Chapitre 26 : Baleset
Naje - 7 ans
Il courait. Le plus vite possible, ignorant la douleur à sa cheville. Il avait dû se blesser en atterrissant. Mais il ne regrettait pas d'avoir sauté du premier étage. S'il ne l'avait pas fait, il serait de retour dans cette petite cellule. Alors il ignora la douleur et courut.
Il faisait nuit mais l'obscurité ne l'avait jamais dérangé. C'était même un précieux avantage dans cette situation. Il savait où aller dans cette ville qu'il connaissait que depuis quelques jours. Mais son kidnappeur le poursuivait et se rapprochait trop vite. Il tenta d'accélérer mais il était déjà à bout de force. Et ses jambes étaient bien petites par rapport à celles de l'homme.
Il sentit une main saisir ses cheveux et le tirer en arrière. L'homme le souleva et l'emprisonna dans ses bras épais, plaquant une main sur sa bouche pour l'empêcher de crier. Naje se débattait, usant de ses dernières forces pour donner des coups de pied.
« Hé ! Lâchez l'enfant ! »
Il ne savait pas qui avait crié mais grâce à cette personne, l'homme avait moins de force dans sa prise et Naje en profita pour mordre sa main. Le kidnappeur le relâcha sous la douleur et l'enfant tomba au sol. Il n'attendit pas avant de se relever et s'enfuir. Mais sachant qu'il ne pourrait pas courir plus longtemps, il se cacha dans une ruelle, derrière une poubelle.
Il ne savait pas combien de temps s'était écoulé. Devrait-il trouver une meilleure cachette ? Il tenta de bouger son pied et dut mettre la main sur sa bouche pour retenir un cri de douleur. Il ne pouvait pas se déplacer.
« Petit ? »
C'était la même voix que tout à l'heure, une voix modifiée comme si la personne parlait à travers un chiffon. Cette personne ne semblait pas menaçante, mais il avait peur et ne pouvait plus s'enfuir. Il se fit encore plus petit, se repliant derrière cette poubelle, espérant qu'il n'allait pas être trouvé. Il entendit des pas se rapprocher et il sursauta en sentant une main se poser sur son épaule.
Un adulte, dont le visage était dissimulé par un masque blanc, était juste devant lui. Seul un petit espace quadrillé pouvait lui permettre de voir et Naje savait que son regard était posé sur lui. Alors il regarda cette personne masquée. Elle portait une armure avec un katana noir attaché à sa ceinture. Il pouvait deviner qu'il s'agissait d'un membre de forces spéciales. Un FS qui venait de le sauver du kidnappeur.
« Est-ce que ça va ? »
Il ne pouvait pas répondre, la gorge nouée par la peur. Le FS ne sembla pas s'énerver et sortit des bandages d'une de ses poches. Il retira la chaussure de l'enfant et banda sa cheville. Naje ne bougea pas, il observa attentivement chaque mouvement du FS qui le rassurait peu à peu par son calme.
« Ta cheville est foulée. Il faudra mettre de la pommade.
– Merci…
– Comment tu t'appelles ?
– Naje.
– Quel âge as-tu ?
– J'ai 7 ans.
– Et cet homme t'a kidnappé, c'est ça ?
– Oui.
– Et il a certainement enlevé les autres enfants… Pourrais-tu me conduire là où tu étais enfermé ? »
Il hocha de la tête. Le FS se leva et le prit dans ses bras, puis suivit les indications de l'enfant.
« Ces imbéciles ont failli rater leur mission ! Râla une voix. On aurait pu ne jamais retrouver ces enfants ! »
Naje ouvrit les yeux. Il était allongé sur un fauteuil, enveloppé d'une couverture, dans un petit salon avec une fenêtre, dont la lumière était bloquée par des rideaux. Il se leva et alla décaler légèrement ces rideaux. Il constata qu'il était au premier étage d'une maison avec des barreaux aux fenêtres. Il avait vue sur une petite avenue avec quelques boutiques. La hauteur du soleil indiquait qu'il était déjà midi passé.
Il se rappela de ce qu'il s'était passé cette nuit. Il avait réussi à s'échapper de la pièce au sous-sol dans laquelle il était enfermé. Pour cela, il se souvint de s'être niché dans un coin en hauteur de la pièce avant que le kidnappeur entre. Et en ne voyant pas son prisonnier, l'homme était parti en laissant la porte ouverte.
Il se souvint s'être enfui et avoir été sauvé par un FS. Il avait été blessé. Il vérifia sa cheville et remarqua qu'un nouveau bandage avait été fait. Il scruta la pièce, cherchant ses chaussures. Elles étaient posées à côté de la porte. Il se rappela ensuite avoir indiqué où était la maison du kidnappeur et avoir retrouvé les autres enfants. Puis, il s'était assoupi dans un coin.
