Chapitre 13 : La Marque
Shoyo
À notre arrivée, le maître nous avait réveillés et nous descendîmes sur le quai.
« Shoyo, tes parents sont à la maison ?
– Non, mais mon oncle oui.
– Je te ramène chez lui, tu ne dois pas rester seul. Et toi, Naje ?
– Le manoir est toujours occupé.
– Et Hagop ? Je dois lui parler.
– Aucune idée.
– Tu restes avec moi, je te ramènerai demain.
– Pourquoi ? Je peux me débrouiller.
– Je ne vais pas te laisser seul après une tentative d'assassinat. Tu viens. »
Mon oncle n'avait posé aucune question. Il m'avait simplement installé dans la chambre de mon cousin après m'avoir fait à manger. Le lendemain, Anatole me questionna sur la mission. Elle avait été inquiète de me voir revenir plus tôt et surtout en pleine nuit, mais elle ne demanda rien de précis.
« Bon, Anatole et moi allons déposer Anton à l'école puis nous irons travailler. Anaelle devrait partir dans deux heures. N'oublie pas que tu dois retrouver ton maître à dix heures Prends une douche avant.
– Merci tonton.
– Et n'oublie pas non plus de réfléchir à ce que tu vas dire à tes parents. »
Je devais avouer qu'une bonne douche m'avait manquée. Mais je ne pus pas profiter très longtemps à cause de ce que je venais de remarquer. Il y avait une sorte de tatouage sur le haut de mon thorax. J'ignorais comment il était apparu et il m'intriguait beaucoup. Ma mère allait me tuer. Je ferais mieux de ne rien dire à mes parents à ce sujet.
Je l'examinai. Était-ce un sceau, une malédiction ou juste une marque ? Appeler ça une marque sonnait mieux. Je frottai, essayant de l'effacer en vain. Même le lait démaquillant d'Anatole ne fonctionnait pas. Elle n'ajoutait pas d'épaisseur à ma peau, mais je pouvais sentir une différence de texture. Elle était assez douce et lisse, belle et brillante. J'avais l'impression de l'avoir déjà vue.
Il y avait un bouclier ayant six bords, les deux du haut étaient arrondis contrairement aux autres, les deux bords du milieu étaient bien parallèles et les deux derniers se rejoignaient en formant une pointe. Les coins des bords parallèles étaient reliés en diagonales par des lignes argentés. Ses contours étaient également argentés, le fond du bouclier était d'un bleu très pâle.
Dans la partie du haut, il y avait un symbole argenté : un cercle avec trois points et trois traits à l'intérieur. Dans la partie du bas, il y avait un oiseau ayant du noir, du bleu et du rouge sur lui. Il était magnifique. Dans la partie de gauche, il y avait une fleur, une seringa blanche pour être exact. Dans celle de droite, il y avait un chrysanthème rouge.
Plus jeune, mon père avait eu une passion pour le langage des fleurs. Il m'avait appris à les reconnaître et il avait toujours un livre dessus. Il disait qu'une fleur pouvait avoir une signification différente selon le livre, mais peu importe. J'ignorais si cela allait vraiment m'aider, mais qu'avais-je à perdre ? Je retournai chez moi à la recherche de ce bouquin.
Après l'avoir trouvé, je tournai les pages rapidement pour découvrir les significations. Pour la seringa blanche, c'était l'amour éternel. Pour le chrysanthème, cela pouvait être l'éternité, mais aussi la mort.
Lorsque j'arrivai au local, Naje était déjà là. Le maître et Hagop également, mais ils étaient tous les deux dans la pièce de stockage. Je saluai mon coéquipier et tendis l'oreille pour entendre ce qu'ils disaient à côté.
« Ça devait bien arriver… C'était à prévoir, murmura Hagop.
– Qu'allez-vous faire ? Il faut le protéger.
– On ne pourra pas le protéger éternellement. Continuez à l'entraîner, il n'y a rien d'autre à faire. »
Ils continuèrent à chuchoter, mais je décidai d'arrêter d'écouter. J'allai aider Naje à nettoyer les armes près de lui, assis au sol.
« Alors, c'est comment la maison du maître ?
