Chapitre 22 : Tsuyo et Isak

10 minutes de lecture

Shoyo

Voda et moi suivîmes Nix. Aussi curieux que cela puisse paraître, personne ne faisait attention à lui. Ainsi, il put se faufiler discrètement dans les égouts. L'odeur était épouvantable et à travers je pouvais entendre l'eau sale s'écouler et les rats grouiller contre les parois de pierre.

Cela ne semblait pas déranger Nix, qui avait mis ses lunettes. Nazca, si j'avais bien écouté, son arsacide. Pouvait-il voir dans le noir avec ? Quant à nous, nous avions utilisé nos lampes torches.

« Qu'est-ce que je fais là ? Me demandai-je.

– Fallait pas me suivre ! Se moqua Nix.

– Moi je me demande pourquoi les gens ne l'ont pas remarqué ! S'exclama Voda. »

Nix se tourna vers nous, marchant à reculons.

« L'astuce, c'est de se déplacer là où les gens ne feront pas attention à ce qu'il se passe autour d'eux. Dans la rue où je suis passé, les gens prêtaient attention à ce qu'il y avait dans la vitrine de promotion plutôt qu'à moi. C'est ça votre problème : vous vous intéressez qu'à votre petite vie. De plus, je n'étais pas habillé de manière à attirer les regards. »

Il nous insultait au passage ?

« Peu importe ! Tu vas nous dire où tu vas ? Demanda Voda.

– Dans une partie des souterrains de cette ville.

– Ça j'avais compris ! Qu'est-ce que tu cherches ? Qu'est-ce que tu veux à notre ville ?

– À votre ville ? Rien du tout. Ce patelin perdu n'est pas dans mes préoccupations.

– Ça ne me dit pas ce que tu fais dans nos égouts ! »

Nix s'arrêta de marcher et se tourna vers le mur. Il le tâta, cherchant quelque chose. Ce fut lorsqu'une des pierres bougea, dévoilant une poignée de porte, que je compris ce qu'il voulait trouver : un passage secret. Moi qui pensais tout connaître de ma ville, je venais de découvrir quelque chose grâce à un étranger.

Nix tourna cette poignée et la porte dévoila un long escalier descendant. C'était assez étroit, mais un homme adulte pourrait quand même passer, et ça semblait avoir été fait rapidement. Nix y alla sans attendre et nous le suivîmes pour ne pas le perdre.

« C'est quoi ce passage ? »

Nix ne répondit pas et continua à descendre. Puis nous arrivâmes sur un long et encore plus étroit couloir, nous passions à peine sans toucher les murs. J'espérais que la lampe tiendrait tout le temps de cette exploration.

« Je te préviens, dit Voda, si c'est un chemin pour une de vos bases…

– On n'a pas de base dans le coin, lâcha Nix. Et encore une fois, on ne choisirait pas un patelin pareil pour ça.

– Alors que cherches-tu ? Demandai-je.

– Des informations sur quelqu'un.

– Et qu'est-ce qui te fait penser que tu les auras ici ? Demanda Voda.

– Disons que les miens ont connu une personne qui est partie depuis longtemps. Elle avait certains trucs qui nous intéresseraient mais ne nous les a pas dit. Et il se trouve, que d'après quelqu'un qui a aussi connu mon père et qui était proche de cette personne, il y aurait des dossiers cachés dans cet endroit. »

J'étais perdu.

« Et qui sont ces personnes ? Demandai-je.

– Tu verras.

– Et pourquoi maintenant ?

– Parce qu'on vient d'avoir l'information, avoua-t-il.

– Et ce sont ces personnes qui ont construit cet endroit ? Demanda Voda.

– Il y a des chances, dit Nix.

– Tu ne veux pas donner une vraie réponse ? S'énerva-t-il.

– Que veux-tu que je te dise ? Je ne sais pas, admit Nix en marchant, je n'étais pas là. C'est possible que ce soit elles mais le contraire l'est tout autant. »

Après une longue marche, nous arrivâmes face à une autre porte avec plusieurs verrous.

« Et tu vas faire quoi maintenant ? Se moqua Voda. »

Ses lunettes le protégeant de la lumière, Nix se retourna vers lui et pencha la tête, sous-entendant qu'il était stupide. Puis il utilisa simplement la poignée pour ouvrir la porte. Celle-ci s'ouvrit sans problème. À quoi servaient les verrous ?

« C'était pas fermé à clé ?

– Ça ne m'étonne qu'à moitié… Marmonna Nix. Mes parents disaient bien qu'ils étaient stupides… »

Nous entrâmes dans une pièce. Voda chercha un moyen de l'éclairer pendant que je scannais les alentours avec ma lampe. Il y avait des meubles : chaises, bureau, tableau à craie effacé et table. Mais rien de personnel. Et tout semblait en désordre, comme si quelqu'un avait rassemblé des affaires en vitesse. Ça ressemblait à un espace de travail caché. À qui appartenait-il ?

Nix fit tomber un pot à crayons et quelques documents en fouillant. Ou était-ce fait exprès ?

