Chapitre 11 : Grande discussion
Shoyo
Vu que j'étais plus en retard que d'habitude et que j'avais raté le cours avec mon oncle, mes parents avaient exigé des explications. Je savais que je ne devais rien leur cacher, mais je savais aussi que ma mère n'allait pas apprécier que cela concernait Naje. Et je ne savais pas quoi dire concernant l'onde de choc, mais je devais tout dire.
Après le repas, mes parents avaient envoyé mon frère au lit. Nous étions alors assis à table et j'avais tout raconté. À la fin de mon récit, je pus voir mon père sourire et ma mère afficher une mine désapprobatrice.
« Tu n'avais pas à te mêler de tout ça, dit ma mère. Ça ne te regardait pas. »
Je la regardai. Elle avait froncé les sourcils et l'expression de son visage n'indiquait rien de bon. Ce n'était pas la première fois que je faisais quelque chose qu'elle ne voulait pas, aller à l'école des sodurs en était la preuve, mais c'était la première fois qu'elle utilisait un ton aussi ferme.
C'était donc la première fois que j'étais en désaccord avec elle. La conversation s'annonçait lourde. Je ne voulais pas la décevoir ou l'énerver, mais je devais tenir bon. Stressé, je dis :
« Naje est mon coéquipier, ça me regarde.
– Il peut s'en sortir tout seul.
– Ils étaient à cinq contre lui, maman ! Protestai-je.
– Raison de plus pour ne pas t'y impliquer.
– Alors je fais quoi ? Je regarde faire et j'applaudis ? Demandai-je sarcastique.
– Shoyo ! »
Aïe. Ça empirait. J'allais continuer à parler mais elle leva la main, me disant ainsi de me taire. Je fronçai les sourcils, tournant la tête en signe de protestation.
« Personne ne défendra un bâtard ! Cria-t-elle. J'aimerais que tu en fasses autant parce qu'il va t'attirer des problèmes sinon.
– Alors parce qu'il est un bâtard, il va forcément m'attirer des problèmes ? M'emportai-je.
– Oui ! Et c'est mon devoir de mère de t'en tenir à l'écart pour te protéger ! »
Quoi ? Elle pensait comme tous les autres ? Elle pensait vraiment que les bâtards apportaient le malheur ? Je ne pouvais pas accepter ça. Sous la colère, j'osai la regarder droit dans les yeux et lâchai :
« Et lui ? Qui le protège ?
– Ce n'est pas mon problème ! Cria-t-elle.
– Et si c'était moi à sa place ? Hurlai-je.
– Ce n'est pas le cas ! Alors tu arrêtes de traîner avec lui ! Ordonna-t-elle en levant, plaquant les mains sur la table.
– C'est mon coéquipier !
– Tu as Teny !
– Je ne veux pas de cette garce ! Criai-je en me levant.
– Elle sera toujours mieux qu'un bâtard ! Hurla ma mère.
– Stop ! Cria mon père. »
Je sursautai. Je me tournai vers mon père, la surprise ayant temporairement pris le dessus sur ma colère. J'avais oublié qu'il était là, il avait été si calme durant cette conversation. Mon père me fit signe de me rasseoir et j'obéis. Il valait mieux ne pas énerver mes deux parents. Ma mère lâcha un soupir exagéré, calma sa respiration et se repositionna correctement sur sa chaise.
« Aquelle, ma chérie, nous étions d'accord pour ne pas faire ce genre de discrimination. Naje a toujours été un bon garçon, il ne mérite pas un tel traitement. Et tu sais que notre fils n'est pas assez stupide pour s'attirer des ennuis, il fera attention. De plus, je suis certain que Naje ne mettra pas Shoyo en danger.
– Mais il devrait mieux faire équipe avec Teny, insista ma mère.
– Peut-être, mais il est important que Shoyo choisisse sa propre équipe, qu'il fasse des erreurs ou non. Mais concernant Teny, pourquoi avoir un tel langage envers elle ? Me demanda mon père. »
Forcément. Je le fixai un instant. Mon père était si calme. C'était perturbant. Très perturbant. Ma colère disparut et je baissai la tête, regrettant d'avoir mis ma mère en rage mais sachant que je ne devais pas céder et changer d'avis.
« Teny est… Elle est horrible.
– Comment ça ? Demanda mon père.
– Je ne supporte plus son attitude. Elle ne voit les gens qu'à travers leur réputation. C'est comme si rien d'autre n'avait d'importance. Elle en devient égoïste. J'ai l'impression que si je perds en réputation, elle me traitera comme ça aussi.
– Alors tu préfères faire équipe avec Naje.
– Avec lui, c'est différent. Il ne m'a jamais jugé. J'ai confiance en lui.
– Tu veux vraiment faire équipe avec lui ?
– Oui. »
Ma mère soupira, toujours sur les nerfs. Elle regarda mon père sévèrement, il la regarda calmement en retour, cherchant à l'apaiser. Puis, sentant qu'ils ne trouveraient pas un accord ainsi, mes parents échangèrent le fameux regard du : il faut qu'on parle.
