Chapitre 15
La petite carriole en bois sur laquelle étaient installé Eylen, Elie et toute la famille de Rose, descendait tranquillement la petite pente menant à Abies. À leurs pieds, étaient entassées les guirlandes et autres couronnes de fleurs qu’elles avaient confectionnées durant la semaine. Une caisse de sculpture était posée à côté, représentants divers animaux et personnages, certaines vernies et d’autres peintes par les soins d’Eylen et de Charmy. Les petites figurines colorées avaient beaucoup plu aux marchands d’Emlet, et ces derniers avaient donc demandé à Sacha de leur en faire plusieurs pour Walpurgis, qu’il leur avait livré deux jours plus tôt.
Ils avaient partagé le repas du midi tous ensemble avec Maggy, préférant laisser le petit Aaron aux bons soins de sa grand-mère, avant de partir pour la fête des fleurs.
— Vous ne vous rendez pas à Emlet pour la fête ? avait demandé Eylen, habitué à sa rendre en ville pour l’occasion.
— Non, lui avait répondu Sacha en souriant. Abies est réputé pour sa fête du Walpurgis. Certains viennent même de la cité royale pour y assister !
La jeune fille avait ouvert des yeux ronds, n’ayant pourtant jamais entendu parler d’Abies chez elle.
— D’où viens-tu, avait blagué Charmy. Tu n’es jamais sortie de chez toi ou quoi ?
Eylen avait ri timidement, la gorge serrée. Ce n’était pas faux, elle était rarement sortie de sa ferme, sa mère appréciant peu qu’elle se rende en ville avec son père. Elle était soulagée que le bandeau sur son visage puisse cacher le trouble dans ses yeux.
Lorsqu’ils arrivèrent à Abies pourtant, ce dernier ne put cacher l’émerveillement qu’elle ressentit en découvrant le petit village pittoresque. Elie et la petite famille la regardèrent avec de petits sourires complices où se mêlaient fierté et tendresse.
Les rues étaient pavées de gris, de petits murets de pierres encadraient chacune des maisons construites entièrement en bois vernis. Les sapins géants, chênes, autres arbres et buissons poussaient un peu partout entre les différentes bifurcations, comme si les habitants avaient préféré les éviter plutôt que de les déraciner afin de construire leurs routes et habitations.
Des petites filles vêtues de blanc, les cheveux remplis de fleurs couraient en riant dans les rues, se pourchassant avec des pétales et des feuilles. Les adultes aussi, avaient revêtu des vêtements aux couleurs douces et printanières, certaines femmes arborant avec fierté leurs plus belles couronnes de fleurs posées sur leur cheveux défait. Les rires et les discussions se mêlaient à l’envoûtante mélodie d’un groupe de musiciens. Ils ne pouvaient pas encore l’apercevoir de là où ils étaient, mais Eylen reconnut le son du violon, de la flûte et d’un banjo.
— C’est magnifique ! s’exclama t’elle, le sourire aux lèvres.
Rose et Elie lui sourirent, pendant que Charmy se penchait pour saluer une des petites filles.
Ils garèrent la charrette aux abords de la place centrale, au milieu de laquelle trônait un gigantesque mat entouré de morceaux de bois. Les habitants l’enflammeraient certainement une fois la nuit tombée, et ils danseraient tout autour en chantant.
Les filles se chargèrent d’apporter les fleurs aux organisatrices et de se préparer pour la fête, tandis que Sacha plaçait ses statuettes sur un petit étal près des autres marchands.
Une fois arrivées dans la salle des fêtes du village, Charmy tira Eylen par la main pour aller choisir leurs tenues et accessoires. Les couturières avaient réalisé de magnifiques tenues, plus ou moins légères, agrémentées de dentelle et de broderies printanières et fleuries. Ces dernières étaient exposées sur des portants, certaines datant de plusieurs années et d’autre encore jamais portées, près des magnifiques couronnes de fleurs. Chacun pouvait emprunter l’une des tenues, moyennant finance et avec la garantie de la rapporter après les festivités.
Charmy jeta son dévolu sur une robe longue sans manches vert anis, dont le corset était couvert de broderie et de perles brillantes. Elle s’accordait parfaitement à la crinière rousse que la jeune fille avait laissé onduler librement sur ses épaules.
Eylen quant à elle, choisit une robe en voilage blanc aux bretelles fines, resserrée au niveau de la taille par une simple ceinture en fils de lin tressés. Charmy s’approcha pour la coiffer d’une couronne de fleurs bleus et blanche, qu’elle posa sur sa longue chevelure noire de jais qui lui tombait jusqu’au bas des reins. Eylen ramena une mèche en arrière, elle n’avait pas l’habitude de laisser ses cheveux ainsi détachés, préférant les tresser comme aimait lui faire sa mère.
— Viens Nelye ! L'appela Charmy en s’approchant d’un petit groupe de fille. Allons nous faire maquiller !
Elle traîna Eylen dans la file en riant sans lui laisser le temps de répondre. Lorsque son tour fut venu, cette dernière refusa poliment en désignant son bandeau.
— Non merci. C’est gentil, mais je préfère rester comme ça. Dit-elle en reculant.
