Chapitre 11

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 Durant les semaines qui suivirent, Eylen, en plus de s’occuper de son ami à plumes, apprit à reconnaître les différentes fleurs, qu'elles soient bénéfiques pour les soins ou, au contraire, utiles aux poisons. Le métier de guérisseuse consistait en effet, à savoir aussi bien préparer des remèdes que reconnaître les différents poisons, afin de neutraliser ou d'annihiler ceux-ci. Elle apprit également à confectionner la plupart des potions, cataplasmes en tout genre et à savoir comment et quand les utiliser. La plupart des guérisseuses dotées d’Énergie, s’en servaient lorsqu’elles appliquaient des cataplasmes ou donnaient des remèdes, pour décupler les effets des soins fournis. Pour pallier ce point, Elie expliqua à Eylen qu’elle devrait porter une attention particulière à la fabrication de ses préparations, afin qu’elles soient les plus pures et efficaces possibles ainsi qu’aux soins secondaires ; notamment à l’hygiène de ses mains et des patients soignés.

 Elle lui apprit également à lire et à écrire. Un enseignement qu’Eylen n’avait jamais reçu, faute de temps et d’utilité à la ferme. Si les débuts se révélèrent difficiles pour la jeune fille, elle ne laissa rien paraître devant la vieille femme, ne voulant pas la décevoir. Elle s'entraînait donc à lire jusqu'à tard dans la nuit, et se répétait les lettres de l’alphabet en boucle dans sa tête la journée, pour mieux les retenir.

 Au grand étonnement d’Elie, l’oiseau mit moins de trois semaines à guérir, cette dernière questionna alors la jeune fille, en regardant l’oiseau s’envoler vers un arbre.

 — Tu as fait quelque chose de particuliers lorsque tu l’as soigné ?

 _ Non, j’ai fait exactement comme tu me l’as montré. J’ai fait très attention à bien nettoyer entre chaque soin.

 Elle avait également passé pas mal de temps à câliner le petit oiseau, mais se garda bien de le dire à la vieille femme, se souvenant de ce que lui disait son père, sur l’affection qu’elle montrait aux animaux.

 La vieille Elie lui lança un regard suspicieux, avant de retourner à l’intérieur, marmonnant des paroles inintelligibles dans sa barbe.

 Cette dernière semblait toujours agacée par le mystère de l’épisode de la baignoire, mais avait laissé tomber ses tests farfelus ; ces derniers n’ayant donné aucun résultat.

 Lorsque les premières neiges de l’hiver arrivèrent, Eylen commençait à maîtriser la plupart des remèdes qu’Elie lui enseignait, elle était capable de citer le nom de chaque plantes composants chaque recette. La lecture aussi, était devenue plus simple et rapide. Elle arrivait désormais à lire des pages entières dans sa tête, sans avoir à demander la définition de chaque mot à sa maîtresse.

 En cette fin d’après-midi, Eylen était assise par terre sur un tapis en laine, près de la cheminée, regardant par la fenêtre les flocons cotonneux tomber doucement du ciel. Demain, elles se rendraient à Abies, pour acheter les vivres qui leur manquaient. La jeune fille avait déjà eu l’occasion de s’y rendre avec la vielle guérisseuse. Cette dernière lui avait donné pour ce faire, une lourde cape noire, dont la grande capuche camouflait presque entièrement son visage. Elle lui avait conseillé de bien baisser la tête, afin que personne ne puisse distinguer ses traits si particuliers.

 Les hommes du maire n’étaient pas repassés dans les environs depuis la dernière fois. Ils s’étaient seulement rendus, juste après leur visite à la Fuste, dans le petit village, pour demander aux habitants et aux commerçants s’ils avaient vu Eylen. Ils avaient bien sûr donné une description détaillée de la jeune fille, précisant qu’ils la soupçonnaient d’être coupable de la fameuse catastrophe, et que donc, il était important d’informer le maire de Frozir si on l’apercevait. Heureusement pour Eylen, aucun homme en capuche noir avec un accent étrange n’avait été aperçu avec eux. C’était au moins ça.

