Chapitre 25 : Ressemblance

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Shoyo


Ça ne pouvait pas être possible ! Naje était le fils d'Isak ! Il ne pouvait pas être celui de Tsuyo ! Les Rida l'auraient su ! Et il avait les techniques des Huiju ! Mais… Mais il ressemblait à Tsuyo. Pas à Isak. Mais Tsuyo était un artificiel, il ne pouvait pas avoir d'enfants, pas vrai ?

Je n'y comprenais plus rien. J'avais besoin d'aide pour comprendre tout ça, mais je ne pouvais pas en parler à Naje, j'ignorai s'il savait quelque chose et il n'avait pas besoin de ça. Il n'était pas question d'en parler à ma mère, si elle savait tout ce que je venais de faire, elle m'empêcherait de le revoir tout en me disant qu'elle avait raison.

Je n'irais pas non plus en parler à Kunji ou à un autre Rida, c'était trop risqué par rapport à Hagop. Pareil pour Voda, il était trop proche de son coéquipier pour que je sois certain qu'il garde sa bouche fermée. Akiko non plus, elle était encore trop proche des Huiju.

Il ne me restait que mon père ou mon maître. Avec lequel des deux devrais-je en parler ? Il fallait que je m'assure qu'il n'y ait aucune conséquence pour Naje.

Je me levai et allai près de lui. Il avait l'air d'aller bien, mais je ne pouvais pas m'empêcher de m'inquiéter. Je sentais qu'il y avait beaucoup sur lui que nous ne connaissions pas. Et rien de tout ça n'était de sa faute. Qu'il en ait conscience ou non.

« Est-ce que j'arriverai à te protéger de tout ça ? Me demandai-je. »


Au matin, Naje avait rejoint Jarred, ayant besoin de rester proche de lui quelques temps et cela m'arrangeait puisque j'avais besoin de m'assurer qu'il était en sécurité pendant que j'allais faire autre chose.

Ainsi, je m'étais retrouvé devant une porte d'appartement que je n'aurais jamais cru voir auparavant : la porte du domicile de mon maître. Ce dernier m'ouvrit et me lança un regard surpris mais aussi énervé, il pensait certainement que j'avais fait une bêtise. Comment lui dire qu'il avait en partie raison ?

« Que se passe-t-il ? Demanda-t-il. Ça doit être grave si tu viens me déranger un jour de repos au lieu d'attendre sagement demain.

– Je pense que Naje n'est pas le fils d'Isak. »

Il lâcha un soupir et me laissa entrer, me guidant vers le salon. C'était une pièce très simple, davantage destinée à être confortable qu'à être esthétique. Sateo me fit signe de m'asseoir sur le canapé alors qu'il ramenait une chaise pour être en face de moi.

« Ça n'a pas l'air de vous étonner, remarquai-je.

– Il lui ressemble, avoua Sateo, beaucoup plus qu'à Isak.

– Quand avez-vous fait ce constat ?

– Il y a à peu près deux ans.

– Vous l'aviez observé à ce moment là ? »

Nous connaissions le maître depuis moins d'un an, je doutais fortement qu'il observait tous les enfants pour tomber sur Naje et faire le rapprochement.

« Hagop m'avait convoqué pour demander à ce que je reprenne des apprentis et j'ai croisé Naje ce jour-là. J'ai donc remarqué la ressemblance entre Tsuyo et lui et je suis arrivé à la même supposition que toi.

– Comment ?

– J'étais fan de Tsuyo lorsque j'étais jeune, je me souvenais assez bien de lui pour le voir en Naje.

– Et Hagop ne l'a pas fait ? Personne n'a remarqué ça ?

– Je doute fortement que les gens aient voulu remarquer une ressemblance entre Tsuyo et le bâtard d'Isak. Tu sais, le meilleur moyen de cacher quelque chose, c'est de le laisser aux yeux de tous. De plus, Tsuyo est parti depuis tellement longtemps, son apparence exacte a dû être oubliée. Quant à Hagop, il l'a sans doute remarqué mais il a dû décider de l'ignorer.

