Chapitre 20 : Les Frères Guerriers
Shoyo
Akiko nous laissa entrer mais nous fit signe de garder le silence. Elle fronça des sourcils en voyant qui nous transportions mais nous conduisit dans sa chambre sans rien dire. Kunji et Naje étaient déjà là. Naje s'approcha de moi, semblant vouloir me tuer du regard.
« Je te jure que je vais te… »
Je ne le laissai pas finir et l'attrapai pour vérifier s'il allait bien.
« Tu as conscience que j'ai envie de te tuer là ? Me dit-il en chuchotant et en me repoussant légèrement.
– Je sais, mais je ne suis pas désolé.
– Quoi ? Tu sais que tu as été stupide ? Foncer vers ces monstres !
– Ouais, d'ailleurs tu n'as pas été honnête à ce sujet. Tu as toujours vu ces choses et tu ne me l'as pas dit ! Tu avais promis que tu me parlerais si tu avais un problème !
– Tu voulais que je dise quoi ? Que j'ai des hallucinations ?
– Ce ne sont pas des hallucinations !
– Ça n'aurait rien changé à ce tout le monde penserait de ça !
– Mais je ne suis pas tout le monde !
– Et alors ? Tu n'aurais rien pu faire !
– J'aurais pu être là ! »
Naje regarda ailleurs et fit demi-tour, cherchant à s'éloigner de moi dans cette petite pièce. J'attrapai son bras, l'empêchant d'aller trop loin.
« Je sais que tu as toujours été tout seul, au point de ne faire confiance à personne. Mais je suis là maintenant et je te soutiendrai quoi qu'il arrive. »
J'espérais vraiment qu'il me fasse suffisamment confiance pour me parler des choses comme ça, mais je savais que c'était beaucoup lui demander. Et je doutais qu'il sache comment faire. Il avait passé sa vie entièrement à se méfier des autres comme de la peste, et les gens le haïssaient comme s'il était cette affreuse maladie. À cause de tout ça, il n'avait jamais fait confiance à quelqu'un, même pas à Hagop qui était censé être son tuteur…
Je devais être patient. Il ne savait pas comment développer des relations et encore moins les maintenir. Le social n'était pas son point fort et ce n'était pas de sa faute.
« Les gars, appela Kunji, vous vous disputerez plus tard. »
Ils avaient allongé le guerrier sur le lit, ce dernier avait été mis au centre de la pièce, afin de permettre de circuler autour. Voda appuyait sur la blessure, du sang dégoulinant sur ses mains. Avec la lumière de la chambre, je pouvais mieux voir les bras métalliques.
Ces derniers s'étaient accrochés dans le dos de Glacies et semblaient être quatre, ou huit ? J'avais l'impression qu'ils pouvaient se rassembler ou se séparer. Chaque bras avait plusieurs articulations, un peu comme des serpents en bois. Et chacun d'entre eux finissait en une sorte de pince épaisse. Ils bougeaient lentement et tapotaient avec délicatesse tout ce qu'il y avait autour, comme une sorte d'araignée avançant lentement dans la nuit.
« Pourquoi avoir ramené un guerrier ici ? Demanda Kunji.
– Il avait besoin d'aide ! Dit Voda.
– Et alors ? Ce n'est pas notre problème !
– Je suis certain que si on le laisse tomber, ils laisseront Jared tomber aussi, dis-je.
– Et c'est quoi ces horreurs ? Demanda-t-il en pointant l'un des bras métalliques. »
Le bras pointé frappa Kunji sur la tête.
« Hé !
– Ça nous entend… Réalisa Voda, choqué.
– Kunji ! Appelai-je. Il est blessé ! Il faut faire quelque chose, sinon il va se vider de son sang et les autres guerriers pourraient se venger !
– Ouais, et tu n'as pas un fait serment de toujours soigner les autres ? Lança Akiko.
– Je ne soigne pas mes ennemis figure-toi ! Je ne suis pas un médecin traditionnel. »
Akiko était tranquillement assise sur sa chaise de bureau, tapant dans une boîte de cookies, comme si elle se fichait totalement de ce qu'il se passait autour d'elle.
« Tu ne demandes même pas pourquoi tu as un guerrier de l'ombre dans ta chambre ? Demandai-je.
– Je me demande surtout s'il est canon sans son masque. »
Devant nos regards interloqués, elle ajouta :
« Quoi ? Personne de cette ville n'osera avoir une relation amoureuse avec moi à cause de mon crétin de clan qui invalidera toute légitimité de mon potentiel futur mariage. Je suis bien obligée de chercher ailleurs et je préfère un guerrier plutôt qu'un Huiju.
– Ça se tient, confirma Naje. Mais tu ne veux pas attendre qu'il aille mieux ? »
Elle roula des yeux. Kunji l'ignora et s'apprêta à retirer le masque de Glacies.
