De retour chez moi
Ça y est, je suis enfin arrivé. Devant moi, se dresse un grand portail rouge et noir. Ils ont dû le changer il y a quelque temps. Dans mon souvenir, ce n'était qu'une petite barrière marron.
Je sors de ma voiture et je le franchis. Tandis que je remonte l'allée – le goudron a remplacé les graviers de mon enfance –, mon cœur se serre dans ma poitrine et mon pouls s'accélère. Je stresse.
J'arrive devant l'entrée de la maison. Je rassemble mon courage et je frappe doucement. Avant, j'entrais directement. Mais maintenant, ce n'est plus chez moi et ce, depuis longtemps.
Ma mère m'ouvre. Ses cheveux ont blanchi. Des rides barrent maintenant son doux visage.
— Tu es enfin là.
Elle me serre dans ses bras et je lui rends son étreinte. L'odeur de son parfum frôle mes narines. Au moins quelque chose qui n'a pas changé.
Elle s'écarte pour que j'entre. Dans le couloir, je m'arrête. J'ai du mal à reconnaître la maison qui a été mienne toute mon enfance : le mur du salon est tombé, remplacé par des poutres en bois. Le papier peint de la pièce à vivre a été arraché, et une peinture recouvre maintenant les murs : vert, marron et gris. Même le canapé et la télé ne sont plus les mêmes. Pas comme ma famille.
Ma mère pose sa main dans mon dos, j'avance.
J'entre dans la salle à manger. Les personnes assises au tour de la table se lève. Un chien vient à ma rencontre, me renifle prudemment avant d'aboyer. Mon père le fait taire. Alors, il se couche à ses pieds, fatigué. Ils n'ont pas mis longtemps à me remplacer.
Mon père me regarde, d'un air dur. Je vois ses yeux glisser sur moi, de mon visage à mes pieds. Et je peux y voir son désapprobation.
— On t'attendait.
Cela sonne plus comme un reproche à mon oreille qu'autre chose.
— Pardon.
Je m'insulte mentalement. Je ne peux pas m'empêcher de m'excuser pour tout et n'importe quoi. Je pensais que le temps me permettrait d'arriver à me dresser contre lui. Mais ce n'est pas le cas.
— Embrasse donc tes grands-parents.
Je m'exécute, échangeant des banalités avec eux tandis que nous nous faisions la bise. Je me tourne alors vers mes frères. Le premier me regarde à peine, le second est accroché au bras de ma mère. Celle-ci indique ma place et je m'y assois. En bout de table, je ne peux échapper aux regards de ma famille.
À peine l'apéritif commencé que ma grand-mère ne peut s'empêcher de faire sa première remarque.
— Je te préférais avant avec tes cheveux courts.
Le repas allait être long. Très long.
— J'aime bien mes cheveux, mais je te remercie de te préoccuper d'eux maintenant.
Première réponse cinglante. Mon père se tend, ma mère me jette un regard. Celui qui veut dire « Ne commence pas, s'il te plaît ». Évidemment. C'est toujours de ma faute.
— C'est la nouvelle mode, je suppose ? me demande mon grand-père assis à côté de sa femme.
Je jette un rapide coup d'œil à mes vêtements.
— C'est juste une chemise et un short. Il fait chaud en juin.
— T'es obligé d'afficher... de t'afficher constamment aux yeux du monde ?
Je baisse les yeux. Le sang commence à me monter au cerveau. Respire.
— Papy, ce ne sont que des habits.
Un grognement sort de ses lèvres. Il décide de ne pas continuer. Mon grand-frère prend la parole.
— T'as pas changé ?
Je le regarde. Je sais ce qu'il veut dire. Mais je veux qu'il le dise.
— De quoi ?
— T'aimes toujours autant ça ?
Tout le monde attend ma réponse. Je prends une grande inspiration.
— Développe, je ne te suis pas.
Un silence pesant s'installe. Le chien bouge sous la table.
— Faire la femme ?
Ça y est. Cinq minutes. Ça fait cinq minutes que je suis là.
— On n'est pas ici pour parler de ça.
Mon grand-frère hausse les épaules.
— En même temps, c'est le seul truc intéressant chez toi. Enfin, je peux pas comprendre, c'est tellement dégueulasse.
— Et toi, t'as trouvé une fille qui veut de toi ? Ou bien, elle a pris peur devant ton peu d'hygiène corporelle et ton manque d'intelligence ? Vingt-six ans et encore chez papa et maman.
—— Lucas ! tonne mon père.
Je me tais, mon frère m'assassinant du regard.
— N'empêche, mon petit-fils a raison. C'est ignoble, contre-nature. Et il a fallu que ça tombe sur notre famille.
Ma grand-mère lève les yeux au ciel et se signe. Pathétique. Rien ne sert de se servir de la science pour leur expliquer. J'ai déjà essayé maintes fois.
— On sait tous ce que tu en penses, mamie. On peut parler d'autre chose ?
— Ton..., ma mère marque un silence. Léo n'est pas avec toi ?
— Non. Je n'ai pas voulu qu'il vienne. On est bien mieux en famille, n'est-ce pas ? ironisai-je.
Elle hoche la tête, avant de baisser le regard. Toujours aussi faible.
— Heureusement qu'il n'est pas venu ! s'écrie mon père au même instant. Tant que je serais vivant, il ne franchira pas le pas de ma maison.
— Je n'en attendais pas moins de toi, papa.
Mon père bondit de sa chaise. Ma mère pose une main sur son bras, le suppliant silencieusement de se rasseoir.
— Baisse d'un ton quand tu t'adresses à moi, ou je vais te faire taire moi ! C'est pas un petit merdeux comme toi qui va me tenir tête ! Doublé d'une pédale en plus.
— Robert ! souffle ma mère.
Je pensais que j'allais tenir plus longtemps que ça. Je pensais que le temps me fournirait une carapace assez solide. Que je pourrais lutter contre eux, garder la tête haute. Mais j'avais tort. Au fond, je suis toujours le même petit garçon qui a été rejeté de sa maison quand il avait dix-neuf. Il y a six ans.
— Ne t'inquiète, pas, je te ferais pas chier plus longtemps. Je pars.
Je quitte la pièce et me dirige sans me retourner vers la porte. Ma mère s'élance à ma poursuite et me retient.
— Lucas, reste. Il faut nous comprendre, ce n'est pas facile pour nous, même après toutes ses années...
— Pas facile pour vous ? je hurle. La seule chose que vous aviez à faire était de m'épauler, d'être là pour moi.
Les larmes me montent aux yeux. Celle de ma mère ruissellent déjà sur ses joues.
— Tu es pitoyable, maman. Et sache une chose : je te déteste autant que vous me détestez. Et cela ne changera jamais.
J'ouvre la porte rageusement et je sors à l'air libre. Ma vue se brouille, et j’essuie brusquement mes larmes. C'était mon anniversaire, aujourd'hui.
En réponse au défi "COMEBACK".
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