Chapitre 1 : La Vieille Légende

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Shoyo


« Allez les enfants ! Nous allons vérifier vos connaissances ! Combien il y a de jours par semaine ? Demanda l'enseignant.

– Neuf ! Répondirent les élèves.

– Et combien il y a de semaines par mois ?

– Quatre !

– Et il y a combien de jours par mois ?

– Trente-six !

– Combien il y a de mois par an ?

– Onze !

– Et est-ce que l'un d'entre eux est particulier ?

– Le onzième !

– Pourquoi ?

– C'est le mois des fêtes de fin d'année ! Dit l'un des élèves.

– Mais encore ?

– Il n'a que onze jours !

– Et combien il y a de jours par an ?

– Trois cent soixante et onze ! Répondirent les élèves.

– Très bien ! Maintenant, on va vérifier que vous connaissez le nom des jours et des mois. Je vais vous donner une feuille sur laquelle vous allez répondre mais vous n'avez pas le droit de parler à vos camarades.

– D'accord !

– Et n'oubliez pas, les jours du onzième mois ont des noms différents. »

Il distribua les feuilles et se stoppa face à l'un de ses élèves.

« Shoyo Liebewig, range-moi ces dessins. »

L'enfant de 5 ans que j'étais soupira et obéit.


Mes parents échangèrent un regard après avoir vu les dessins devant eux. Ils étaient assis dans la salle de classe et étaient un peu mal à l'aise face aux informations données par mon enseignant. J'étais assis entre eux et j'essayais de me faire aussi petit que possible.

« Savez-vous pourquoi Shoyo dessine ce bébé abandonné au beau milieu de l'océan depuis plusieurs jours ? Est-ce que ça a un lien avec l'arrivée de son petit frère ?

– Je lui ai raconté l'histoire de notre clan, dit le père. Mon père avait été trouvé dans une barque par des pêcheurs alors qu'il était bébé.

– Oh… Votre fils a l'air de faire une fixette dessus.

– Oui, dit la mère, il a été un peu chamboulé par le peu d'informations que nous avons. Savez-vous ce que nous pouvons faire pour lui changer les idées ? »

Après avoir perdu leur père, Shun et mon père Chris avaient été pris en charge par les services sociaux. Ils avaient trouvé l'amour et s'étaient mariés. Ils avaient ensuite déménagé à Manok, du pays d'Aitis et y avaient fondé leur propre clan. Ainsi, le clan Liebewig naquit.

« Lui avez-vous déjà parlé de la Vieille Légende ?

– Pas encore, dit le père.

– Le faire pourrait être bénéfique. Shoyo laisserait de côté votre passé sans réponse et pourrait se trouver des nouvelles occupations.

– Très bien, nous lui en parlerons. »


Je rentrai de l'école avec mes parents, retournant à la maison comme tous les autres enfants. Même si les autres enfants n'allaient pas dans une simple maison. Ils allaient, pour la plupart d'entre eux, dans le quartier de leur clan.

Les clans étaient comme des très grandes familles agissant comme des petites nations, avec leurs propres lois et traditions. Les membres vivaient dans un même quartier ou la même résidence, affichant leur symbole là où ils le pouvaient. La plupart d'entre eux s’intégrait dans une ville et participait grandement à sa réputation et à son amélioration. Il y avait beaucoup d'avantages à appartenir à un clan riche, réputé, ancien ou puissant. Mais appartenir à un clan n'était pas obligatoire.

Ce qui faisait leur puissance était avant tout les techniques héréditaires. Des clans en avaient, d'autres non. Elles étaient plus ou moins puissantes et développées. Les protéger était la priorité absolue de chaque clan. Pour cela, ceux qui le pouvaient posaient un sceau sur chacun de leurs membres pour empêcher les vols. Cela pouvait également bloquer l'hérédité, ce qui était très pratique lors des mariages.

Le clan Liebewig était jeune, n'avait pas de technique et n'avait donc aucun avantage. Mais ça n'a pas empêché ma famille de réussir, même si nous n’arrivons pas à la cheville d'autres clans plus puissants. Cependant, aucun d'eux n'arrivaient à la cheville des trois clans fondateurs, tous disparus depuis longtemps


« C'est l'heure de l'histoire ! Criai-je.

– On arrive, dit ma mère. »

J'étais assis dans mon lit, mes parents me rejoignirent. Ils s'échangèrent un regard, certainement pour se mettre d'accord sur qui commencerait. Ma mère souffla et commença.

« Il y a environ 5 000 ans, un puissant roi aimé de son peuple adopta une fillette perdue dans les bois. Il l'éleva comme sa propre fille, la nommant du plus beau des prénoms : Rozenn. Il prit soin d'elle, lui offrant les plus belles robes, les plus beaux bijoux et faisant d'elle une véritable princesse. Il lui offrit tout ce qu'il pouvait, sauf son trône.