– Nous avons dormi ici, pas chez lui.
– Ça a été avec ton tuteur ?
– J'ai passé un sale quart d'heure pour mes dernières absences et je n'ai pas intérêt à en avoir plus.
– Ça t'a convaincu ?
– Pas du tout.
– Le contraire m'aurait étonné. »
Hagop sortit et partit directement, disant au passage qu'il avait beaucoup de travail. Sateo nous rejoignit et s'assit en face de nous.
« Bien. Maintenant que j'ai parlé avec notre sodur-chef, nous allons parler de ce qu'il s'est passé.
– Est-ce que Hagop va faire quelque chose à propos des assassins ?
– Non. Même avec toutes les preuves que j'ai déposé hier, on n'a pas assez pour remonter jusqu'à la personne qui les a embauchés. C'est pourquoi, Naje, tu vas gentiment faire ce qu'on te demande.
– C'est-à-dire ?
– Rester là où on peut te trouver.
– Mais je ne peux pas.
– Pour tes missions en solo ? Je sais que je n'arriverais pas à t'empêcher d'y aller, alors dans ce cas, je te demande de m'avertir quand tu pars, quand tu es supposé revenir, où tu vas et que tu m'informes dès que tu as du retard ou des problèmes.
– D'accord.
– Bien. Désormais, j'aimerais parler de ce fameux dôme. Il était impressionnant. Shoyo, j'ai besoin de savoir tout ce que tu sais faire.
– Très bien. Je ne vous cache rien. »
Je pris une inspiration.
« J'ai la technique de l'ouïe aiguisé. J'ai aussi l'onde de choc, c'est une sorte de décharge d'énergie qui repousse tout ce qu'il y a autour de moi. Et il y a le dôme, mais c'est très récent, je ne sais même pas si j'arriverais à le refaire.
– On va t'entraîner. Naje, à ton tour. Et plus de secret cette fois. Ce qui est dit ici restera entre nous.
– J'ai la détection des points faibles et forts, la décharge d'émofa et la vision éclaircie du clan des Huiju.
– Tu as appris ça tout seul ? Demandai-je.
– Oui, mais je n'ai pas tout appris.
– Et des Rida ?
– Je ne suis pas vraiment un membre du clan, ils ne m'ont rien appris et je ne peux pas vraiment le faire seul.
– Et quoi d'autre ? Demanda le maître.
– Les sens aiguisés, la perception d'émofa, la nyctalopie et la prévisualisation. »
Nyctalopie ? Il pouvait voir dans l'obscurité ? C'était donc pour ça qu'il avait pu jouer du piano dans le noir à l'école. La perception d'émofa devait être sa capacité à percevoir et reconnaître les gens autour de lui grâce à leur émofa. C'était logique.
« En quoi consiste la dernière ? Questionnai-je.
– C'est compliqué, mais c'est comme si j'arrivais à expérimenter mentalement des dizaines de possibilités d'actions et à sélectionner la meilleure pour l’exécuter.
– Tu as un exemple ?
– Un parcours d'obstacle, je peux facilement m'en sortir avec ça.
– C'est pour ça que tu t'en sors aussi bien à l'entraînement ! Mais d'où tu tiens ça ? »
Naje hésita et je regrettai d'avoir posé cette question.
« Et toi Shoyo ? Demanda le maître. D'où viennent les tiennes ?
– Elles sont juste venues comme ça.
– Personne ne peut sortir des techniques de nulle part. Il s'agit sûrement de techniques héréditaires.
– Il n'y en a pas dans ma famille, j'ai déjà demandé. Peut-être que je les ai créées ?
– Pas d'un seul coup comme ça. Cela demanderait des mois d'efforts, peut-être même des années.
– Et sans vouloir te blesser, dit Naje, tu n'as pas la patience pour ça.
– C'est pas faux, avouai-je.
– Tu es certain de n'avoir aucune technique héréditaire ?
– Certain. Il n'y a rien du côté de ma mère et mon grand-père paternel était un orphelin, le test pour détecter ces techniques est revenu négatif.