 La jeune fille se faisait donc passer pour une apprentie guérisseuse, ce qu’elle était vraiment finalement, envoyée par la guilde de la capitale, afin de parfaire son apprentissage. Elie la présentait donc sous le nom de Nelye, un petit jeu de mots qui ne manquait pas de faire sourire la vielle femme. Elle lui avait également confectionné un bandeau en voilage sombre qu’Eylen devait enfiler autour de ses yeux, lorsqu’un patient se rendait à la Fuste. Ce dernier était si fin que la jeune fille y voyait parfaitement, une teinte légèrement plus foncée qu’en temps normal. Pourtant, lorsqu’elle s’observait avec dans le miroir ; impossible d’apercevoir ses yeux au travers.

 — C’est magique ! S'était-elle exclamée.

 _ Juste un peu, avait répondit la vielle femme avec un sourire énigmatique. J’ai gagné ce tissu d’un nomade il y a quelques années. J’ai soigné sa jument et il me l’a offert en guise de paiement. Je ne lui avais jamais trouvé d’utilité jusqu’à aujourd’hui...

 Ainsi affublée, Eylen pouvait ainsi assister la guérisseuse sans dévoiler ses yeux bridés. La guérisseuse avait expliqué à ses patients que la jeune fille avait eu des cicatrices dû à une ancienne malédiction et qu’elle ne supportait pas qu’on la regarde. Au mot “malédiction”, les gens détournaient instinctivement le regard, sans poser de questions. Eylen rigolait intérieurement, se disant que son amie aurait tout aussi bien pu être conteuse dans une autre vie.

 Eylen était perdue dans ses pensées, lorsque des coups résonnèrent sur la porte en bois.

 — Elie ! Appela une femme, visiblement paniquée.

 Eylen enfila rapidement le bandeau, qu’elle gardait enroulé autour de son poignet. Elle aperçut la vieille guérisseuse qui s’avançait vers la porte. Elle jeta un coup d’œil à la jeune fille, pour vérifier qu’elle était prête, et ouvrit la porte.

 _ Maggy, que t’arrive-t-il ?

 _ C’est Rose ! dit cette dernière, précipitamment, en adressant un signe de tête en guise de salut aux deux femmes. Le travail a commencé !

 Elle se tordait les mains d’angoisse, son chignon gris défait laissant échapper des mèches folles sur son visage crispé. Rose et sa famille vivaient juste au-dessus d’Abies, Elie se rendait régulièrement chez eux, pour suivre la grossesse de cette dernière.

 _ Ah. C’est trop tôt ! Petite, va te préparer. Elle se dirigea rapidement vers la réserve. Entre Maggy, le temps de préparer ce qu’il nous faut, et on y va.

 La femme entra dans la cabane, restant debout au milieu de la pièce.

 _ Je lui ai répété de se reposer, mais elle ne m’écoute pas. Elle parlait à toute allure, sa voix tremblante montait peu à peu dans les aigus. En plus, Sacha est parti ce matin pour Emlet, et il ne reviendra que demain soir...

 _ Ce qui est fait est fait. Lui répondit Elie qui ressortait de la réserve, une grosse sacoche en cuir remplie dans les mains. Allez en route !

 Elle avait enfilé une lourde cape brune, passa son sac sur son épaule et ouvrit la porte en grand sur le paysage enneigé.

 Eylen resserra les bords de sa cape sombre sur elle, en apercevant le doux manteau de coton qui recouvrait le sol et la forêt de sapins.

 Elles marchaient depuis presque une heure déjà, lorsqu'elles aperçurent enfin les lumières de la demeure de Rose et Sacha. La nuit noire les enveloppait de sa sombre froideur, la vieille Elie menant la marche, une petite sphère blanche lumineuse tendue au creux de sa main pour éclairer leur chemin.