« Stop ! L'arrêta Voda. Je suis certain que les autres guerriers n'autoriseraient pas qu'on voit son visage !
– Et je suis certain qu'on pourrait obtenir plus d'eux si on a de quoi leur faire du chantage !
– Ou on pourrait les mettre en colère et risquer de gros problèmes !
– Je prends le risque. »
Kunji retira le masque sans nous laisser le temps de protester. Glacies était exactement comme Ico l'avait décrit. La pâleur de sa peau, très certainement due à sa perte de sang, se confondait avec les cicatrices descendant le long de ses joues. Ses tresses blondes plaquées contre son crâne n'arrangeaient rien à tout ça. C'était inquiétant, surtout qu'il semblait avoir notre âge.
« Est-ce que vous avez déjà vu quelqu'un lui ressemblant sur des avis de recherche ? Demanda-t-il.
– Je m'en serais souvenue, admit Akiko.
– Pourquoi ça ? Demandai-je.
– Parce qu'il est plutôt craquant. »
D'accord. Je me retins de faire un commentaire. Kunji commença alors à le soigner avec ce qu'il avait sous la main : une trousse de premiers secours que notre hôte avait apportée. Les bras métalliques semblèrent l'aider à soigner Glacies, en enlevant les vêtements gênants, lui tendant le matériel et nettoyant le sang. Kunji en était très perturbé mais il travailla quand même.
Akiko avait fini par nous emmener, Naje et moi, à l'extérieur. Elle disait que cela ne servait à rien de rester dans leurs pattes et elle avait raison. Nous avions marché dans la rue en silence jusqu'à ce que Voda vienne nous chercher.
Kunji était assis dans un coin de la pièce, s'étant éloigné au maximum du guerrier inconscient. Les bras bougeaient encore, certains touchaient et caressaient délicatement Glacies, d'autres tapotaient autour, comme pour découvrir la pièce. Voda rejoignit son coéquipier et regardait avec émerveillement ces choses en mouvement.
« Alors ? Demanda Akiko.
– Il ira bien, mais il a perdu beaucoup de sang et je l'ai gavé de médicaments.
– La pièce est propre, remarqua-t-elle.
– Ouais, ces trucs sont plutôt efficaces.
– Et en plus il fait le ménage, s'exclama-telle. »
Décidément, elle avait un grain.
« Qu'est-ce que c'est ? Demandai-je en dévisageant cette chose.
– J'aimerais bien le savoir, soupira Voda. Dans tous les cas, on ne peut pas le laisser ici sans surveillance.
– Tu devrais rentrer, Shoyo, dit Kunji avec fatigue.
– Et vous ?
– Personne ne remarquera que Naje a disparu, dit Kunji, Akiko est déjà là où elle devrait être et je vais rentrer aussi. Voda va rester et surveiller le guerrier.
– Et personne ne s'inquiétera de voir des garçons dans la chambre d'Akiko ?
– Personne ne nous a vus entrer, dit-il en me tapant l'épaule. Allez, je te raccompagne. »
Mon oncle m'avait surpris à rentrer dans la nuit. J'avais oublié qu'il était chargé de me surveiller pendant l'absence de mes parents. Il m'avait puni mais j'avais pu sortir à nouveau dès le jour de svotag. J'étais directement allé voir mes camarades chez Akiko.
Glacies s'était réveillé et les bras métalliques s'étaient enroulés autour de lui et de sa couverture, l'empêchant de bouger et le bâillonnant par la même occasion. Kunji, Voda, Naje et Akiko jouaient aux cartes.
« Que se passe-t-il ? Il va bien ?
– Il guérit plutôt vite pour une personne normale, dit Kunji. Mais il a essayé de s'enfuir dès son réveil.
– Et il a essayé d'arracher ces bras de lui, dit Akiko, c'est pour ça qu'il est comme ça.
– Et il est littéralement drogué aux médicaments en ce moment. »
Je m'approchai de lui et l'examina rapidement. Ses yeux, jaunes avec un flocon violet chacun, étaient vitreux.
« Que va-t-on faire maintenant ? Demandai-je.
– Ce n'est pas comme s'il allait nous donner une adresse où le déposer, dit Voda avec un certain amusement.
– Et on ne peut pas le garder ici non plus, dit Kunji avec sérieux. Il va nous attirer des problèmes.
– Et on ne peut pas le laisser partir sans être certain que nous n'allons pas avoir de conséquences. »
Glacies marmonna quelque chose et les bras s'écartèrent de sa bouche pour le laisser parler.
« Vous n'en aurez pas… Dit-il.
– Je n'ai aucune raison de te croire, dit Kunji.