— Attends, fit Charmy en la rattrapant. On peut au moins maquiller tes joues et tes lèvres. Viens.
Eylen se laissa faire, mal à l’aise. Une fois prêtes, elles rejoignirent Elie et Rose qui les attendaient dehors. Rose avait opté pour une robe faite de voilages jaune clair, Elie préférant opter pour une robe bleue, sur laquelle elle avait mis un châle en laine gris. Elles se dirigèrent ensemble vers le stand de Sacha, avant d’aller s’installer à l’une des grandes tables en bois mises en place sous le chapiteau, monté pour l’occasion. Des dizaines de sphères lumineuses étaient posées à même le sol, sous les tables et aux pieds de la tente en toile, le tout agrémenté de guirlandes de fleurs, donnant au lieu un air féerique.
Le soir venu, les villageois allumèrent chacune des petites boules qui projetèrent une douce lumière jaune. Des guirlandes lumineuses étaient éparpillées un peu partout, illuminant l’intégralité du village.
Les musiciens, installés près du mat géant, jouaient des musiques folkloriques et entrainantes. Plusieurs enfants leur tournaient autour en se tenant les mains et certains couples s’étaient lancés dans des danses rapides. Le chapiteau était rempli de monde, tout comme la place dont on ne pouvait distinguer le bout. Il y avait réellement des gens de tout le royaume qui étaient venus assister aux célébrations. Un grand marché était installé aux abords de la place, des comédiens interprétaient des spectacles de rue ou de marionnette, contant les légendes et histoire d’un autre temps. Des voyantes étaient installées en plein air, à côté de vendeurs d’amulettes et autres objets magiques et étranges en tout genre.
Charmy, qui avait préféré passer l’après-midi avec ses amies, les rejoignit pour le repas, qu’ils partagèrent en évoquant des souvenirs des fêtes précédentes.
Quand tout le monde ou presque eut fini son repas, un barde se mit à chanter pour accompagner la troupe de musiciens. Charmy fit un clin d’œil à Eylen avant de se tourner vers ses parents.
— On peut aller dans les bois avec mes amies ? Sirian le conteur s’est installé dans la clairière, à l’entrée de la forêt.
— Oui, répondit Rose en souriant. Mais vous ne vous enfoncez pas dans la forêt d'accords ?
Eylen fronça les sourcils, étonnée. On ne leur interdisait pourtant pas de se promener dans la forêt d’habitude.
— Durant la nuit du Walpurgis, énormément d’Energie est libérée par les troupes de comédiens, les conteurs et les cérémonies. Cela attire les bêtes et les monstres dans la forêt d’Abies, qui est habitée par certains d’entre eux, lui expliqua Elie par-dessus la table.
— Il y a des monstres dans la forêt ? s’étonna Eylen en frissonnant.
— Oui, lui répondit la vieille guérisseuse en souriant. Mais n'ai pas de craintes, les bêtes qui vivent dans notre forêt ne sont pas si mauvaises qu’on voudrait te le faire croire. Une fois éloignées de la frontière, elles s’assagissent. Si tu ne les menace pas, elles ne t’attaqueront pas.
— On fera attention, intervint Charmy en se levant. Allez, viens. Les filles nous attendent !
Elle l’aida à se relever en souriant, et la guida vers l’autre bout de la place en sautillant d’excitation.
Les filles les attendaient avec une bouteille en verre contenant un liquide jaune qu’Eylen identifia facilement : de l’alcool de fleurs de sureau. Cette dernière en eu l’eau à la bouche, se souvenant du liquide sucrée et fleuri qu’elle aimait tant. Elles se dirigèrent vers l’entrée du bois, suivant un petit sentier éclairé par des torches plantée dans le sol.
Elles se partagèrent la bouteille durant le trajet, échangeant des ragots et faisant connaissance avec Eylen, qu’elles rencontraient pour la première fois. Personne ne tiqua sur son bandeau noir, la jeune fille supposant que Charmy leur en avait touché un mot plus tôt dans la journée.
La jeune fille se sentit tout de suite à l’aise, la plus âgée du groupe, Anna, qui semblait avoir à peu près son âge, lui parla de leur village et du fameux conteur Sirian. Ce dernier était plus âgé qu’Elie, il venait à Abies tous les ans pour la nuit du Walpurgis, conter les anciennes histoires oubliées du royaume. Beaucoup de gens voyageaient de loin pour avoir le plaisir de l’écouter, certains même le suivaient toute l’année durant son cheminement aux quatre coins du pays.
Après quelques minutes, elles arrivèrent dans une petite clairière éclairée pas un gigantesque feu de joie. Des dizaines de personnes étaient installées tout autour, à même le sol.
Un homme se tenait au centre, vêtu d’une longue robe claire en lin dont les longues manches cachaient les mains. Ses longs cheveux gris lui descendaient jusqu'en dessous de la taille et brillait à la lumière du feu, prenant des reflets rouge orangé. Lorsqu’il se tourna dans leur direction, Eylen se figea, reconnaissant les traits si particuliers qui n’appartenaient qu’à elle et à sa mère. Les yeux amandes aux pupilles sombres de l’homme s’arrêtèrent un instant sur la jeune fille, avant de dériver sur le reste de son public.
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