 Elles étaient à présent au-dessus d’une grande maison isolée, haute de deux étages, dont les nombreuses fenêtres laissaient filtrer la lumière de bougies allumées. Elles dévalèrent la pente rapidement, Eylen manquant plusieurs fois de trébucher, ne connaissant pas la route. Le trajet les avait essoufflés, mais il n’était pas question de rentrer boire un thé ou se reposer. Elles entrèrent dans l’habitions après s’être annoncé, sans attendre que l’on vienne leur ouvrir.

 Eylen fut surprise de découvrir un intérieur entièrement fait de bois, du sol jusqu’au plafond, comme la cabane de la vieille Elie. Sans s’attarder dans le salon elle se dirigèrent directement vers l’escalier qui longeait le mur du fond, et montèrent rapidement. Arrivées sur un palier, Maggy les guida vers la porte de droite qui donnait sur la chambre parentale.

 _ Mamie ! S'exclama une fillette d’une douzaine d’années, en se relevant.

 _ Charmy, je suis là, répondit Maggy en lui serrant les épaules.

 Elle était encore dans sa grande robe de nuit blanche aux manches bouffantes, qui descendait jusque sur ses chevilles. Deux tresses rousses pendaient mollement sur ses épaules, et elle tenait dans ses mains un chiffon trempé qui gouttait sur le sol.

 Un grand lit en bois était placé au milieu de la chambre, sur lequel était allongée une femme, dont la chevelure rousse flamboyait sous la lumière des flammes. Son visage rouge était crispé dans une grimace de souffrance. Elle poussa soudainement un gémissement de douleur en arquant le dos, ramenant l’attention de sa fille sur elle. Cette dernière se précipita à son chevet, lui passant le chiffon mouillé sur le visage.

 _ Maman !

 _ Rose ! fit Maggy en se précipitant aux côtés de sa fille. La guérisseuse est là ! Ça va aller !

 Elie se dirigea de l’autre côté du lit et posa une main sur le front de Rose.

 _ Bonsoir Rose, lui dit-elle en souriant calmement.

 _ Elie, parvint à dire la femme malgré sa douleur. C’est trop tôt…

 Elle ne finit pas sa phrase, serrant les dents en gémissant. Elie lui prit la main et la serra. Quand la crise sembla être passée, elle lui examina les yeux puis les ongles.

 _ En effet, c’est un peu tôt. Mais il n’y a pas de raison que tu n’y arrives pas. Et nous sommes ici pour t’y aider, fit-elle en faisant un signe de tête en direction d’Eylen.

 Cette dernière acquiesça, avant de s’approcher à son tour.

 _ Bien ! Voyons voir ça, continua Elie en se tournant vers le ventre de Rose.

 Elle posa ses deux mains dessus, puis s’avança vers le pied du lit. À cet instant, elle se redressa et fixa Charmy.

 _ Il va nous falloir une bouilloire d’eau chaude, une tasse, des tissus propres et une bassine d’eau tiède.

 La fille acquiesça, se précipitant dans les escaliers. Elie souleva alors la robe de la femme pour l’examiner. Lorsqu’elle se redressa, son visage crispé se tourna vers Eylen.

 _ Approche. Il faut que tu regardes de tes propres yeux pour apprendre.

 La jeune fille s’exécuta.

 _ Que vois-tu.

 _ Mmm je crois... Que ce sont des pieds ?

 De l’autre côté du lit, elle vit Maggy blêmir, son visage perdant le peu de couleur qui lui restait. Elle serra la main de sa fille contre sa poitrine, qui respirait difficilement.

 La vieille guérisseuse avait longuement expliqué à Eylen les différentes situations qui pouvaient arriver lors d’un accouchement. L’arrivée du bébé par le siège était une des possibilités qu’elle et Eylen avaient évoqué ensemble, bien que peu courante.

 L’accouchement promettait, d’être long et douloureux.

 _ Je te laisse te charger des remèdes, petite. Tu sais ce que tu dois faire ?

 _ Oui. Dit Eylen en se redressant. Une potion qui atténue la douleur, mais la garde éveillée, afin qu’elle puisse pousser. Je pense aussi préparer un onguent.

 Elie était déjà affairé à dégager le lit de ses couvertures.

