux, lâchant par intermittences des petits cri rauques.

 Elle descendit rapidement le sentier qui menait à la Fuste. Espérant qu’Elie rentrerait rapidement pour pouvoir lui demander de soigner le petit être. Lorsqu’elle arriva devant la cabane en bois, personne ne semblait l’y attendre, si ce n’est le gros chat gris qui ouvrit un œil à son approche. Il fixa alors immédiatement le petit oiseau, miaulant pour exprimer sa curiosité.

 _ Non ! Fit Eylen en se détournant légèrement. Ce n’est pas pour toi.

 Elle entra dans le salon, s’assit sur le canapé et entreprit de déplier l’aile du geai pour voir l’étendue des dégâts. Ce dernier se débâtit alors fougueusement, en braillant puissamment. Ne sachant pas quoi faire pour l’aider, Eylen entreprit alors de lui étaler du cataplasme directement sur l’aile. Elle l’allongea dans une serviette sur la table de la cuisine, maintint son corps d’une main, étalant de l’autre la précieuse mixture, qui trainé dans l’un des pots. Puis elle enveloppa l’animal dans cette même serviette et le repris dans ses bras. Tout cela sous le regard courroucé du gros matou, qui ne comprenait pas que l’on soigne son futur repas.

 Elie ne rentra que dans le milieu de l’après-midi. Eylen lui montra rapidement l'animal blessé, lui expliquant ce qu’elle avait fait pour le soigner. La guérisseuse examina avec attention l'aile du petit geai bleu.

 _ Tu as eu les bons réflexes. Le cataplasme pausé sur son aile devrait soulager l’inflammation. Ce qu’il faut maintenant c’est fixer son aile, de sorte qu’il ne puisse pas la bouger.

 Eylen acquiesça et tendit un rouleau de bandage à la vieille femme. Qui enroula ce dernier autour de l’aile et du corps de l’oiseau, celui-ci ne se débattant presque pas. Elle avait des geste à la fois fermes, assurés et empreint de douceur.

 _ Ca ne devrait pas mette plus d’un mois et demi à guérir. À partir de demain c’est toi qui le soigneras et refera son bandage.

 _ Moi ?

 La vieille guérisseuse se tourna vers elle.

 _ Tu as ramené ce petit ici, c'est donc ta responsabilité de le soigner. Je t’apprendrais.

 Et elle partit en direction de la chambre, un petit sourire en coin collé à son visage ridé, la laissant seule avec l’oiseau.

 Les jours suivants passèrent à une vitesse folle. Elie ayant décidé d’apprendre un maximum de son savoir à la jeune fille. Soigner le petit oiseau n’était qu’une excuse, la jeune fille l’avait vite compris. Mais la vieille guérisseuse était tellement enthousiaste qu’elle s’était prise au jeu, finissant par réellement s’intéresser la préparation de remède et aux différentes fleurs utiles à leur fabrication.

 _ Tu es doué petite, lui avait dit une soir la vieille femme. Tu retiens vite les choses, tu es curieuse et tu as une bonne logique. Tu pourrais devenir une excellente guérisseuse si tu le voulais.

 _ Mais... Ne faut-il pas savoir utiliser la magie pour ça ?

 _ Pas forcément. Cela restreint quelques soins, mais j’ai connu de très grandes soigneuses qui ne savaient même pas allumer une sphère lumineuse.

 Eylen sentit une petite lueur d’espoir naitre dans son cœur froid, mais tenta aussitôt de l’étouffer.

 _ Je ne suis pas sûre... Et si je n’y arrivais pas ?

 _ Qu'est-ce que tu perds à essayer, insista la vieille femme sur un ton qu’elle voulait désinvolte. Au pire tu auras simplement appris de nouvelles choses, qui pourraient bien t’être utiles un jour...

 Eylen se rémora la sensation de fierté qu’elle avait ressentie lorsqu'Elie l’avait félicité sur les premiers soins qu’elle avait donné à l’oiseau, et les sentiments bienveillants qu’avait fait naitre en elle le petit animal blessé.

 _ Oui, après tout, pourquoi pas, répondit la jeune fille, souriant malgré elle.

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