Chapitre 10 : Un duo avec toi

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Shoyo


Il y avait Heetar et ses larbins qui l'attendaient. Naje semblait ne pas être surpris à les voir mais il semblait aussi avoir espéré ne pas tomber sur eux. Les Huiju l'encerclèrent, Naje les regarda un à un, les analysant, puis son regard se dirigea vers moi. Est-ce qu'il savait que j'étais là ? Il lâcha un soupir et reposa son regard sur Heetar. Il savait. Mais comment il pouvait le savoir ?

« On dirait que tu cherches à nous éviter, dit Heetar.

–Tu crois que j'ai envie de te voir ? Demanda Naje.

– Il paraît que tu as rencontré des guerriers de l'ombre et que tu n'as pas été fichu d'en blesser un.

– Je pensais que tu ne croyais pas à leur existence.

– Savoir que tu as perdu contre quelque chose qui n'existe pas est assez marrant. Allez, mets-toi en position de combat si tu as assez de cran !

– Je ne me battrai pas contre toi.

– Preuve que tu n'es qu'un trouillard. »

Je compris d'où venaient les bleus. C'était un lynchage. Je savais pourquoi il faisait ça. Heetar avait décidé qu'il devait faire comprendre à Naje où était sa place. Est-ce que tous les bâtards étaient vraiment traités de cette manière ? Et il parlait de courage ? À cinq contre un ?

Heetar fit un signe de tête à l'un de ses larbins. Celui-ci attaqua Naje et le frappa au ventre. Lui, il ne s'énervait pas, il ne répliquait pas. Pourtant je savais qu'il pouvait le battre, il l'avait déjà fait à l'école. Pourquoi il ne faisait rien ?

Un autre fonça sur lui, m'empêchant de réfléchir à des réponses. Ça suffit, je ne voulais pas regarder ça. Et je n'allais pas partir sans rien faire. Je sortis de ma cachette et attrapai le poing se dirigeant vers Naje, puis je le repoussai avec force, le faisant reculer.

« Shoyo, ne te mêle pas de ça, dit Heetar.

– Ça ne te regarde pas ! Cria un autre.

– Shoyo ? S'étonna Naje. Qu'est-ce que tu…

– Naje, ne bouge pas, dis-je. Quant à vous, c'est digne de votre clan de se mettre à cinq contre un ?

– Tu fais ami-ami avec un bâtard maintenant ? Se moqua Heetar. Franchement, tu vaux mieux que ça. Ne t'occupe pas de ça et rentre chez toi.

– Pour une fois, je suis d'accord avec eux, dit Naje.

– Toi, tu te tais, dis-je. Heetar, c'est ce que tu vaux ? Un lynchage sous forme de combat déloyal ? »

Ça l'énerva. Il envoya deux de ses larbins contre moi et fonça sur Naje avec les deux autres. Heetar était lâche. Et il était l'héritier de son clan. Quelle belle image. Remarque, leurs techniques étaient à cette même image.

Les Huiju avaient la technique de détection des points faibles. Ça leur permettait de savoir où frapper pour gagner plus facilement. Il était donc évident que le premier coup que j'allais recevoir serait pour mon ventre, là où Glacies avait frappé.

J'évitai facilement les coups et repoussai mes deux adversaires. Je me tournai rapidement vers Naje et le rejoignis. Je n'attendis pas et allai directement vers lui. Je l'attrapai par son bras et le tirai derrière moi, l'éloignant du groupe en reculant. Les Huiju regardèrent Heetar, cherchant à savoir quoi faire.

« Shoyo, ça ira. Tu peux t'en aller.

– Écoute-le, cette histoire ne te regarde pas, dit Heetar. »

Il m'énervait. Vraiment. Je sentis mon énergie s'accumuler au fur et à mesure que le groupe s'approchait de nous. Naje essaya de sortir de ma prise mais je la resserrai, lui faisant comprendre que je ne le lâcherais pas.

« Shoyo, ça suffit !

– Laisse-nous le bâtard ! »

Sans que je sache comment, je sentis l'énergie accumulée partir d'un seul coup. Elle causa une onde de choc autour de moi, repoussant le groupe de Heetar de plusieurs mètres, les faisant tomber au sol. Ils prirent la fuite, choqués.

Personne n'avait compris ce qu'il s'était passé, moi non plus. Il n'y avait plus que Naje et moi. Je me tournai vers lui, je vis qu'il était à terre mais je le tenais toujours. Il était aussi choqué de ce qu'il venait d'arriver et se releva lorsque je le tirai vers le haut.

« Comment tu as fait ça ? Demanda-t-il.

– Je ne répondrai à ta question que si tu réponds aux miennes. »


Je l'avais emmené sur le pont le moins fréquenté de la ville. Naje m'avait suivi calmement. Il n'y avait personne autour de nous. Naje s'était accoudé sur la barrière, regardant l'eau et se préparant mentalement à mes questions. Je m'étais adossé à côté de lui, lui laissant quelques minutes avant de briser le silence.