– Pourquoi ferait-il une telle chose ?

– Parce que ce n'est qu'une ressemblance et rien à part ça ne confirme la paternité.

– Sans oublier qu'il a les techniques des Huiju…

– Et tous les problèmes et questions que cela engendrait si Naje était vraiment à Tsuyo. »

Si c'était le cas, le clan Huiju aurait encore plus de raisons de haïr Naje, car cela voudrait dire qu'il avait leurs techniques sans avoir leur sang. C'était encore pire pour la sécurité du clan. Et cela inquiéterait les Rida, parce que cela voudrait dire que Tsuyo avait eu un enfant et l'avait caché à sa famille.

« Et que peut-on faire pour savoir la vérité ?

– Est-ce vraiment important ? Demanda-t-il.

– Cela pourrait changer le statut de Naje ! Il pourrait mieux vivre.

– Il serait toujours la preuve que les techniques des Huiju ont été, entre guillemets, volées. Ça ne changerait pas grand chose pour lui et ça inquiéterait Hagop quant au sort de Tsuyo. De plus, le seul moyen d'en avoir le cœur net serait de faire un test ADN, et ce n'est pas à notre portée. »

Parce que Tsuyo avait disparu depuis tellement longtemps que cela était impossible de retrouver son ADN de manière fiable. Et comparer celui de Naje avec celui d'un de ses oncles n'avancerait à rien s'il revient négatif. Aussi, ces tests coûtaient cher en plus de n'être disponible que dans l'empire de Neyast. Ils n'étaient pas très accessibles.

« Quant à toi, comment cela se fait-il que tu sois arrivé à cette supposition aussi ? »

Hagop gardait précieusement toutes les photos de Tsuyo, même les affiches de recherches avaient été détruites au bout de plusieurs années. Sateo savait donc que je n'aurais jamais dû voir des photos de lui.

Le maître m'avait grillé. Qu'allais-je pouvoir dire pour apaiser ses soupçons ? Je devais vite inventer quelque chose !

« Oh, j'ai vu quelques photos en suivant mon père…

– Ton père est parti depuis plusieurs jours, donc si c'était vrai, tu serais venu me voir avant. C'est autre chose, je le sais. Quelque chose qui pourrait très certainement vous avoir mis en danger et donc m'énerver. »

Zut.

« Shoyo, ton coéquipier a déjà des assassins qui lui courent après alors si tu sais quelque chose qui pourrait le mettre en danger, j'ai besoin de le savoir.

– Pourquoi vouloir le protéger ? Aucun autre maître en ferait autant pour lui. Pourquoi ce serait différent avec vous ? Il est juste tombé dans votre équipe…

– Il n'est pas tombé dans mon équipe figure-toi. J'ai demandé à l'avoir, corrigea-t-il. Teny et toi, vous, vous êtes tombés oui, mais pas lui. »

Devant mon regard étonné, il expliqua :

« Si ce que je supposais était vrai, je ne pouvais pas le laisser avec n'importe qui. Quoi qu'il soit arrivé à Tsuyo, ça pourrait rebondir sur Naje. Il fallait que quelqu'un veille sur lui. »

D'accord. Il était peut-être digne de confiance.

« Promettez-moi que vous n'allez dénoncer personne, s'il vous plaît.

– Gamin, je n'ai dit à personne que ton coéquipier passait son temps plus ou moins libre à être un FS. Et ne fais pas cette tête étonnée, je sais que tu sais.

– Je suis davantage étonné par le fait que vous le saviez ! »

Le maître soupira encore une fois.

« J'ai veillé sur lui, avoua-t-il. J'ai fini par le découvrir. Quant à toi, je me doutais que tu allais en faire autant vu que tu te rapprochais de lui. Alors, maintenant que ça, c'est dit, peux-tu me dire comment tu as pu voir cette ressemblance ? Et je veux connaître tous les détails.