« Hé ! Fais attention ! S'exclama Voda.

– Tu as peur de réveiller les fantômes ? Taquina Nix.

– Si c'était là, c'est sans doute parce que c'était important ! Protestai-je.

– C'est du détournement d'attention, cousin ! Pour pas qu'on découvre certaines choses ! »

Cousin ? Encore ? Appelait-il tout le monde comme ça ? Je devais l'ignorer, il était bizarre.

« Et donc ? Qu'y a-t-il à découvrir ? »

Il finit de débarrasser le bureau à sa manière : en mettant tout au sol. À croire qu'il n'aimait pas la personne qui avait été ici. Une fois le bureau vide, Nix tâta le contour de celui-ci et détacha des clips qu'il y avait. Ensuite, il souleva une partie de la planche du dessus du bureau. Il y avait un compartiment caché… Un peu comme les anciens bureaux que nous avions à l'école. Nix avait raison. Il y avait quelque chose de caché. L'avait-il vu grâce à l'arsacide ?

À l'intérieur se trouvait deux dossiers, dont un m'était très familier. J'en avais vu plusieurs des comme ça. C'était un dossier médical. Je le pris et l'ouvris, cherchant à qui il appartenait.

Tsuyo Rida.

Je demandai à Voda de tenir la lampe pour que je puisse feuilleter le dossier composé de comptes-rendus médicaux. Je tournai les pages, les unes après les autres. Les informations que je voyais me mettaient de plus en plus mal à l'aise.

« On dirait le dossier de Jared… Murmura Voda. »

Il avait raison. Tsuyo avait eu les mêmes symptômes que Jared. Les paroles de mon maître me revinrent en tête.

Tsuyo était tombé gravement malade quelques mois avant sa disparition. Tu sais, Tsuyo avait déjà 11 ans lorsqu'il est venu vivre ici. On n'a pas vraiment d'informations sur son enfance à l'orphelinat militaire.

Il n'était pas dans un orphelinat militaire. Il était dans l'une des bases de l'organisation ! Une qui créait des êtres artificiels ! Base dont il s'était enfui ! Tsuyo était un artificiel ! C'était pour ça qu'il était aussi doué ! Il était créé pour l'être ! C'était pour ça qu'il était parti ? Il avait peur qu'on découvre ce qu'il était ? C'était pour ça qu'il avait tout caché ici ! Ou alors… Ou alors il était parti en vrille… Et Isak ?

Ils ont tous les deux disparu à quelques jours d'intervalle.

Isak… S'en était-il occupé ? Avait-il… Avait-il tué Tsuyo ? C'était pour ça qu'il était parti lui aussi ? Comment pourrais-je le dire à Naje ? Allait-il reproduire le même schéma ? Je ne me sentis pas bien…

Et lorsque Isak est revenu, il a contourné toutes les questions à son sujet en disant qu'il ne savait rien.

Non. Je ne pouvais pas affirmer qu'Isak avait tué Tsuyo. Mais une chose était évidente : Isak savait que Tsuyo était un artificiel et il savait quelque chose sur ce qui lui était arrivé. Voda et moi l'avions compris tous les deux.

« Donne-moi ça ! Dit Voda. »

Il venait d'arracher l'autre dossier des mains de Nix. Ce dernier leva les mains en l'air, montrant qu'il le laissait faire malgré son agacement. Je regardai également le dossier. C'était les documents concernant la formation des sodurs de Tsuyo. Il y avait plusieurs relevés de performances, qui étaient excellents, des comptes-rendus de missions et des photos.

Sur l'une d'entre elles, je voyais notre sodur-chef enlacer Tsuyo, souriant avec fierté. Je ne l'avais jamais vu comme ça avec Naje… Parce qu'il était le père de Tsuyo mais pas celui de Naje. J'en pris une autre. Dessus, je pouvais voir deux garçons de moins de 20 ans. C'était Tsuyo et Isak, habillés de la tenue officielle des sodurs, tous les deux souriants et montrant fièrement leur diplôme de sodur.

« Tu sais comment il s'appelle ? Demanda Nix en pointant Isak. »

Devrais-je lui dire ? Je ferais mieux. Le sort de Jared était toujours entre ses mains.

« C'est Isak, dis-je. Pourquoi ?

– C'est lui qui nous a indiqué cet endroit. »

Minute !

« Tu avais dit que vous aviez eu l'information récemment ? Demandai-je.

– Oui. »

Isak serait toujours en vie ?

« Comment ?

– Il l'a dit à mon père lors d'un combat.

– Ils se battent ensemble ?

– Non, l'un contre l'autre ! »

Quoi ? Devant mon regard plein d'incompréhension, il continua :

« Ça fait des années qu'ils essaient de s’entre-tuer. Et à chaque fois, ils font toujours en un contre un. Je n'ai jamais compris pourquoi ils faisaient ça et pourquoi ça durait depuis aussi longtemps. L'un d'entre eux aurait forcément dû penser à appeler des renforts, mais non ! Ils les repoussent.