« Ça a lieu régulièrement ?

– Pratiquement tous les jours.

– Comment il fait pour te trouver à chaque fois ? J'ai galéré à te suivre.

– Ils sont placés aux bons endroits pour me repérer rapidement.

– Depuis quand ça dure ?

– Depuis que je l'ai empêché de frapper Akiko à l'école.

– Tu pourrais les battre.

– Et ils reviendront plus nombreux la prochaine fois. Au début, ils étaient juste trois.

– Mais tu ne te défends même pas.

– Ils ne me lâcheront pas tant que je ne serais pas à terre. Plus vite c'est fini, plus vite je suis tranquille. »

Heetar baissait de plus en plus dans mon estime. Et les autres Huiju lui obéissaient. Quel clan d'abrutis. Ils me dégoûtaient.

« Tu en as parlé à quelqu'un ?

– Ça changerait rien. »

Pas besoin de demander pourquoi. Personne n'aiderait un bâtard. Surtout pas en dénonçant un héritier d'un clan aussi puissant que celui des Huiju. C'était injuste. Naje était assez doué pour faire revivre un nouvel âge d'or à notre ville, mais la population était en train d'étouffer ça dans l’œuf. Cependant le maître se souciait de lui et je savais qu'il n'était pas le seul.

« Et Hagop ?

– Il ne sait pas.

– Pourquoi ? Il pourrait arrêter tout ça. C'est le sodur-chef.

– Je sais. Il le fera et c'est ça le problème.

– Comment ça ?

– Tout ce que fera Hagop pour m'aider sera mal pris par les Huiju et mal vu par tout le monde. Il pourrait y perdre son poste et causer un conflit entre son clan et le leur. C'est beaucoup trop risqué. »

Les conflits de clans pouvaient aboutir sur des batailles. C'était très dangereux pour les gens vivant à proximité. L’État envoyait des médiateurs lorsque le conflit prenait trop d’ampleur. Mais à partir du moment où ça devenait violent, il fallait laisser les clans faire ce qu'ils voulaient et protéger les personnes non concernées. Parce que si une médiation ne fonctionnait pas, une séparation serait inutile. Les clans trouveraient toujours le moyen de continuer à se battre.

Hagop ne pouvait pas énerver le chef des Huiju, il l'avait déjà trop fait en gardant Naje loin de lui. S'il s'en prenait à Heetar, ça aggraverait la situation au point de déclencher un conflit. Naje savait tout ça et il prenait sur lui pour éviter les problèmes aux autres.

Naje s'assit dos à la barrière et replia ses jambes contre lui, regardant le sol à ses pieds. Je m'assis à côté de lui, en tailleur, pour rester à sa hauteur.

« Comment tu as su que j'étais là ?

– J'arrive à percevoir les énergies des gens et à les reconnaître.

– Je ne savais pas que les Huiju pouvaient faire ça.

– Ils ne le peuvent pas. »

Naje soupira.

« Pourquoi tu es intervenu ? Demanda-t-il. Tu n'avais pas à le faire.

– Je ne pouvais pas les laisser te lyncher.

– Je ne t'ai pas demandé de m'aider.

– Et je n'allais pas attendre que tu le fasses.

– Tu t'es peut-être mis en danger en faisant ça…

– Je doute qu'ils aillent raconter à qui que ce soit qu'un sans technique comme moi les a battus. T'imagines, ce serait la honte pour eux. »

Et ils ne reviendraient pas plus nombreux, ils voudraient garder ça pour eux. Une humiliation était suffisante. Toutefois, je devais avouer que j'adorais l'effet de la victoire. Mais je n'avais pas le temps de m'y attarder.

« Pourquoi avoir fait ça ? Tu n'as rien à y gagner.

– Tu m'as aidé plusieurs fois sans attendre quelque chose en retour, je peux bien faire ça.

– Mais ton intervention ne va pas les faire arrêter, tu le sais.

– Il doit y avoir un moyen pour qu'ils te laissent tranquille.

– Même quitter l'empire ne suffira pas. »

Il y avait déjà réfléchi. Pour l'empire de Bloss, il resterait à jamais un bâtard à éliminer. Son empire natal l'accueillerait, mais il n'y serait qu'un pupille de l’État parmi tant d'autre. Et ça ne le sauverait pas des Huiju. Ils le retrouveraient et Hagop ne pourrait pas le protéger. Mais s'il restait, Hagop ne pourrait pas le protéger éternellement non plus.