– Vous n'allez pas nous dénoncer ou nous suspendre ?

– Je t'accorde l'immunité. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »


Je lui avais tout raconté. La maladie de Jared, le marché avec les guerriers de l'ombre sans lui dire leur nom et sans évoquer les arsacides, les artificiels, le bureau secret de Tsuyo et de son identité d'artificiel. Il avait écouté attentivement sans m'interrompre.

« Voilà… Finis-je.

– Pas étonnant que tu sois inquiet. Tout ça est tellement affreux.

– C'est ça.

– Donc Tsuyo était un être artificiel, ça pourrait être un point en plus pour valider sa paternité sur Naje.

– Comment ça ? Les artificiels sont stériles, il n'aurait pas pu avoir d'enfants.

– Pourtant ça ne t'a pas empêché d'avoir cette supposition. »

Pas faux.

« Sinon, Tsuyo est né il y a plusieurs dizaines d'années et comme l'ont dit les guerriers, les artificiels ne sont pas très anciens. Si ça se trouve, cette stérilité est récente. Ça ne serait pas difficile à croire vu qu'une telle chose demanderait très certainement du temps. »

C'était possible.

« Mais s'il était celui de Tsuyo, pourquoi Isak aurait fait croire que c'était le sien ?

– Pour le garder en sécurité, je suppose.

– En le mettant au milieu des Huiju avec une cible dans son dos ?

– Ça devait être mieux que de le laisser en tant que fils d'un artificiel échappé d'une organisation dont les membres ne voulaient pas qu'il se reproduise. »

D'accord, je commençais à comprendre. Il était possible que Tsuyo s'était enfui à cause de son passé, mais s'il avait eu un enfant, il aurait dû essayer de le cacher pour le protéger, surtout s'il était malade. Et en qui pouvait-il avoir suffisamment confiance pour ça ? Isak, son coéquipier qui l'avait toujours compris. Et le mieux que celui-ci pouvait faire était de le faire passer pour le sien.

« Et sa mère dans tout ça ?

– Elle n'a jamais voulu l'avoir. Ou alors l'organisation l'a trouvée… On ne saura jamais. »

Ça semblait de plus en plus possible. Mais il y avait encore quelque chose qu'il n'allait pas.

« Mais il y a toujours un contre-argument : Naje a les techniques des Huiju.

– Isak est resté un peu avec Naje lorsqu'il était petit. Il aurait pu les lui apprendre.

– Mais il n'était qu'un bébé ! Il l'aurait oublié !

– Tu te souviens d'avoir appris à écrire ? Non. Pourtant tu sais toujours le faire. Naje a sans doute réussi à faire pareil. »

Nous fîmes une pause.

« Mais ça reste encore quelque chose de surréaliste, dis-je.

– C'est vrai. Mais il reste encore une option pour expliquer cet argument.

– Laquelle ?

– Isak aurait pu transmettre ses techniques à Naje d'une manière plus ou moins légale. »

Un transfert de techniques ? Une sorte de variante du vol ? Ça pourrait être possible.

« Alors, repris-je, pour résumer la possibilité serait : Tsuyo est parti il y a longtemps, possiblement pour fuir l'organisation, et a eu Naje. Isak l'a retrouvé et ils ont décidé de faire passer Naje pour le fils d'Isak pour le protéger de cette l'organisation, tout en bravant la loi pour transmettre les techniques. »

Et d'après les guerriers, les artificiels avaient des pouvoirs démoniaques. Peut-être que les capacités de Naje, comme celle permettant de voir dans le noir, étaient issues de tout ça.

« Ça serait tout à fait possible, dit Sateo. Mais on ne saura jamais si c'est la vérité ou non. En tout cas, moi j'y crois. »

Je mis ma tête dans mes mains. Ma mère avait raison : Naje avait beaucoup de problèmes.

