Chapitre 8 : Les Guerriers de l'Ombre
Shoyo
Je me réveillai en sursaut et j'allai voir à la fenêtre ce qu'il se passait. Le maître, Teny et Naje eurent le même réflexe que moi. Malgré le faible éclairage, ce que nous vîmes nous glaça le sang.
Il y avait des personnes de tailles différentes les unes des autres, habillées d'une armure noire dans une matière semblable à du cuir, avec un casque qui semblait avoir une visière assez grande pour voir sur les côtés. Elles étaient intégralement recouvertes, on ne pouvait même pas distinguer un bout de peau ou une mèche de cheveux. Et elles étaient lourdement armées. Elles poursuivaient des gens et les tuaient sans la moindre hésitation.
Je me figeai face à cette scène. Le maître saisit ses armes et s'équipa en vitesse. Il nous ordonna de rester ici, de fermer le volet et de nous enfermer dans la chambre. Il sortit, attendit que Naje verrouilla la porte, ce qu'il vérifia, et partit.
« Quoi ? Mais on ne va pas les sauver ? Demanda Teny.
– Non, dit Naje, on reste.
– Je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi ! »
Naje l'ignora et alla fermer le volet. Il alla ensuite s'asseoir sur l'un des lits en hauteur, attendant sagement. Je savais ce que ressentait Teny car je voulais les sauver aussi, mais je comprenais aussi pourquoi le maître nous avait ordonné de rester ici. Ces personnes semblaient extrêmement dangereuses et Naje l'avait très bien compris, c'est pourquoi il obéissait sans discuter.
« Moi, je sors ! Dit Teny.
– Ça ne va pas ? Criai-je. Tu les as vues ? Rien qu'en les voyant quelques secondes, je peux dire que ces personnes sont beaucoup plus fortes que nous !
– Les citadins sont là aussi ! Ils ont besoin de notre aide !
– On ne sera que des victimes en plus !
– N'importe quoi !
– Ça va aller, nous coupa Naje, si on reste sagement ici. »
Teny l'ignora et déverrouilla la porte pour sortir en courant, prenant ses armes au passage. Je ne savais pas pourquoi je la suivis, mon épée en main.
La rue ressemblait à un champ de bataille. Et j'avais bêtement suivi Teny dedans. Je la cherchai du regard et la trouvai près de deux hommes. Elle aidait le blessé d'entre eux à se relever, l'autre était figé au sol et fixait le masqué s'approchant de lui.
Il semblait être un peu plus petit que moi et tenait une épée faite de glace dans sa main droite. Il se tourna un instant vers moi, puis reprit son chemin en marchant lentement. Ma présence ne semblait pas l'inquiéter, celle de Teny non plus. C'était comme si nous n'étions pas une menace pour lui.
Comme il s'approchait trop des hommes, Teny fonça sur lui avec sa lance en mains. Le masqué ne recula pas. Il continuait de marcher, attendant d'être assez près pour attraper la pointe de la lance de sa main libre. Je vis alors de la glace recouvrir l'arme, gelant les mains de sa propriétaire par la même occasion. Il l'envoya au sol en utilisant sa prise sur l'arme et lâcha le tout, laissant Teny à terre, sans s'occuper davantage d'elle alors qu'elle criait de douleur.
Je dégainai mon épée et fonçai sur lui. Sans réfléchir. Le masqué tourna la tête vers moi et s'arrêta dans sa marche. Lorsque j'abattis mon épée sur lui, il la para sans problème. Avant que je puisse faire quelque chose, il me donna un coup de pied dans le ventre, m'envoyant au sol. Il s'approcha de moi et alla baisser son arme sur moi.
Elle fut parée par un katana noir. C'était Naje. Il l'attaqua à son tour et le força à reculer de quelques pas sous ses coups. Puis il abattit son katana sur l'épée de glace qui se brisa sous le choc. Le masqué attrapa alors le bras de son adversaire et le recouvrit de glace, comme il l'avait fait avec la lance. Littéralement congelé, Naje était incapable de bouger.
Le masqué le lâcha et reprit sa route initiale, m'ignorant. Il recréa une nouvelle épée de glace. C'était comme si nous n'avions rien changé à la situation. Mais d'où il sortait ? Je n'avais jamais entendu parler d'une telle manipulation de glace, ni d'une telle utilisation de la magie.
Je me relevai et hésitai. Devrais-je attaquer à nouveau le masqué ? Ou devrais-je trouver un moyen d'aider Naje et Teny ? J'entendis alors les supplications d'un des hommes. Le masqué n'avait pas pitié. Il fit un croche-pied à sa cible et lui trancha la gorge. Je me figeai face à ça. Il n'était pas plus grand que moi et venait d'ôter la vie d'une personne, comme si ce n'était rien.