« Shoyo, va te coucher, dit mon père. On en reparlera demain matin. »
J'obéis. Continuer à s'énerver n'allait rien changer. Il valait mieux les laisser entre eux. En sortant, je lançai un regard inquiet à mon père, espérant qu'il sache comment faire pour arranger la situation et convaincre ma mère. J'espérais qu'elle me pardonnerait cette crise. J'allai dans ma chambre, entendant en chemin le début de leur conversation.
« C'est un bâtard, on ne peut pas laisser Shoyo avoir de mauvaises fréquentations !
– Chérie, on n'a pas élevé Shoyo à traiter les gens selon leurs origines.
– Oui parce qu'on n'a jamais su d'où venait ton père, mais...
– Mais Naje est un bon garçon… »
Après avoir regagné mon lit, mon frère vint me voir discrètement.
« Qu'est-ce que tu veux ? Tu devrais dormir depuis longtemps.
– J'ai écouté ta conversation avec les parents. »
Allait-il devenir un espion ? Il se lassait déjà de l'école classique ? Je m'assis, sachant qu'il ne me laisserait pas tranquille.
« Maman n'a pas l'air de l'apprécier…
– Maman pense à nous avant tout. Elle a juste peur que j'ai des problèmes à cause de… »
Je ne finis pas cette phrase. J'aimais ma mère, mais elle n'était pas parmi les personnes les plus ouvertes. J'espérais vraiment que mon père puisse faire quelque chose.
« Bref, qu'est-ce que tu veux ?
– J'ai peut-être une solution ! Dit-il tout joyeux.
– Ah bon ?
– Si on fait en sorte que Naje ne soit plus un bâtard, il n'y aurait plus de problème ! Dit-il fièrement.
– On ne peut pas légitimer Naje.
– Pourquoi ça ?
– Parce qu'il faudrait que les deux côtés, celui de sa mère et celui de son père, se mettent d'accord, en respectant les lois et les volontés de chacun. Et ils n'y arriveront jamais. Sans oublier que les Huiju voudront toujours rétablir l'honneur de leur clan et en faire un exemple.
– Oh… Alors qu'est-ce qu'on peut faire ?
– Rien. Juste, ne sois pas méchant avec Naje. Ça sera déjà beaucoup. »
Peut-être que c'était ce que ma mère attendait de moi, mais je ne pouvais plus me contenter de ça. Je voulais l'aider et je n'allais pas laisser ma mère me faire changer d'avis.
Le lendemain, ma mère avait agi comme d'habitude et était partie accompagner mon frère à l'école avant d'aller à son travail. Pendant que je prenais mon petit-déjeuner, mon père s'assit en face de moi et me dit :
« J'ai réussi à convaincre ta mère.
– Sérieux ? Dis-je très heureux.
– Ne te réjouis pas trop vite, dit-il fermement. Ta mère a imposé plusieurs conditions. La première : tes études avant tout, ne laisse rien t'empêcher d'obtenir ton diplôme et ton travail. La deuxième : tu peux t'occuper des petits règlements de compte comme celui d'hier, mais tu ne vas pas plus loin. Tu ne tiens pas tête à quelqu'un de plus vieux ou de plus important. La troisième : tu ne te fais pas remarquer. La quatrième : tu ne te laisses pas embarquer dans des problèmes. La cinquième : tu deviens responsable. Si tu respectes pas tout ça, tu quittes cette formation et tu pars à l'école normale. »
C'était beaucoup.
« Promis ? Demanda mon père.
– Promis.
– J'espère que je n'aurais jamais à refaire ça… Soupira-t-il.
– Merci papa. »
J'étais content. Mais j'avais d'autres questions dans la tête et j'avais l'occasion parfaite. Mon frère n'était pas là et je n'aurais pas cette chance aussi souvent. Alors je poussai mes céréales sur le côté et dis :
« Papa, puis-je te demander quelque chose ?
– Si tu m'annonces que tu as une petite…
– Non ! Le stoppai-je. Je voulais simplement savoir si maman avait une technique héréditaire.
– Elle n'en a pas.
– Es-tu certain ?
– Totalement, dit-il en prenant une gorgée de son café.
– Et de ton côté via grand-mère ?
– Elle n'en avait pas non plus. Shoyo, je ne sais pas ce à quoi tu penses mais nous n'avons pas de techniques héréditaires dans notre famille.
– C'est juste que j'ai fait quelque chose et…
– Dois-je prendre un avocat ? Demanda-t-il tout naturellement.
– Papa !
– Quoi ? J'ai l'impression que tu vas me dire que tu as fait une grosse bêtise.
– J'ai créé une onde de choc avec mon émofa. Je voulais savoir si quelqu'un de la famille a pu faire quelque chose dans le genre.
