Chapitre 28
Qahir regarda le prince Aodren et ses hommes quitter la salle, toujours accoudé à son siège.
— Rainir. Le mage shétif s’approcha docilement de l’empereur. Peux-tu les suivre avec ta magie ?
— Oui Empereur.
— Bien, fais-le.
— À vous ordres.
Il recula et ferma les yeux tout en débitant un flot de murmures incompréhensibles. Babil se pencha alors vers l’empereur.
— Tu devrais arrêter de traumatiser ce mage si tu veux l’utiliser encore longtemps, lui dit-il dans leur langue natale.
Qahir laissa échapper un petit rire avant de répondre.
— Bientôt, nous n’aurons plus besoin de lui mon ami.
Babil le regarda perplexe.
— Y a-t-il quelque chose que j’ignore ?
— Ne t’en fais pas, tu seras vite au courant. Envois dix de tes hommes à la poursuite du prince et de ses hommes. S'ils se séparent, qu’ils suivent uniquement le mage, c’est lui qui m’intéresse.
— Vivant ou mort ?
— De préférence vivant...
— Bien, j’y vais.
— Non. Toi, tu prépares tes hommes, fit Qahir qui se releva et adressa un sourire carnassier à son compagnon. Ce soir, nous allons chasser autre chose que des monstres...
Puis il partit en direction de ses appartements, situés dans l’aile Est de la demeure.
Une fois seul dans l'un des couloirs adjacents, il s’arrêta à un angle.
— Saki, appela-t-il doucement.
Une guerrière à la longue tresse rousse apparut, sortant des ombres comme par magie et inclina la tête sans rien dire.
— Suis les hommes de Babil discrètement. Le mage va nous mener à celle que je cherche, une fois que tu l’auras trouvée, préviens-moi.
La femme acquiesça sans un mot et se volatilisa aussi furtivement qu’elle était apparue, se déplaçant parmi les ombres.
Qahir entra dans la chambre qui lui était réservée et referma la porte derrière lui, le cœur battant à toute allure. Enfin ! Pensa-t-il presque en jubilant. Je touche au but. Il se remémora alors la conversation qu’il avait eue avec Aamal deux ans plus tôt, la veille de son départ.
Ils étaient dans les appartements de l’empereur, Qahir installé dans son fauteuil et Aamal face à lui sur la banquette.
— Comment vais-je trouver cette femme ? Elle pourrait être n’importe où...
— Ne t’inquiète pas, si tu ne la trouves pas, c’est elle qui viendra directement à toi.
— Si elle doit venir à moi, alors pourquoi partir pour le royaume d’Elaria et ne pas l’attendre ici.
Amaal soupira avant de lui répondre.
— Je te l’ai déjà expliqué Qahir, l’avenir est fait d’une multitude de chemins différents. Tu vas rencontrer cette femme, mais si tu restes ici à l’attendre, il sera trop tard pour sauver notre peuple. Tu dois la rencontrer maintenant, et pour cela, il faut que tu la rejoignes.
Qahir grogna, toujours perplexe face aux déclaration vagues de la prêtresse.
— Très bien, j’irai donc la rejoindre, mais je ne prévois pas de rester à rien faire en l’attendant.
— Je n’en doutes pas, venant de toi, répondit Aamal avec un petit sourire amusé.
Qahir l’observa un instant nostalgique, avant de prendre son verre d’alcool et de le finir.
— C’est tout ce dont tu voulais parler ?
— Non, je dois aussi te prévenir : une fois que tu l’auras trouvée, ne la quitte pas un seul instant des yeux.
Qahir fronça les sourcils, incertain.
— Une fois que je l’aurai attrapée, elle ne pourra pas s’enfuir...
— Il vaut mieux être trop prudent que pas assez... Mes visions me font défaut concernant cette femme, et je sens qu’elle pourrait disparaître à tout moment si tu lui en donnes l’occasion. Or, ce qui est certain, c’est que vous devez être ensemble pour libérer le peuple de sables, seul tu n’y arriveras pas...
Elle se releva et se dirigea vers la porte qu’elle entrouvrit. Là, elle se retourna et lui lança par-dessus son épaule :
— Surtout, ne te laisse pas tromper par son apparence Qahir. Si tu représentes l’espoir, elle n’apporte sur son chemin que le malheur. Ne laisse pas ton cœur chavirer...
Qahir ricana avant de lui jeter un regard glacial.
— Ne t’en fais pas prêtresse, cela fait bien longtemps que je n’écoute plus mon cœur...
Il s’avança vers la commode, se servit un verre de liqueur qu’il avala d’une traite, puis se changea.