– Ces tests peuvent être falsifiés, glissa Naje. »
Je le fixai, assez choqué. Naje ne mentirait pas. Et si ce test avait été falsifié, cela pourrait dire que mon grand-père avait été caché. Cela pourrait dire qu'il était la cible d'un danger. Danger qui pourrait nous rattraper.
« Tu n'as pas à t'inquiéter, Shoyo. Si quelqu'un a fait du mal à ta famille il y a des générations, vous n'avez pas été menacés depuis, me rassura le maître.
– Mais personne d'autre n'a de technique dans ma famille, je suis le seul.
– Tu es aussi le seul à avoir appris à te servir de l'émofa, dit Naje.
– Mon oncle et ma cousine se servent de l'émofa pour certains soins.
– Ce n'est pas la même utilisation, ça ne compte pas.
– Écoutez, pour l'instant, nous allons travailler vos techniques. Et pour cela, on va aller dehors. »
Nous étions alors au terrain d'entraînement le plus éloigné de la ville. C'était aussi le terrain qui avait le moins de vis à vis. Il était clôturé avec des palissades en bois et était à ciel ouvert. Le maître nous avait demandé de laisser nos armes dans le bac près de l'entrée. Il était face à nous et nous attendions ses instructions.
« Comme Naje semble connaître tout ce qu'il y a à savoir sur ses techniques, on va se concentrer sur les tiennes, Shoyo. Quand et comment as-tu découvert ces techniques ?
– À quoi ça va servir ?
– À trouver le point commun, il y a peut-être un déclencheur.
– Pour l'ouïe, je voulais entendre ce que vous disiez lors de la réunion avec les parents.
– Ensuite ?
– Pour l'onde, c'était lorsque que j'ai combattu le groupe de Heetar.
– Tu l'as combattu ?
– Oui, il avait pris Naje en embuscade.
– Et après ?
– Le dôme et c'est tout. »
Sateo réfléchit quelques instants, puis il demanda à Naje d'aller chercher son arc. Il obéit sans poser de question.
« Il n'y a aucun point commun à tout ça, dis-je.
– Tu es sûr ? Il y en a un, mais tu ne t'en es pas encore rendu compte alors je vais te le montrer. »
Dans une grande rapidité, il sortit une dague et la lança sur son apprenti. Sans que je fasse quoi que ce soit, un autre dôme apparut, protégeant mon coéquipier de la dague. Le dôme était comme celui de la dernière fois mais il était plus ovale. Comprenant que l'arc ne servait à rien, Naje revint, lançant un regard agacé au maître.
« Tu comprends maintenant ? Demanda Sateo.
– Oui.
– Vous m'expliquez ? Demanda Naje.
– À chaque fois que Shoyo a découvert une nouvelle technique, c'était lorsque tu étais en danger : les propos des parents de Teny envers toi ; le combat contre le groupe de Heetar et pour finir, l'autre soir. Le déclencheur, c'était toi.
– Ça vient de moi ? Je n'ai rien ressenti.
– Je ne dis pas que tu as fait ça à Shoyo, mais qu'il réagit à ton état. Ça vient de lui mais tu es lié à tout ça. »
Naje posa la main sur la paroi du dôme, l'examinant et réfléchissant aux paroles du maître. Il ne pouvait pas passer à travers. Je fis de même, sauf que moi, ma main passait à travers. Le dôme gardait Naje en sécurité. Le maître avait raison. Mes techniques étaient apparues pour le protéger.
« Il n'y a rien eu lorsque nous avons fait face aux guerriers de l'ombre, dit-il. »
C'est vrai. Serait-ce le contre-exemple ou l’exception qui confirme la règle ?
« Mais vu ton état, tu aurais dû tomber malade.
– J'ai une bonne résistance au froid.
– Ou peut-être que tu n'as pas été en danger avec eux. »
Nous avions travaillé sur mes techniques au terrain extérieur durant une bonne semaine. J'avais encore du travail mais j'étais sur la bonne voie et j'avais fait beaucoup de progrès. J'avais du mal à créer les dômes consciemment, mais faire des ondes de choc était plus facile, même si elles n'étaient pas encore parfaites. Pour Naje, le maître lui faisait travailler le combat au corps à corps et la musculation.
