Chapitre 20
Le prince Aodren s’avançait d’un pas déterminé, ignorant les supplications de son conseiller. Il n’avait pas pris le temps d’enlever son armure d’entraînement, cette dernière émettant des cliquetis sonores à chacune de ses longues enjambées.
— Prince, le Roi est en pleine réunion... Implorait Varen essoufflé, qui devait presque courir pour se maintenir à sa hauteur.
Ce dernier fit mine de ne pas l’entendre, le regard fixé sur la porte qui donnait sur la salle du conseil. Il s’arrêta à quelques centimètres d’elle et tourna son regard vers l’un des gardes postés devant.
L’homme hésita un instant puis se précipita devant le prince pour lui ouvrir la voie.
— Le... Le prince Aodren ! Annonça-t-il le visage rouge en se baissant.
Le Roi qui était attablé avec ses conseillers sur la grande table vernie, releva un regard surpris vers son fils. Il fit signe au garde de repartir et fixa Aodren sévèrement.
— Peut-être n’as-tu pas été informé que nous étions en pleine réunion ?
— Si majesté, on m’en a informé plus tôt.
— Et bien dans ce cas, pour quelle raison nous interromps-tu ? Dit le Roi qui commençait à devenir aussi rouge que le pauvre garde de la porte.
Ses cheveux cendrés étaient coupés au niveau de ses épaules et coiffés d’une fine couronne en or qui cerclait son front. Une lourde cape pourpre au col de fourrure blanche était majestueusement posée sur l’une de ses épaules et reliée par une petite cordelette dorée.
— Il s’agit d’une affaire urgente père, continua Aodren avec toute son assurance. Et elle requiert l’attention de tous les membres de conseil.
La moustache du Roi tressaillit légèrement quand il fit finalement signe à son fils de s’installer sur l’un des sièges vides.
Le prince repoussa sa cape rouge d’un geste du bras avant de s’installer, puis remercia le roi d’un hochement de tête. Les conseillers royaux étaient au nombre de sept, tous ou presque d’un âge équivalent au roi, si bien qu’Aodren, du haut de ses vingt ans, passait pour un enfant ainsi attablé à leurs côtés.
Le roi s’adossa à son siège en soupirant.
— Nous t’écoutons mon fils, mais fais vite, nous avons d’autres affaires importantes dont nous devons également parler.
Les membres du conseils se tournèrent tous vers lui, certains affichant une expression hautaine.
— Je vous remercie majesté. Certains de mes hommes m’ont rapporté les propos de marchands qui revenaient de la ville de Toren, en bordure de notre royaume. Ils y auraient rencontré celui qui se dit être l’empereur du peuple des sables, de l’autre côté de la frontière...
Des exclamations de surprise résonnèrent dans la salle et certains des hommes se mirent à chuchoter à toute vitesse avec leur voisin.
— C’est impossible... dit l’un des conseillers.
— Un empereur ne se risquerait pas à traverser la frontière, l’interpella un homme au crâne chauve luisant et au ventre rond. Tout le monde sait que c’est bien trop dangereux !
— Oui, renchérit un autre en ricanant. Seuls quelques marchands s’y risquent et peu y parviennent. Quel empereur irait mettre ainsi sa vie en danger ? Et pourquoi d’ailleurs ?
— Cessez ! Ordonna le roi en levant sa main. Aodren, as-tu des preuves de ce que tu affirmes ?
— Non, répondit le prince en serrant les mâchoires. Mais...
— Il n’a même pas de preuves ! Le coupa le conseiller chauve.
— Mais ! S'énerva Aodren en fusillant le conseiller du regard. Pour autant, la situation à Toren est inquiétante. Depuis maintenant deux ans, de plus en plus d’habitants du désert arrivent, comme par enchantement de la frontière, et commencent à s’y installer. Il y aura bientôt plus d’étrangers que de gens du royaume dans la ville. Les habitants sont de plus en plus inquiets.
— Je comprends leurs inquiétudes, répondit le roi et se frottant le menton. Ces hommes se sont-ils montrés hostiles ?
— Non... pas pour le moment. Ils ont dit vouloir simplement commercer avec nous.
— Dans ce cas, je ne vois pas où est le problème mon fils. Il faut simplement un temps d’adaptation aux habitants de Toren, mais des échanges avec un autre peuple est une bonne opportunité pour notre royaume.
— Certes, mais pourquoi l’empereur s’est-il déplacé si c’est seulement pour marchander ? Comme l’ont si bien fait remarquer vos conseillers, dit Aodren en regardant les hommes attablés, traverser la frontière et dangereux voire suicidaire.