– Pourtant il dit la vérité, dit une voix. »
Nous nous tournâmes vers la fenêtre, d'où venait la voix. C'était quelqu'un ressemblant fortement à Glacies. Avec quelques petites différences : ses cheveux avaient des mèches rouges et violettes, ses yeux étaient d'un bleu glacial et avaient des flocons violets différents de ceux de Glacies. Il avait l'air d'avoir l'âge de Voda et de Kunji et il portait les mêmes cicatrices sur ses joues. C'était très certainement Nix.
Il portait une tenue passe-partout, même si je savais qu'il avait des armes planquées sur lui. Autour de son cou se trouvait une paire de lunettes bizarroïde, avec de grands verres foncés et des contours épais en cuir, cela semblait pouvoir se coller au visage, le tout maintenu par une languette également en cuir.
Je pris une de mes armes par réflexe, comme mes camarades. Mais l'intrus ne se laissa pas impressionner. Il entra par la fenêtre qu'il referma derrière lui.
« Inutile d'être autant sur la défensive, dit-il. Je ne suis pas venu me battre.
– Ça ne veut pas dire que nous n'allons pas le faire nous, lança Kunji.
– Dans ce cas, je dois te prévenir que le reste de mon groupe est réparti dans cette ville ou à proximité. Et tous mes soldats sont prêts à intervenir si jamais quelque chose nous arrive. »
Il valait mieux ne pas le contrarier alors. Nous rangeâmes nos armes et devant le regard interloqué de Naje, Akiko reprit son paquet de biscuits, s'installant confortablement et grignotant en regardant ce qu'il se passait, comme si elle allait collecter des informations croustillantes. Nix n'y prêta pas attention. Il alla voir son cadet et s'agenouilla à côté de lui. Il inspecta la blessure et les bras métalliques.
« Enlève ça, s'il te plaît, supplia Glacies.
– Je ne peux pas. C'est avec toi pour aussi longtemps que tu vivras.
– Je n'en veux pas…
– Vois le côté positif, nos parents vont être fiers de toi.
– Tu parles… J'ai l'impression que papa regrette de m'avoir eu.
– Ah bon ? Tu es sûr que ce ne sont pas les médicaments qui parlent ? »
Ils semblaient totalement se ficher de notre présence, même si pour le plus jeune, cela devait surtout être la conséquence des médicaments. Voda, Kunji et moi échangeâmes des regards remplis de questions, cherchant quoi faire.
« Tu étais là lorsqu'il a dit : Je n'aurais jamais dû faire des enfants, j'aurais dû écouter ma mère et faire des crêpes, parce les crêpes, on peut les manger, imita-t-il.
– Il avait dit ça à cause de moi aussi, avoua-t-il, on avait fait le mur et on avait dû l'appeler parce qu'un kimmani nous poursuivait. »
Je n'avais plus vraiment peur d'eux à ce moment-là. Ils semblaient être des enfants idiots qui faisaient autant de bêtises que mon frère et moi, bien qu'elles soient plus graves.
« De toute façon, ils sont toujours occupés avec l'autre…
– Ce n'est pas vrai.
– Ils ne le disputent jamais…
– Faut dire qu'il réfléchit avant d'agir, ça aide. On devrait faire pareil.
– L'autre ? Demandai-je, cherchant à suivre plus ou moins la conversation.
– Notre petit frère.
– L'artificiel ?
– Non, un autre.
– Il a été adopté lui aussi, dit Glacies.
– Et il ne s'entend pas avec lui en partie pour ça, soupira Nix. Il essaie de le surpasser dans tout et n'importe quoi. Ça en devient ridicule. »
La rivalité entre frères, je savais ce que c'était. Mais je ne voyais pas en quoi cela nous regarder, même si cela les humanisait un peu.
« Je ne m'entends pas avec lui parce qu'il nous traite comme si on était stupide.
– Il ne le fait pas tout le temps, juste quand on est stupide, admit Nix.
– Tu rigoles ? Tu te souviens de ce qu'il avait dit il y a quelques années ? Il avait dit : Je te déteste ! J'ai hâte de partir de cette planète avec mon âme-sœur pour ne plus te voir espèce de mortel décrépit ! Imita-t-il à nouveau.
– Il avait 4 ans, toi 5, tu avais déchiré sa peluche fétiche et tu l'avais plongé dans de la peinture pour ne pas que les parents puissent la réparer. Je t'aurais claqué dans le mur à sa place. »
Il avait le mérite d'être honnête. Glacies soupira et ferma les yeux, pris de fatigue.
« Repose-toi. J'ai à parler avec nos hôtes. »
Il n'avait vraiment pas peur de nous, même si nous étions plus nombreux. Nix réajusta la couverture sur son frère et vint s'asseoir avec nous lorsque son cadet sombra dans l'inconscience.
« Puis-je jouer avec vous ? Demanda-t-il en pointant les cartes. »
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