Cependant, la semaine de suspension de Teny touchait à sa fin et on allait devoir la supporter. Heureusement pour moi, mes parents avaient eu l'autorisation de me faire rater la formation pour me rendre à la capitale durant quelques jours. J'espérais que Naje allait tenir le coup.
Le maître était parti et nous étions allongés sur le sol, morts de fatigue.
« Tu sais s'il y a beaucoup de choses à voir à la capitale ?
– Vous y allez pour la réunion des sodur-chefs, c'est ça ?
– Ouais, on accompagne mon père et on ira profiter de la ville.
– Tu sais que les clans les plus puissants de chaque ville s'y rendent également.
– Tu veux dire que les Huiju vont venir ? Demandai-je dégoûté.
– Le chef et son héritier. Tu auras Heetar sur le dos.
– Ça y est, je déprime… Ça ira avec Teny ?
– Je pars quelques jours, le maître sera seul à seul avec elle pour sa reprise.
– Tu pars où ?
– Je ne sais pas, je n'ai pas encore eu les informations exactes. Mais j'en profiterai pour faire quelques recherches sur ton grand-père.
– Si ça ne te met pas en danger.
– Comment il s'appelait ?
– Cole.
– Je te tiendrai au courant. Sur ce, il faut rentrer. »
Naje se leva. C'est là que je me rappelai d'une chose. Je m'assis et dis :
« Avant de partir, est-ce que je pourrais voir ta pièce de mérite ? »
Il la sortit et me la lança. Le bouclier qui y était gravé était différent, mais c'était presque le même de celui de ma marque. Il n'y avait pas d'oiseau, ni de symbole dans le haut. Les fleurs n'étaient pas les mêmes. Il y avait un arum, qui pouvait symboliser l'âme, et un perce-neige, qui pouvait symboliser un espoir et une épreuve.
« Pourquoi avoir choisi cette gravure ? Demandai-je.
– Je ne me rappelle pas tellement, ça semblait évident à l'époque. »
C'était inutile de poser des questions sur comment il avait eu cette pièce, il ne dirait rien, pas encore. Mais malgré les différences entre ces deux symboles, j'avais le sentiment profond que ma marque était liée à cette gravure. Et plus je pensais à la discussion sur le déclencheur de mes techniques, plus je me disais que cette marque était liée à tout ça, qu'elle était liée à Naje.
« Elle est liée à toi.
– Qui donc ?
– Je vais te montrer, ce sera plus simple. »
Puisqu'il était mêlé à tout ça, il devait le savoir. Je me levai et enlevai ma veste.
« Rhabille-toi. Il y a des enfants ici ! Dit Naje en se retournant.
– Je te rappelle que nous sommes tous les deux des garçons et je suis toujours habillé. »
Il se retourna, affichant une mine boudeuse. Je tirai sur mon col pour dévoiler la marque. Il changea rapidement d'expression dès qu'il la vit.
« Tu es un peu jeune pour te faire un tatouage. Tes parents sont au courant ?
– Ce n'est pas un tatouage ! Cette marque est apparue sans que je fasse quoi que ce soit. »
Je remis ma veste et lui lançai sa pièce.
« Je ne sais pas pourquoi elle est là, ni comment. Mais je sais qu'elle est liée à toi.
– Parce que c'est presque le même symbole que sur ma pièce ?
– Je suis désolé, tu n'as pas demandé à être lié à tout ça.
– Ce n'est pas comme si ça me faisait du mal. »
Ouais, mais ça ne changeait rien au résultat.
« Lorsque tu seras à la capitale, n'y pense plus et profite. On pourra revoir tout ça après quelques entraînements plus poussés.
– Tu seras en mission durant ce temps. Elle est dangereuse ?
– Toutes les missions sont dangereuses, dit-il en marchant. »
Lui et sa fichue répartie ! Il m'agaçait mais il avait raison. Tu as intérêt à faire attention, pensai-je. Je soupirai et le vis se stopper et se retourner lentement vers moi, visiblement perturbé par quelque chose. Je me mis immédiatement en alerte, pensant à quelque chose de grave.
« Shoyo. Pourquoi je t'ai entendu parler dans ma tête ? »
Annotations