L'autre homme s'enfuit, le masqué le laissa faire. Il s'abaissa et fouilla le corps, laissant l'épée de côté. Je le vis prendre un petit boîtier dans l'une des proches et regarder son contenu. Il le referma et le glissa dans une doublure de son armure. Il se leva et s'en alla vers la forêt en courant.
Je regardai autour de moi. Naje était toujours congelé, Teny était toujours coincée. D'autres masqués traînaient les corps des victimes vers un endroit hors de ma vue. Je devais faire quelque chose alors je pris mon arme et fonçai derrière le masqué à l'épée de glace.
Je m'enfonçai dans la forêt, dans l'obscurité de la nuit. Je n'aurais peut-être pas dû, mais ce boîtier devait être très important. La lumière de la lune était très faible et les arbres en empêchaient une grande partie de passer, mais je continuai de courir.
Au bout d'un moment, je ne voyais plus où je mettais les pieds et je glissai. Je tombai dans une rivière. L'eau était déchaînée. J'étais incapable de rejoindre le bord et de me sortit de là. Je ne pouvais rien agripper. Au bout de quelques minutes de lutte, je n'arrivais plus à garder la tête hors de l'eau. Ayant perdu toutes mes forces, je coulais. L'air me manquait et je pensais ne plus pouvoir me sortir de là.
Une main agrippa par le dos de mon haut et m'extirpa de l'eau. J’atterris sur une plaque de glace. Je recrachais alors l'eau de mes poumons et essayais de reprendre mon souffle tout en sentant le froid me mordre.
Je sentis quelqu'un me soulever et me porter sur quelques mètres. J'entendis le bruit des pas de mon porteur sur de la neige. C'était bizarre. Comme le printemps approchait, la neige avait disparu depuis plusieurs jours. Puis, je fus posé au sol.
J'ouvris les yeux et vis deux masqués. Ils étaient plus grands que celui que je poursuivais avant mais ils n'étaient pas de taille adulte. Ils étaient agenouillés près de moi et le plus grand des deux me caressait délicatement les cheveux. Je vis également un petit pont de glace recouvert de neige.
Je ne savais pas ce qu'ils allaient faire de moi, mais je ne pouvais pas bouger. Et j'avais perdu mon épée. Je ne pouvais rien faire à part calmer ma respiration. Je sentis le masqué retirer sa main et ils se levèrent. Le plus grand claqua des doigts et le pont de glace se brisa. Ils regardèrent un endroit puis partirent en courant à l'opposé.
J'entendis quelqu'un courir et se rapprocher de plus en plus de moi. J'essayais de me relever jusqu'à ce que cette personne me saisisse par les épaules et me tourna vers elle. C'était Sateo, mon maître.
« Je peux savoir ce que tu fais ici ?! Cria-t-il. J'avais donné un ordre ! »
Malgré sa colère évidente, j'étais soulagé de le voir. Surtout que je ne savais pas comment rentrer à l'hôtel. Le maître mit sa veste sur mes épaules et m'aida à me relever.
« Tu es blessé ?
– Non, mais Teny et Naje, oui…
– Tu peux marcher ? Courir ?
– Oui. »
Alors nous courûmes jusqu'à rejoindre la ville.
En arrivant sur place, nous remarquâmes que tous les masqués avaient disparu. Les corps des victimes aussi. Ainsi que toute trace de leur passage. Désormais, il y avait des policiers qui inspectaient la zone.
Teny était avec l'un d'entre eux. Dès qu'elle nous vit, elle vint vers nous. Elle était terrifiée, elle avait du sang sur elle et des engelures sur les mains. Mais elle n'avait pas d'autres blessures. Le maître l'examina rapidement et se mit à la recherche de Naje.
Les policiers l'amenèrent vers lui et le maître se précipita pour l'examiner à son tour. Naje était allongé sur le sol avec une couverture de survie sur lui. Il était extrêmement pâle, frigorifié et inconscient. Le maître ne perdit pas de temps et le prit dans ses bras pour l'emmener au chaud.
Les policiers nous avaient accueillis dans la maison de garde et un médecin était venu nous examiner. Ils avaient pris nos déclarations. Je leur avais demandé où étaient passés les sodurs, les policiers avaient alors avoué que les sodurs avaient été assommés avant de pouvoir faire quoi que ce soit. Ces masqués avaient pris leurs précautions.
J'étais assis sur l'un des matelas au sol du salon, près du feu de cheminée. Naje était allongé sur celui à côté de moi, toujours inconscient, mais il avait repris des couleurs. Teny était partie prendre une douche à l'étage. Le maître faisait du chocolat chaud.
Je regardais le feu, habillé de vêtement secs, essayant de réfléchir à tout ça. J'aurais dû arrêter Teny. Nous avions failli mourir. Teny aurait pu perdre ses mains. J'avais failli recevoir un coup d'épée et me noyer. Et Naje avait été littéralement congelé.