Il ne pouvait pas rester et il ne pouvait pas partir non plus. Il était coincé. Quelle option lui restait-il ? À part… Disparaître ? Comme Isak qui avait réapparu une fois pour repartir ? Ou comme Tsuyo dont on n'avait plus aucune nouvelle depuis vingt-cinq ans ? Il leur ressemblait. Est-ce qu'il allait disparaître comme eux ? Non. Je ne pouvais pas laisser ça se passer. Il ne méritait pas tout ça. Je devais faire quelque chose.


Peut-être que vous pourrez montrer que vous valez bien plus que les gens le pensent.


« Reste.

– Tu ne peux même pas imaginer ce que je vais endurer si je reste.

– Je serai là avec toi.

– Tu n'as pas à traîner avec quelqu'un comme moi.

– Tu veux dire avec un bâtard ? Tu sais que ça n'a pas d'importance.

– Shoyo, tu n'as pas à…

– C'est fini. Tu as supporté ça seul trop longtemps. Je suis là maintenant. »

Ses yeux se décrochèrent de ses pieds et il me regarda. C'était extrêmement rare qu'il soutienne un regard. Il cherchait à voir si j'étais sérieux dans mes paroles. Et je l'étais. J'avais pris ma décision. J'étais le coéquipier de Naje.

« Naje, je veux qu'on forme un duo. »

Il fut surpris, ne comprenant pas pourquoi je voulais ça. Il me fixa, cherchant une réponse. Il ne faisait pas confiance à tout le monde, alors je devais trouver les bons mots pour le convaincre.

« Je sais que je peux te faire confiance. Et tu peux me faire confiance aussi. J'empêcherai les autres de te rabaisser et de te frapper. J'éloignerai tous ceux qui sont contre toi et te soutiendrai.

– Pourquoi ?

– Je sais qu'ensemble, nous pourrions faire nos preuves. Nous pourrions prouver notre valeur. »

Je savais que nous étions encore jeunes pour ça. Nous n'avions que 12 ans et nous manquions encore d'expérience. Mais même si nous avions encore beaucoup de chemin à faire avant d'en former officiellement un, il fallait que Naje soit au courant. Il fallait lui assurer que je serais là.

Peut-être que si j'attendais trop longtemps, il disparaîtrait comme l'avaient fait Isak et Tsuyo. Et je n'allais pas prendre ce risque.

« Tu n'as pas à décider maintenant. Mais je te protégerai de ces idiots que tu acceptes ou non.

– D'accord. Mais tu sais, je suis certain que Teny serait ravie de faire un duo avec toi. »

Cherchait-il à m'énerver ? Ou il me taquinait ?

« Pas question.

– Pourtant, elle a du potentiel.

– Désolé Naje. Je t'ai choisi toi, pas elle.

– C'est d'accord.

– D'accord pour ?

– Pour le duo. C'est d'accord. »

Je souris. Lui aussi.


Le soleil se couchait. Les lumières s'allumaient les unes après les autres. Naje et moi marchions tranquillement vers le manoir des Rida.

« Je marcherai avec toi pour aller à l'entraînement et en revenir, dis-je. Ça devrait être suffisant pour qu'ils ne t'attaquent plus.

– Parce que tu vas me forcer à venir ?

– Évidemment, je n'ai pas envie de me retrouver seul avec Teny.

– Cette belle amitié entre vous est déjà terminée ?

– Je rêve ou tu te moques de moi ? »

Il se contenta de sourire. Quelque chose me disait que j'allais bientôt découvrir des nouvelles facettes de lui.

« Est-ce que tu penses que les Huiju se vengeront sur quelqu'un d'autre ?

– Non, ils savent qu'il y a des limites à ne pas franchir.

– C'est à cause d'eux que tu ne venais pas toujours ?

– Parfois, mais la plupart du temps, je pars faire quelques missions.

– Comment ça se fait que tu as le droit d'en faire ? Et pourquoi en faire autant ?

– C'est pas comme si on se souciait de mon sort. Et j'ai besoin d'argent. »

Comme si son tuteur, notre sodur-chef, ne lui en donnait pas.

« Tu les fais seul ?

– Le plus souvent, oui. Je sais à qui demander quand j'ai besoin.

– C'est dangereux ?

– Tu te préoccupes beaucoup de moi ces derniers temps. Où est ce garçon qui voulait me vaincre pour faire ses preuves ? Demanda-t-il en taquinant.

– J'admets que j'ai été stupide, mais au moins, tu es mon coéquipier. »

Je savais que sa confiance n'était pas encore gagnée, mais j'étais sur la bonne voie.

« Alors, comment as-tu fait cette onde de choc ?

– J'en sais rien. »

Je me sentais un peu bête. Et à cet instant, il devait regretter sa décision. Mais je me devais d'être honnête avec lui. Tout comme j'espérais qu'il le serait avec moi, même si je savais qu'il gardait encore des secrets. Il soupira et sourit.

« Merci pour aujourd'hui.

– De rien. Mais, promets-moi que si tu as un problème, tu m'en parleras.

– Promis. »

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