— Hum, intervint Sire Méolan, le plus vieux conseiller du roi. Encore faudrait-il être sûr qu’il s’agit bien de l’empereur. Nous avons très peu de contact avec les peuples des sables, et ce depuis de nombreuses décennies.
— Peut-être devrions-nous dépêcher un messager royal pour demander à ce fameux empereur de venir se présenter au palais ? Proposa un homme d’une trentaine d’années, un monocle coincé devant son œil gauche.
— N’oubliez pas que nos relations avec les hommes du désert n’ont pas toujours été des plus amicales ! Intervint un petit homme à la fine moustache aussi noire que ses cheveux.
— Il est vrai que si l’on en croit les récits, notre alliance s’est arrêtée en mauvais termes, donnant lieu à la création de la frontière.
— Ce ne sont que des histoires, intervint Sire Paollan, le conseiller chauve. Plus personne n’est là pour vérifier la véracité de ces récits !
Aodren passa la main dans ses cheveux bruns coupés courts, sa patience arrivant à limite.
— Père, permettez-moi de prendre des troupes avec moi pour juger des intentions de ce soi-disant empereur et de vérifier la véracité des dires des marchands itinérants.
Le silence se fit dans la salle, tout le monde se tournant vers le roi. Ce dernier observait son fils, le menton posé sur ses mains serties de bagues aux pierres étincelantes.
— Combien d’hommes veux-tu amener ?
Un léger soulagement traversa Aodren. Au moins, il n’a pas dit non.
— Je pensais à une cinquantaine d’hommes.
— Ce n’est pas suffisant ! Intervint sire Paollan. Il faut montrer à ces hommes du désert qui nous sommes !
Aodren soupira de frustration.
— Si nous arrivons avec une armée, ils se sentirons attaqués, dit-il. Le but n’est pas de livrer bataille.
Voyant que ses conseillers s’apprêtaient à relancer le débat, le roi leva à nouveau sa main, intimant le silence.
— Prends deux cents soldats avec toi, parmi les mieux entraînés. Vous serez ainsi suffisamment impressionnants et asses rapides pour revenir à la cité nous prévenir en cas d’hostilité.
— Merci, père, fit Aodren en se relevant.
Il se dirigea vers la porte s’apprêtant à partir quand le roi l’interpella.
— Il s’agit simplement d’entamer le dialogue et d’observer la situation sur place mon fils. Ne prends pas de décision sans mon aval.
— Oui majesté, c’est entendu, répondit le jeune homme en se baissant pour le saluer.
Il frappa à la porte pour qu’on la lui ouvre et sortit de la salle du conseil.
Varen l’attendait, se frottant les mains d’anxiété et le visage pâle comme s’il allait s’évanouir. Aodren le dépassa et il se précipita à sa suite.
— Que vous a dit le roi ?
— J’ai son accord pour partir en reconnaissance. Dis aux hommes de se préparer.
— Bien ! Dit le conseiller la voix tremblante.
Le chétif conseiller s’inclina, ses cheveux bruns noués retombants pardessus sa tête, et se dirigea vers un couloir adjacent.
Arrivé dans la cour du palais, Aodren mit une main en visière et regarda le ciel. Il n’était pas encore midi. Je peux y être à temps si je fais vite, pensa-t-il. Il regarda son armure, composée de pièce de cuir et d’acier, elle était suffisamment légère pour s’entraîner tout en protégeant certaines parties de son corps. Pas le temps de me changer, tant pis.
Puis il se dirigea d’un pas rapide vers l’entrée du palais, en direction du cœur de la ville.
Lorsqu’il arriva devant la petite boutique d’herboristerie de Marwen, le soleil était déjà haut dans le ciel. Comme d’habitude, la porte était fermée. Aodren vérifia que personne ne l’avait reconnu sous la capuche de la cape qu’il avait achetée en chemin et entra sans prendre la peine de frapper. La pièce était sombre, des étagères remplis de divers flacons occupant l’espace.
— Bienvenue, fit une voix douce.
Aodren sursauta et se retourna vivement. Une femme, dont le haut du visage était voilé d'un bandeau noir se tenait sur une échelle en bois et lui souriait aimablement. Ses longs cheveux noirs étaient noués en une fine tresse qui lui descendait jusqu’au bas du dos. Elle portait une robe simple en coton gris et un tablier marron fait de plusieurs poches.
Le prince posa la main sur le pommeau de son épée en serrant les dents. Encore elle. Ce n’était pas la première fois que l’assistante du guérisseur le surprenait ainsi, ce qu’il l’agaçait fortement. Il s’était entrainé de longues années avant de pouvoir percevoir la présence de quiconque l’entourait afin de réagir rapidement en cas d’hostilité. Il était devenu extrêmement doué, à tel point que plus personne ne pouvait le surprendre. Personne, à part elle...
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