 _ Mmm, oui ce n’est pas une mauvaise idée. Maggy, continua-t-elle en se tournant vers cette dernière. Tu vas devoir aider ta fille et la soutenir. L’accouchement sera douloureux et va lui prendre toutes ses forces.

 Aux premières lueurs du jour, les cris d’un nourrisson rompirent les longues secondes de silences, qui avaient suivi la douloureuse libération. Eylen se chargea de nettoyer le nouveau-né, tandis qu’Elie prodiguait les derniers soins à la mère épuisée. La jeune fille donna l’enfant à sa grand-mère avant de rejoindre sa mentore, pour l’assister.

 Elie avait déjà suturé la plaie et finissait de nettoyer, le visage préoccupé.

 _ Touches son front s’il te plaît.

 Eylen s’exécuta. Elle était chaude, trop chaude. La sueur perlait sur son visage ; posant les doigts sur la gorge de la femme, elle sentit son pouls rapide. La jeune fille se tourna vers Elie, dont le visage restait crispé. Elle n’avait pas besoin de lui dire que la femme était fiévreuse, la guérisseuse le savait déjà. Eylen se mordit les lèvres et se précipita vers la sacoche en cuir.

 _ Je vais préparer un remède plus puissant.

 _ Bien, fait vite. Je dois aller examiner l’enfant maintenant, et aussi informer Maggy de la fièvre de Rose.

 Eylen acquiesça sans la regarder. Trop occupée à réunir les différents ingrédients nécessaires. La fièvre était une des principales causes de décès maternels, lui avait expliqué la guérisseuse. Elles devaient réagir rapidement si elles voulaient sauver Rose. Eylen se dépêcha de réaliser une infusion, qu’elle vint présenter contre les lèvres de la femme.

 _ Buvez, luit dit-elle, essayant de la réveiller.

 Cette dernière papillonna des yeux et s’exécuta, se rendormant aussitôt. Eylen resta assise au bord du lit, lui humidifiant le cou. Ne mourez pas Rose, votre fils a besoin de vous, pensa-t-elle en lui caressant le front. Mue par le désir de sauver cette femme et de lui transmettre un peu d’énergie, elle resta ainsi un moment, la main sur son visage.

 Puis la porte se rouvrit, Elie et Maggy revenant avec le nourrisson, qu’elles posèrent contre sa mère.

 _ Va te reposer ma fille, lui dit la vieille guérisseuse en posant une main sur son épaule. Tu dois être fatiguée.

 Eylen se releva, sentant la tête lui tourner légèrement. Regardant par la fenêtre, elle s’aperçut que le soleil était déjà bien levé. Un petit peu de repos ne lui ferait pas de mal, en effet. Elle se sentait soudainement, vidé de ses forces. Trop fatiguée pour descendre l’escalier, elle entra dans la chambre voisine et s’écroula sur le petit lit qui s’y trouvait.

 Alors qu’elle se sentait sombrer enfin dans le sommeil, une main la secoua vivement.

 _ Qu’as-tu fait à Rose !

 Eylen se redressa en sursaut.

 _ Qu’est-ce qu’elle a ? Elle va bien ? Demanda-t-elle en se relevant.

 Mais à peine fut elle debout qu’elle senti le sol tanguer sous ses pieds, et retomba sur ses fesses.

 Elie la rattrapa par les épaules, fixant sur elle un regard insistant.

 _ Sa fièvre a disparu. Qu’as-tu mis dans l’infusion ?

 _ J’ai mis... des écorces de saules blanc, des fleurs de pureté et... du sureau noir...

 Son esprit était embrumé, elle ne parvenait pas à réfléchir correctement. Elle avait besoin de dormir, elle le sentait. Elle repoussa les mains d’Elie pour s’allonger, mais cette dernière ne la lâcha pas, posant une paume froide sur son front. La jeune fille se sentit soulagée par ce contact frais, et sourit en remerciement à la vieille femme.

 _ Merde ! L'entendit-elle maugréer, avant de perdre conscience.

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