« Que pouvons-nous faire ? Demandai-je.

– Pour ?

– Pour aider Naje avec tout ça.

– Je pense qu'il n'y a pas grand chose à faire. Continuons simplement à veiller sur lui.

– Mais les artificiels sont programmés pour être malades et en mourir. Tsuyo était malade ! Naje pourrait… Il pourrait tomber malade lui aussi… Et s'il… »

Et s'il pouvait partir en vrille ?

« Seul le temps nous le dira.

– Et Naje dans tout ça ? Est-ce qu'il le sait ?

– Il n'en a pas l'air,

– Devrions-nous lui dire ? »

Le maître me regarda droit dans les yeux et prit quelques instants pour y réfléchir.

« Non.

– Mais c'est sa vie ! Il devrait le savoir !

– Savoir quoi ? Qu'Isak n'est pas son père ? Que son vrai père l'a abandonné pour le protéger ? Parce qu'une organisation le poursuit et pourrait ensuite s'en prendre son fils ? Que ses capacités sont démoniaques ? Qu'il n'est pas vraiment un être humain ? En passant, ça donnerait une raison supplémentaire à la population de le haïr. Et qu'il pourrait tomber malade à son tour ? »

Je me figea face à tous ces propos. C'était tellement horrible.

« Si nous lui disons tout ça, il risquerait de s'enfuir aussi. »

Je hochai de la tête.

« Si Naje le sait, il nous en parlera lorsqu'il aura suffisamment confiance en nous. Laissons-lui le temps pour ça. S'il ne le sait pas, assurons-nous simplement de le garder en sécurité et d'être là pour lui le jour où il le découvrira. »

Ou alors il nous détesterait s'il venait à découvrir qu'on savait. Que devrais-je faire ? Écouter le maître et me taire ? Quitte à risquer sa confiance ? Ou alors devrais-je tout lui dire rapidement afin de m'assurer qu'il l'apprenne dans de bonnes conditions ?

J'avais encore besoin d'y réfléchir. Dans tous les cas, il fallait faire ce qu'il fallait pour protéger Naje. C'était ce que je devais faire. J'avais une marque sur mon torse qui me le rappelait tous les jours.

« Devrions-nous le mettre sous le même traitement que Jared ?

– Attendons d'avoir l'avis des guerriers pour ça, me rassura le maître. Ils ne devraient pas tarder à revenir pour donner les médicaments. »

Je hochai de la tête. Ils ne devraient pas trop tarder.

« Et savoir tout ça ne vous fait rien ? Demandai-je. N'importe qui aurait dénoncé Naje…

– Je sais. Pour tout t'avouer, j'ai passé tellement de temps à admirer Tsuyo que je suis devenu sodur pour être comme lui. Et comme Naje lui ressemble, l'aider revient à une manière de lui rendre hommage. »


Le maître m'avait dit de ne pas m'inquiéter et m'avait renvoyé, en me disant que tout irait bien tant que nous continuions à tenir notre langue. J'avais donc rejoint Naje dans la chambre d'hôpital de Jared. Il était assis sur le lit dans lequel Jared dormait, jouant avec ses cartes. Lorsqu'il me vit, il reposa le paquet.

« Tu as l'air chamboulé, me dit-il.

– Ouais, un peu. Comment va Jared ?

– Il est toujours sous le choc, mais il espère que le traitement sera efficace. »

Moi aussi. Il se leva et s'approcha de moi.

« Et toi, tu vas bien ? Tu ne l'étais pas ce matin et maintenant non plus… »

Je le pris dans mes bras.

« Ça va aller, me rassura-t-il en me rendant mon câlin. »

Ouais, ça serait le cas. Mais pour l'instant, j'avais Naje contre moi, en vie, en bonne santé et en sécurité. Et j'allais m'assurer que ça resterait ainsi.

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