Que se serait-il passé s'il était resté gelé ? Je sentis mon cœur se serrer sous l'effet du stress. Comment aurions-nous pu le sortir de la glace ? D'après les policiers, c'était les masqués qui l'avaient sorti de là, mais s'ils ne l'avaient pas fait, que se serait-il passé ?
Peu importe. Il était là, en vie et en sécurité, même s'il était toujours inconscient. Il était en manches courtes laissant voir quelques bleus sur ses bras. Il était allongé sur le côté, face au feu, avec une couverture chauffante sur lui.
Est-ce qu'il allait bien ? Il en avait l'air en tout cas. Je me rapprochai de lui et plaçai ma main sur son front. Il n'avait pas de fièvre. J'espérais qu'il n'en aurait pas.
« Qu'est-ce que tu fais ? »
Je sursautai et me retournai. C'était Teny, descendant l'escalier. Elle avait des vêtements similaires aux miens, ceux que la police nous avait donné, et ses mains étaient bandées. Elle descendit et alla s'asseoir sur l'un des fauteuils.
« Je vérifie qu'il va bien.
– Il ne tombera pas malade. La dernière fois, il n'a rien eu.
– Ça ne garantit rien.
– Pourquoi tu te préoccupes de lui maintenant ?
– Parce que c'est notre coéquipier et qu'il n'a pas hésité à nous aider.
– Notre coéquipier ? Il ne mérite même pas d'être parmi nous.
– Comment ça ? Il est le meilleur de notre promotion.
– Vu ce qu'il a fait cette nuit, j'ai d'énormes doutes. Il n'a été d'aucune aide.
– Parce que nous avons été mieux que lui ?
– Évidement, nous avons respecté notre devoir de venir en aide à la population contrairement à lui.
– Le maître nous a ordonné de rester car il savait que nous ne serions pas de taille. Notre équipe a failli être décimée.
– Tu sais que notre équipe n'en sera pas vraiment une tant qu'il n'y ait pas de changement.
– Qu'est-ce que tu veux dire ? »
En quelques secondes, je compris ce qu'elle voulait vraiment dire. Elle ne voulait pas de Naje dans notre équipe. Pour elle, il n'était qu'un bâtard et n'avait aucune valeur. Il n'en aurait jamais. Elle m'énervait.
« Je ne veux pas d'un bâtard dans notre équipe. C'est mauvais pour notre formation et notre avenir.
– La prochaine fois que tu nous mets en danger, je te laisserai partir seule et j'empêcherai Naje de te venir en aide. Je le garderai loin des problèmes que tu nous causeras, même s'il faut l’assommer. »
L'atmosphère se tendit. Heureusement, le maître arriva avec des chocolats chauds et des biscuits, mettant fin à notre conversation.
Les policiers étaient revenus, ils n'avaient rien trouvé, pas une seule preuve… Nous leur avions raconté ce que nous avons vu et fait. Teny avait raconté qu'après avoir vu de quoi était capable le masqué, elle s'était enfuie pour prévenir la police, mais elle avait été retenue par un autre masqué. Il ne l'avait pas blessée mais il l'avait coincée avec la lance pour l'empêcher de bouger.
Le maître avait essayé de découvrir leur mode de fonctionnement et de trouver leur chef, mais il n'avait rien obtenu. Les masqués semblaient savoir comment faire pour tout dissimuler. J'avais ensuite raconté ce qu'il s'était passé de mon côté.
« Vous avez eu de la chance face aux guerriers de l'ombre.
– Vous savez qui ils sont ? Demanda Teny.
– Oui et non, dit Sateo. Nous n'avons jamais eu de preuve physique de leur existence, d'où leur nom, seulement des témoignages plus ou moins crédibles. Et encore, ils sont rares. Je comptais vous en parler dans quelques années. Je ne pensais pas que nous allions tomber sur eux.
– C'est qui exactement ?
– Des personnes masquées surentraînées et armées jusqu'aux dents, fortes et puissantes. Les guerriers de l'ombre opèrent la nuit et commettent des meurtres. On ignore comment et pourquoi ils font ça, mais également d'où ils viennent, qui ils sont, qui sont leurs chefs, comment ils communiquent, combien ils sont et comment ils sont recrutés.
– Comme des FS ? Demandai-je.
– Non, ils n'ont rien à voir avec eux. Ils ressemblent plus à des mercenaires qu'à des FS.
– Et qu'est-ce qu'on doit faire avec eux ?
– Les ordres actuels sont d'obtenir des informations sur eux et de ramener une preuve de leur existence. Mais tant que tu es un apprenti, tu n'interviens pas, dit Sateo, quand tu seras un sodur qualifié, tu pourras agir.