– Pourquoi ?

– C'était une fille et les lois de l'époque ne le permettaient pas. Si elle voulait devenir reine, elle devait épouser un roi. Mais elle voulait le trône sans passer par le mariage. Alors afin d'obtenir la couronne, elle usa de la magie noire, la plus sombre de toutes, et créa des monstres, des démons, des horribles créatures difformes, pour faire la guerre à son père et lui voler sa place.

– Tout ça pour une couronne ? Demandai-je.

– Tout ça pour la couronne, pour le trône, dit mon père.

– Mais les Hommes résistèrent sous les ordres du roi et combattirent Rozenn.

– Et comment elle a réagi ? Qu'est-ce qu'elle a fait ?

– En voyant sa défaite approcher, elle entra dans une rage. Elle détruisit le royaume, tuant le roi et éparpillant sa population à travers les terres, et elle disparut, ses créatures avec elle. Elle partit, loin dans les forêts mortes. Et comme les Hommes avaient tellement peur de revoir Rozenn et ses monstres, ils construisirent un long et immense mur à l'entrée des forêts mortes.

– Et ensuite ?

– Les Hommes ordonnèrent à ce que les terres proches du mur restent inhabitées, pour tenir la population innocente à l'écart de ces monstres impurs. C'est ce qu'on appelle la Zone Interdite.

– Cette époque a été appelée « La chute du royaume », continua mon père. Depuis, notre monde s'est reconstruit avec l'aide des trois clans fondateurs, mais ça a pris du temps.

– Et si les montres reviennent ? S'ils peuvent passer le mur ?

– Beaucoup ont pensé que Rozenn reviendrait un jour pour détruire l'humanité, c'est pour ça que des hommes ont pris les armes pour la combattre, elle et ses monstres. On les appelle les chasseurs de démons.

– Ils doivent être trop forts !

– En effet, ils le sont. La princesse Rozenn a causé tant de terreur et ceci durant des siècles, que l'hémisphère sud garde ses distances et qu'on a pris comme point de départ son année de naissance, ainsi Rozenn fut venue au monde à l'an 0.

– Et ?

– Et c'est la fin de la vieille légende.

– Mais les démons sont toujours là ? C'est ça ?

– Oui, et c'est pour ça que ta mère et moi aimerions que tu fasses toujours attention, quoi que tu fasses dans la vie.

– Promis ! Mais je deviendrai un grand sodur et les démons n'oseront pas venir !

– Si tu le dis, dit mon père en souriant.

– Je peux avoir une autre histoire ?

– Non, c'est l'heure de dormir. Bonne nuit Shoyo.

– Mais maman ! »


C'était l'histoire de la naissance de notre plus grande ennemie. Nous craignions toujours Rozenn, même si plus de 51 siècles nous séparaient d'elle. Nous avions changé, développé la science et l'utilisation de la magie, mais elle restait toujours une menace. Notre plus grande menace.

Même si elle était toujours inquiétante, elle et ses démons n'étaient pas ma première préoccupation. Depuis tout petit, je voulais devenir sodur. C'était un métier de l'empire de Bloss, une sorte de soldat à tout faire qui utilisait l'émofa. Pour moi, c'était tout ce qui m'intéressait : voyage à travers le monde, combat et utilisation de la magie.

Mais comme je n'avais pas de technique héréditaire, je partais du mauvais pied. Car en plus d'être prise en compte lors de l'examen d'entrée à l'école des sodurs, plus un sodur en avait, plus il était puissant. Tout le monde me disait que je ne serais pas un très bon sodur à cause de ça.

Mais ça ne m'avait pas arrêté pour autant. Je voulais montrer que même sans technique ou sans l'aide d'un clan important, je pouvais réussir à devenir un grand sodur. Et je voulais surpasser tous les autres pour ça.

Mais j'étais loin de me douter qu'une légende vieille de 5 100 ans me suivrait.


Je n'arrêtais pas d'insister auprès de mes parents pour entrer dans cette école. Alors pour laisser ma mère se reposer un peu après l'arrivée de mon petit frère, mon père m'emmenait parfois à son travail. Il était le secrétaire et assistant du sodur-chef.

De ce que j'avais lu, le sodur-chef était celui qui dirigeait tout ce qui concernait les sodur de son secteur, dont la formation, la direction et la distribution des missions. Notre sodur-chef était Hagop Rida, le chef du clan Rida, le plus puissant de notre ville.