– Pas à ma connaissance. Je ne pense pas que tout le monde a essayé, non plus. Peut-être que tu as créé une nouvelle technique à force de t'entraîner ? J'ai cru comprendre que ça pouvait arriver.
– Peut-être, je n'en sais rien…
– Tu devrais en parler avec ton maître, il en saura plus que moi. »
C'était une bonne idée.
Les mois d'Acanad et de Komunad suivants avaient défilé à grande vitesse. Une nouvelle routine s'était installée durant laquelle j'avais appris à mieux connaître Naje. Il était très renfermé au début et suivait simplement le mouvement, comme pour voir si j'allais tenir ma promesse. Il était hésitant, mais il s'habituait lentement à ma présence.
L'entraînement se passait bien. Le maître était assez content des derniers changements, parce qu'il arrivait enfin à communiquer avec Naje et parce que ce dernier s'impliquait davantage dans l'entraînement et les missions. Même s'il disparaissait encore régulièrement.
De mon côté, j'avais fait beaucoup de progrès et en grande partie parce que Naje m'aidait et restait souvent en fin de journée pour m'aider à refaire l'onde de choc. Nous allions à l'un des terrains extérieurs à Manok pour cela.
Le seul problème, c'était Teny. Elle refusait de s'impliquer avec Naje et devenait agressive envers lui. Elle cherchait à me dissuader de faire équipe avec lui. Au début, j'essayais d'être patient avec pour tenir ma promesse, mais plus le temps passait, plus je lui répondais sèchement.
« Tu cherches quelque chose ou tu tentes d'éviter de tout ranger ? Me demanda Naje. »
L'été s'approchait à grands pas alors nous nettoyions le local et faisions une inspection de notre matériel. Le maître était déjà parti, ayant jugé que nous étions capables de faire ça sans lui. J'étais assis, regardant fixement mon épée.
« Elle a un truc bizarre, dis-je.
– Laisse-moi voir. »
Je lui donnai ma précieuse épée. Naje l'inspecta en la faisant tourner sous la lumière.
« Elle s'est fragilisée. Il va falloir l'amener à la forge.
– J'en prends soin pourtant ! Comme la prunelle de mes yeux…
– Oui, dit-il sur un ton pas convaincu, tu tapais avec comme un bourrin sur les mannequins d'entraînement pas plus tard qu'hier.
– C'est pas vrai.
– Leur état est déplorable, on va même devoir faire une demande pour les remplacer. Tu aurais pu y aller moins fort.
– Pour ma défense, Ico est extrêmement agaçant ces derniers jours, il faut bien que je me défoule.
– Il parle encore de son dessin animé ?
– Oui mais aussi de la jeune célébrité, celle avec les cheveux en arc-en-ciel…
– Mir ? Les enfants du clan en parlent aussi.
– Oui, il n'arrête pas une minute. Je dois même le supporter tous les soirs comme mon oncle n'a plus le temps de me donner des cours. »
Naje semblait mal à l'aise d'un coup. Cela faisait un mois que Jared était tombé malade. Son état était assez inquiétant et empirait. D'après mon oncle, ce qui lui arrivait était incompréhensible alors presque tous les médecins étaient sur son cas. Jared avait fini par rester à l'hôpital depuis la semaine dernière. À cause de ça, il avait été suspendu de sa formation de sodur et Naje s'inquiétait beaucoup pour lui.
« Il ira bien. Les médecins vont le soigner, dis-je en sachant qu'il comprendrait.
– Je connais un bon forgeron pour ton épée. On peut y passer en rentrant. »
Je hochai la tête. Nous avions continué à ranger et au moment de partir, Teny s'approcha de nous. Je savais déjà ce qu'elle allait dire.
« Tu traînes encore avec ce bâtard ? Demanda-t-elle.
– Tu traînes encore avec ta connerie ? Rétorquai-je.
– Langage, dit Naje.
– Tu devrais t'éloigner de lui avant que le malheur ne s'abatte sur toi.
– Naje et moi devrions nous éloigner de toi avant que ton imbécillité ne déteigne sur nous. »
Je tirai Naje vers la sortie pour nous éloigner de cette peste. Elle ne nous a pas suivis. Tous les jours, elle reprenait cette même conversation, à croire que c'était devenu un rituel. Après avoir mis un peu de distance avec le local d'entraînement, Naje me dit :
« Tu ne mâches plus tes mots.
– Je ne la supporte plus, dis-je.
– Tu lui parlais beaucoup avant. Tu t'entendais bien avec elle.
– Quand j'y pense, elle a toujours été une vraie peste.
– Langage, Shoyo.
– Je ne peux pas parler d'elle avec politesse.
– Mais tu ne dois pas te la mettre à dos...
– Naje, le coupai-je. C'est une idiote et on ne perd rien à nous tenir loin d'elle. Au contraire.
– Mais qu'est-ce que tu es têtu…
– Tu t'y feras.
– Pour maintenant… »
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