– S'ils se battent l'un contre l'autre, pourquoi Isak lui aurait donné cette information ? Demanda Voda. »

Nix haussa des épaules.

« Mon père refuse de m'en parler. À chaque fois que je demande, il dit : ce n'est qu'un idiot, oublie-le. Mais d'après mes oncles, ils se voueraient une fascination réciproque et ces combats ne seraient qu'une excuse pour se revoir… Et d'après une de mes tantes, ils seraient à la fois des ennemis et des alliés indispensables. Leur relation est difficile à comprendre. »

Donc Isak était encore en vie… Et il ne venait même pas voir Naje. Savait-il qu'il avait les mêmes capacités que lui ? Ou l'ignorait-il et restait-il éloigné à cause de ça ? Ou sans Tsuyo, il n'arrivait plus à tenir le coup ? Et Tsuyo ? Ces dossiers étaient à lui donc il était forcément la personne que la famille de Nix avait connue.

« Et lui ? Demandai-je en pointant Tsuyo. Tu sais qui c'est ?

– C'est Tsuyo.

– C'est lui dont tu parlais ? Celui que vous aviez connu mais qu'il était parti.

– Oui, mais c'était il y a longtemps. »

Alors Tsuyo n'avait pas été tué par Isak au moment où ils avaient disparu.

« Depuis combien de temps est-il parti ? Lui demandai-je.

– Exactement, je l'ignore… Mais ça doit bien faire une quinzaine d'années. »

Il avait disparu de Manok depuis vingt-cinq ans. Il était donc resté au maximum dix ans avec eux.

« Sais-tu pourquoi ? »

Nix secoua négativement de la tête. Au moins, je savais pourquoi il avait été avec eux. Les guerriers de l'ombre faisaient des recherches sur les êtres artificiels et comme Tsuyo en était un, il était logique qu'il soit allé vers eux. Tout comme Jared, il cherchait à se soigner.

Peut-être que dire qu'il était parti était une manière d'avouer qu'il avait vrillé ? Ou alors Tsuyo était parti, pris de désespoir. Sa guérison avait dû lui paraître impossible. Ou alors les GO l'avaient tué, mais ça me semblait impossible, ils avaient besoin de lui pour le remède.

Quant à Isak, peut-être avait-il découvert que son coéquipier avait été avec eux, ou peut-être que c'était lui qui l'avait guidé vers eux… Et peut-être cherchait-il à aider les GO sur le sujet des artificiels, pour aider indirectement Tsuyo.

Mais alors, si Tsuyo les avait rejoint, que cherchait Nix ici ?

« Et qu'es-tu venu chercher ? Demandai-je.

– Les relevés médicaux.

– Vous n'avez pas fait de tests sur Tsuyo ? Demanda Voda.

– Si mais sa maladie était déjà très avancée lorsqu'il est venu chez nous, ces documents-là sont plus anciens, expliqua-t-il en pointant ceux devant nous. Avec eux, on pourra faire des comparatifs et étudier l'évolution de sa maladie. »

C'était logique. Je pris le dossier et lui tendis. Nix le prit.

« As-tu besoin de l'autre ? Demandai-je.

– Non.

– Quoi ? Tu lui laisses ? S'inquiéta Voda.

– Oui, ça peut servir pour Jared et de toute façon, Tsuyo ne s'en sert plus.

– Et notre sodur-chef ? Demanda Voda. Son père ? Il devrait savoir ! »

Je fis une pause pour y réfléchir. Tsuyo n'avait jamais dit à son père adoptif qu'il voyait les kimmanix. Certainement parce que personne n'avait cru Isak. Mais même, Tsuyo avait fait le choix de ne rien dire à Hagop alors nous devrions ne rien dire tant que nous n'en savions pas plus. Sinon, notre sodur-chef ne nous croirait pas.

« On devrait éviter. Il ne nous croira pas pour les kimmanix. Et si on en parle, on risque d'être sanctionné pour avoir marchandé avec les guerriers de l'ombre. »

Voda soupira et acquiesça.

Nous quittâmes cette petite pièce et alors que Nix avait le dossier sous le bras, j'avais pris quelques photos du duo disparu. Voda et moi ne disions rien, perturbés par ce que nous venions d'apprendre. Devrais-je dire à Naje que son père était toujours vivant ? Non… Son père était parti lorsqu'il était petit. Ça ne changerait rien pour lui.

« Ne te casse pas la tête, dit Nix, tu vas bientôt retourner à ta belle petite vie.

– Belle petite vie ?

– Tu as l'air plutôt bien dans ta tête. Tu dois avoir de bons parents.

– Oui, ils veulent ce qu'il y a de mieux pour moi.

– Ce n'est pas de chance…

– Pourquoi ?

– Parce que tu n'es pas prêt à affronter les secrets de notre monde. »

Ouais, j'en avais déjà vu quelques-uns et il n'y avait rien de bons avec.

« En tout cas, si je peux te donner un conseil pour plus tard : ne t'engage pas avant de savoir pour quoi tu te bats. »

Annotations

Vous aimez lire Jozuenn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0