Mais pour une fois, nous étions allés dans son manoir plutôt qu'à son bureau. C'était très grand, très symétrique et d'une propreté inégalée. Ce manoir reflétait bien la grandeur de son clan. Mais le bureau personnel du sodur-chef était bien différent du reste de la demeure. Il croulait sous la paperasse. J'avais peur qu'une pile de papier s’effondre si je respirais trop fort.

Hagop arriva, c'était un homme de 60 ans. D'après mon père, il devait bientôt prendre sa retraite mais il devait avant tout trouver un successeur et le former. Sans oublier qu'il devait aussi trouver un héritier pour son clan.

« Bonjour Chris, Shoyo. Désolé de mon retard, j'ai dû… Naje a encore fait une crise. Je ne sais plus quoi faire avec lui… Et je ne sais même pas si j'ai pris la bonne décision de l'inscrire à l'école des sodurs, avoua-t-il en s'asseyant. »

Tout le monde parlait de Naje et pas vraiment en bien. Le « j » de son prénom se prononçait comme un mélange entre le « j » et le « r », c'était assez inhabituel chez nous. Mais tout ce qui touchait à Naje était inhabituel. Je ne l'avais jamais rencontré puisqu'il était scolarisé chez les Rida. Les grands clans possédaient souvent leur propre école maternelle. Mais je savais qu'il avait été confié à Hagop à ses 4 ans et qu'il était très différent. C'était bizarre.

« Peut-être qu'une école plus classique sera mieux, proposa mon père.

– Il doit aller à l'école des sodurs. Il doit apprendre à se défendre, dit Hagop, il en a besoin. Mais j'ai l'impression qu'il prend le même chemin que son père…

– Laissez-lui le temps, il s'adapte encore. »


Je n'avais pas écouté le reste, préférant attendre d'être rentré pour demander des explications à mes parents lors du repas du soir. Ces derniers avaient essayé de faire simple.

« Naje est le fils d'une citoyenne de l'empire de Neyast et d'Isak Huiju, dit ma mère. Isak était, enfin, est le frère cadet du chef du clan Huiju. Et ils n'étaient pas mariés… »

Le clan Huiju était le troisième plus puissant de notre ville et avait des techniques héréditaires qu'il protégeait par dessus tout. Et s'il n'y avait pas de mariage, il n'y avait pas de contrat entre eux les protégeant.

« Donc Naje a hérité des techniques des Huiju et tu sais que c'est très grave…

– Parce que si les techniques sortent d'un clan, cela peut causer sa chute, continuai-je. »

C'était pour ça que les enfants hors-mariage étaient très mal vus. Ils représentaient le malheur et le danger, même s'il n'y avait pas de techniques. La simple existence de Naje menaçait celle du clan Huiju.

Dans des cas comme celui-là, les familles pouvaient s'arranger entre elles pour trouver une solution, mais l'une d'entre elles était forcément perdante. Alors pour éviter les problèmes et protéger les techniques, mais aussi pour réparer l'honneur des familles, les enfants hors-mariage étaient tués. Tout le monde fermait les yeux dans mon empire. C'était pour ça que Hagop voulait que Naje apprenne à se défendre. Il avait peur qu'il soit attaqué à cause de ça.

« Mais pourquoi Naje est ici s'il est né à Neyast ? »

Les lois universelles indiquaient qu'en l'absence de contrat entre les deux familles, les enfants devaient rester avec leur famille maternelle ou dans leur pays de naissance. Et toujours selon elles, un clan n'avait pas le droit de poser un sceau sur quelqu'un ne lui appartenant pas.

« L'empire a accepté que son père l'élève, comme sa mère ne voulait pas le garder. Mais lorsque son père est parti, Naje a été confié à Hagop. »

Naje était une pupille de l'empire de Neyast et était sous sa protection, car pour cet empire, les hors-mariage avaient le droit de vivre. Il était donc à l’abri des Huiju et Isak avait pu l'élever loin d'eux. Mais suite au départ de ce dernier, Hagop avait obtenu la garde de Naje, car il était la personne la plus proche de son père.

Cela enragea le clan Huiju car leurs techniques étaient entre les mains de leur principal concurrent. L'existence de Naje créait ainsi beaucoup de tension. C'était pour ça que les gens le traitaient de bâtard et le regardaient de travers.

« Tu sais, dit mon père, Naje est un gentil garçon. Il a juste du mal à s'adapter avec tout ça. »

Mais pour moi, tout ça n'avait pas d'importance. Car tout ce qui m'intéressait, c'était que Naje était issu de deux clans puissants. Il allait sûrement devenir un grand sodur, l'un des meilleurs. Si je devais surpasser quelqu'un pour prouver ma valeur, ce serait lui.


Naje avait mon âge et pourtant, un grand fossé nous séparait.

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