Le ciel était assombri par d’es épais nuages noirs et la pluie tombait drue lorsqu’il sortit discrètement de la demeure du maire Lughen, les guerrières Suharis le suivant comme son ombre. Ils rejoignirent Babil et ses hommes dans les écuries du manoir et enfourchèrent leurs montures avant de partir au galop dans les ruelles à présent désertes.
Saki lui avait envoyé un signal à travers son collier, l’informant qu’elle avait trouvé la femme. Il ne savait pas en permanence où se trouvait chacune de ses épouses à qui il avait mis le collier doré, mais pouvait, en se concentrant dessus, les retrouver en suivant le lien qui les unissait.
Il sentait qu’elle se trouvait dans les bois, au sud de la ville, non loin de la route principale. Ils traversèrent la plaine sous le déluge de vent et de pluie et attachèrent leurs chevaux à l’entrée de la forêt, puis s’enfoncèrent dans l'obscurité des bois.
Ils se déplacèrent d’arbres en arbres, aussi silencieux que le vent, semblables à des ombres furtives. Le campement était en ébullition lorsqu’ils arrivèrent enfin. Cachés derrière les grands sapins, ils étaient à peine à une centaine de mètres des premiers soldats. Ces derniers s’étaient postés tout autour des tentes, scrutant méthodiquement les alentours, attentifs au moindre bruit. Malheureusement pour eux, l’orage battait son plein dans un tapage retentissant, la pluie et l’ambiance sombre de la forêt limitant leur vision, si bien qu’ils n’aperçurent pas les guerriers qui leur tombèrent mortellement dessus.
Ce fut un massacre plus qu’un combat, Qahir et les guerrières Suharis fondants sur leurs proies telles des panthères, s’abattirent silencieusement sur les soldats ne leur laissant aucune chance de survie. Aussitôt, Babil et ses hommes se ruèrent silencieusement sur ceux qui avaient échappé au précédent assaut, tandis que Qahir s’avançait vers le centre du camp, éliminant nonchalamment les ennemis qui se présentaient face à lui.
Saki était perchée sur les branches d’un noyer quand leurs regards se croisèrent et elle montra à l’empereur une petite tente à l’écart des autres. Qahir s’approcha, son cœur tambourinant dans sa poitrine et ses oreilles bourdonnantes. Elle était là, il pouvait sentir sa présence juste derrière cette toile, la clé de sa réussite.
Il souleva le pan de la tente qui était plongée dans l’obscurité totale, laissant entrer la lumière et remarqua le lit tout au fond sur lequel un corps était allongé, silencieux.
Qahir replia la toile sur elle-même et l’attacha, éclairant faiblement l'espace puis s’avança à pas de velours pour observa la femme qui y était couchée. Ses longs cheveux de jais étaient défaits autour de sa tête, telle une couronne sombre, une bande de tissus cachant ses yeux. Pourtant, il l'a reconnu immédiatement, la peau de son visage fin aussi pâle que le clair de lune, son petit nez droit qui pointait légèrement vers le bas, son menton pointu et sa bouche fine, entrouverte, laissant échapper une respiration profonde et régulière.
Eylen, pensa-t-il en s’approchant encore un peu, il ressentit alors cette même sensation d’apaisement qu’il éprouvait lors de leurs rêves, comme si elle absorbait toute la colère qui bouillait silencieusement en lui.
Il ferma les yeux un instant, savourant ce moment de quiétude tandis que dehors, résonnaient encore le bruit des affrontements féroces et le martèlement de la pluie qui tombait sur la toile de tente. Une odeur de sang lui chatouilla alors le nez, rouvrant les yeux, il remarqua la tâche sombre qui se dessinait sur la robe d’Eylen, toujours profondément endormie. Déboutonnant le plus délicatement possible le tissu, il vit sur le ventre de la jeune femme une entaille rose de la taille de sa main à peine cicatrisée. Il passa la main dessus, caressant la fine peau du bout des doigts et à son grand étonnement, elle disparut aussitôt, comme par magie. Son ventre était redevenu blanc et lisse, comme si aucune blessure n’y avait jamais été.
Ébahi, il resta ainsi immobile, fixant la peau parfaite d’Eylen. Puis, l’entrée de la tente s’ouvrit en grand sur Saki qui baissa aussitôt la tête.
Qahir reboutonna la robe d’Eylen qui dormait, imperturbable et se retourna vers la guerrière, le visage dur. Il la dépassa et sortit de la tente, suivit de cette dernière. Dehors, la pluie torrentielle battait son plein, inondant le sol d’eau et de sang, les corps des chevaliers Elarien massacrés gisant à terre.
Annotations
Versions