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Un son aigu sortit Gianni de son sommeil. Désorienté, il tituba jusqu’aux fenêtres. Il y avait du mouvement dans les plants d’artichauts. « Encore une bande de satanés piaffes ! » pesta-t-il en sortant en trombe.
Il s’empara de la fourche entreposée sous l’auvent et fonça vers son précieux potager. D’où les artichauts tanguaient, se distinguaient des plaintes qu'il ne reconnut pas comme des cris d’oiseaux. Il s’avança lentement, tête la première, fourche en avant. Bien vite, il baissa sa garde et tout l’agacement qui était monté en lui se volatilisa. Au beau milieu des pousses pliées, se trouvait un petit garçon auquel Gianni ne donna pas plus de cinq ans. L’enfant portait des traces évidentes de chute, son ensemble en lin clair était plein de terre sèche et des égratignures rougissaient ses articulations.
Le vieil homme s'accroupit à sa hauteur et lui tendit une main. Les yeux humides, le garçon lorgna craintivement sur la fourche.
- Ah oui, excuse-moi, j’ai dû t’effrayer en déboulant comme ça, reconnut Gianni en laissant tomber l’outil derrière lui. Je ne te veux aucun mal mon bonhomme, mais qu’est-ce que tu fais ici ? Ce n’est vraiment pas un endroit pour jouer.
Le petit s’approcha timidement en séchant du révère de sa manche les grosses larmes qui inondaient son visage rond. Gianni remarqua que le bambin avait un drôle d’accoutrement. Assortis à son ensemble, il arborait dans son dos de longues ailes impressionnantes de réalisme qui semblaient ne faire qu’un avec son corps. Les plumes ivoire qui les composaient descendaient jusque sous ses coudes, où elles s’estompaient peu à peu en un duvet discret pour laisser place à une peau lisse et dorée.
- Quel beau déguisement tu as là ! s’exclama Gianni, espérant lui redonner le sourire. Le carnaval est passé depuis longtemps, mais tu es paré pour l'année prochaine. Elles sont tellement bien faites tes ailes, on dirait des vraies !
À ces mots, il rebroussa en sens inverse les plumes sur le bras du garçon.
- Aïeuuuuuuh ! rugit le petit, tu me fais mal !
Gianni sourit. Rosabella aussi, dans la même tranche d’âge, conférait à ses jouets la capacité d’éprouver des choses comme les vivants. Il valait d’ailleurs mieux jouer le jeu dans pareilles circonstances.
- Alors, itéra le vieil homme, d’où est-ce que tu viens ?
L’enfant détailla de ses grandes billes bleues le visage marqué du vieil homme.
- Bah, du même endroit que toi.
Gianni ne comprit pas où il voulait en venir.
- S’il te plaît, reprit le garçon, j’ai besoin que tu m’aides à retrouver mon grand frère.
Gianni acquiesça et se redressa sans tarder, il était évident qu’il ne laisserait pas cet enfant errer seul.
- Il ne doit pas être bien loin, comment êtes-vous arrivés ici ?
- En volant bien sûr ! répondit le garçon en levant les yeux en l’air.
- Très bien, très bien, capitula Gianni, mais d’où êtes-vous arrivés ?
- De la forêt ! indiqua le petit l’élançant vers le bosquet.
- Tu sais mon petit, c’est une propriété privée ici, grommela le vieil homme en s'efforçant de suivre l’allure du jeunot qui était déjà loin devant. Il y a des panneaux partout, vous n’êtes pas censés venir vous promener ici.
Le garçon se retourna, affichant à nouveau une moue agacée.
- Le chemin qu’on a pris est à tout le monde, c’est celui qui passe sous la forêt.
Intrigué, Gianni rejoignit le petit jusqu’aux premiers chênes qui marquaient la zone boisée. Le garçon s’immisça entre de gros buissons curieusement verts pour la chaleur des dernières semaines.
- Je t’attends papi ! interpella l’enfant en dressant la tête au-dessus des fourrés.
Gianni enjamba à son tour la courte haie. Juste à ses pieds, entre ces petits arbustes, se dégageait un trou d’environ un mètre de diamètre d’où surgissait une lumière éblouissante aux couleurs dignes d’un arc-en-ciel.
- Qu’est-ce que c’est ? J’habite ici depuis près de cinquante ans, je n’ai jamais fait attention à ce truc !
Le garçon leva les épaules.
- Il y a des choses que vous les adultes ne voyez pas, même quand c’est juste sous votre nez.
Le garçon sauta à pieds joints dans la cavité. Les pensées de Gianni défilèrent à une allure folle dans sa tête, mais il ne parvint pas à les isoler pour construire un raisonnement logique. Sans grande étude, il imita le garçon, à présent certain que cette drôle d’aventure ne pouvait être qu’un rêve.
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