– Rien d'autre ? Demanda Teny.
– Non. »
Les policiers étaient repartis. Le maître nous avait envoyés au lit. Teny était montée à l'étage et j'étais resté dans le salon. Il était quatre heures du matin mais j'étais incapable de dormir. Nous n'avions pas été longtemps face aux guerriers de l'ombre et j'avais été laminé en quelques secondes. Pire encore, si deux d'entre eux ne m'avaient pas sauvé, je ne serais pas ici. D'ailleurs, pourquoi m'avaient-ils sauvé ? Qu'avaient-ils à gagner ? Je devais vraiment faire des progrès très rapidement parce que sinon…
« Ne te prends pas la tête. »
Naje ? Je me tournai vers lui, il avait repoussé la couverture et s'était assis, tourné vers la cheminée, regardant le feu.
« On s'en est sorti, c'est tout ce qui compte.
– Mais tu as failli perdre la vie, Naje.
– Nous avons failli perdre la vie, pas seulement moi.
– Mais à cause de Teny, tu as failli mourir. Ça ne te fait rien ?
– On meurt tous un jour. Parfois plus vite que prévu.
– Si j'avais été plus fort…
– Ça n'aurait rien changé. Les guerriers de l'ombre étaient plus nombreux.
– Tu connaissais leur nom ?
– Je vous ai entendu en parler.
– Pendant que tu étais inconscient ?
– J'entendais quelques passages, c'est tout. »
Est-ce qu'il avait entendu ce que Teny avait dit ? Comment allait-il le prendre ? Je ne l'avais jamais vu s'énerver face aux gens qui l'insultaient, il ignorait tout le monde. Mais Teny aurait pu montrer un peu de reconnaissance envers lui. Naje me regarda un instant, sentant que j'étais pensif, puis il regarda à nouveau le feu.
« Tu ne devrais pas te la mettre à dos pour moi, mais merci.
– Elle n'a pas à te traiter comme ça.
– Ce n'est pas une insulte, Liebewig. Je suis un bâtard, c'est un fait que rien ne changera.
– Shoyo. Appelle-moi par mon prénom. »
Naje me fixa, surpris.
« Écoute. Je sais que tu utilises les noms avec tout le monde parce que les gens t'y obligent. Ils t'imposent une distance parce qu'ils ne tolèrent pas ton existence. Tu l'as dit toi-même, rien ne changera la manière dont tu es venu au monde mais ce n'est pas de ta faute. Alors je trouve ça injuste qu'on te traite de cette manière. »
Je fis une pause.
« Je sais aussi que tu utilises les prénoms avec les gens qui t'acceptent, même s'ils sont peu nombreux. Et je suis parmi eux. Donc cette distance n'a plus lieu d'être avec moi. »
Naje baissa les yeux. Il resta immobile quelques secondes, certainement le temps de traiter l'information. Il me regarda à nouveau.
« Pourquoi ce changement ?
– Parce que tu le mérites. »
Il m'avait sauvé. Je ne pouvais plus faire comme si je n'étais pas concerné par tout ça. Naje regarda le sol face à lui. J'étais sans doute le premier à agir de cette manière envers lui.
« Merci Shoyo.
– Merci à toi. Rendors-toi, on va avoir de la route à faire. »
Nous nous rallongeâmes en silence, nous endormant en entendant le bois brûler.
Nous avions mis en route un peu plus tard que prévu. Le maître nous avait laissés nous reposer. Nous avions récupéré nos affaires et nous étions partis en train. Je m'étais assis du côté de la fenêtre et étais plongé dans mes pensées. Naje était en face de moi, endormi avec son katana à la main. Sateo était à côté de lui et lisait le journal. Teny était partie se dégourdir les jambes.
Contrairement à elle, je n'arrivais pas à me remettre de la nuit dernière. J'avais vu des gens mourir devant moi sans avoir pu faire quoi que ce soit pour les sauver, ni pour obtenir la moindre information. Et en plus, j'avais perdu mon épée.
« Ça ne va pas Shoyo ? Demanda le maître.
– J'ai perdu mon arme dans l'eau.
– Je l'avais remarqué.
– Je vais être sanctionné ?
– On verra ça à la prochaine séance d'entraînement, inutile de te rajouter du stress supplémentaire.
– D'accord.
– Il y a autre chose qui te tracasse, dis-la.
– Le guerrier qui tenait l'épée de glace était plus petit que moi.
– C'est ça qui te pose problème ?
– Il a sûrement mon âge et pourtant, il n'a pas hésité à tuer quelqu'un. Il n'a même pas vacillé. Comment un enfant peut faire ça ?
– Shoyo, dans une guerre, certains ne reculent devant rien, même si cela implique des enfants. »
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