« Attendez, je récapitule, dit un homme. Des sodurs ont utilisé un élève-sodur pour servir d'appât afin de coincer le kidnappeur. Sauf qu'ils ne l'ont pas surveillé, parce que c'est un bâtard, et l'ont perdu. Mais l'élève a réussi à s'enfuir ce qui vous a permis d'arrêter le kidnappeur et de retrouver les enfants disparus.
– En gros, dit une femme.
– Alors pourquoi avez-vous refusé de remettre l'élève à ses gardiens ?
– Ces derniers se fichaient complètement de lui même s'il y avait d'autres enfants en danger. »
Les voix venaient de l'autre côté de la porte. Et la dernière d'entre elles était la même que celle du FS. Ignorant quoi faire, il lâcha le rideau et retourna sur le fauteuil. Fixant la porte, il écouta attentivement la conversation.
« D'accord et que va-t-on faire de lui ? Vous vous opposez à ce qu'on le confie à nouveau aux sodurs et personne n'a l'autorité de vous obliger du contraire.
– Je me charge de lui.
– Mais un FS comme vous doit avoir autre chose à faire…
– Mais comme vous l'avez dit, vous ne pouvez pas m'empêcher de faire ce que je veux. Je prends l'enfant avec moi.
– Bien. »
Il entendit deux personnes se lever et marcher, puis une porte s'ouvrir et se refermer. Puis une quatrième voix parla.
« Tu vas perdre ton temps à le ramener.
– Je vais le présenter en tant que recrue potentielle.
– Quoi ? C'est un bâtard !
– Tu as vu ce qu'il a fait ? C'est impressionnant ! Surtout pour un enfant de 7 ans ! Bâtard ou pas, il a des capacités incroyables et on ne peut pas passer à côté de ça.
– Justement ! Il n'a que 7 ans, il faut encore le former.
– Je le ferai et personne n'aura à savoir que c'est un bâtard.
– Et j'imagine que tu veux que je soutienne ta proposition.
– Tu me dois une faveur, non ?
– Très bien, Baleset, mais il sera uniquement sous ta responsabilité, pas la mienne. »
Il l'entendit quitter la pièce. Avait-il bien compris la situation ? Puis, il vit le FS de la ruelle entrer dans ce petit salon et s'approcher de lui, toujours dans la même tenue avec le même katana noir. Baleset, c'était bien son nom ?
« T'as faim ?
– Désolé monsieur, mais…
– Maître. Ou maîtresse si tu veux. Mais je préfère maître. »
Il était perdu.
« Vous êtes… Hésita-t-il.
– Une femme. On me nomme Baleset et je suis ton désormais maître.
– J'ai déjà un enseignant à l'école.
– Et tu vas m'avoir sur ton dos pour un moment. »
Il ne comprenait pas ce qu'il se passait. Il ne savait pas où se mettre, alors il se contenta de rester immobile, comme il avait appris avec Hagop, le regard oscillant entre le FS et le sol.
« Je vais te présenter à d'autres FS pour te nommer comme l'un des nôtres et je te prendrai avec moi pour te former.
– Mais je ne veux pas devenir un FS.
– Et pourquoi ça ?
– Je ne voulais déjà pas devenir sodur, alors FS…
– Je suppose que c'est ton tuteur qui t'a forcé. Il a bien fait. Tu as besoin d'apprendre à te défendre. Qui sait ce qui pourrait t'arriver… »
Le FS vint s'asseoir à côté de lui.
« Tu es un bâtard. Quoi que tu fasses, les gens feront tout pour te faire échouer et ils y arriveront. Tu n'arriveras à rien, jamais. Mais je te donne une opportunité. Si tu deviens un FS, tu pourras travailler sans que quiconque te fasse échouer, car tu garderas ton identité secrète et personne ne pourra te forcer à la révéler. Je t'apprendrai tout ce que je sais et ça te sera utile dans ta vie de tous les jours. Tu gagneras ton argent. Tu pourras devenir autonome et indépendant. Et surtout, tu auras plusieurs avantages qui te permettront d'avoir de meilleures options. Comme partir où tu veux.
– Je n'ai pas vraiment le choix, n'est-ce pas ?
– Hagop ne pourra pas te protéger éternellement et il est si facile de dissimuler un meurtre en accident pour dissuader toutes représailles. Tu dois apprendre à te débrouiller seul le plus rapidement possible. Tu ne peux pas te permettre de refuser.
– Mais même si j'accepte, ça ne veut pas dire que je vais être promu FS. »
Le FS laissa échapper un rire.
« Que tu sois promu ou non, je te prends pour apprenti. Tu es coincé avec moi. Et les autres FS seraient fous de ne pas te nommer comme l'un des nôtres. Tu es déjà très doué, alors avec mon enseignement, tu le seras encore plus. Ils ne pourront pas passer à côté d'une recrue avec autant de potentiel que toi. »
« Où on va ? Demanda Naje. »
Naje était habillé de noir et suivait le FS dans la forêt, encore humide de la dernière pluie. Il était inquiet de ce qui allait se passer, mais il ne pouvait s'empêcher de se sentir joyeux d'avoir quelqu'un qui s'intéressait à lui, qui s'impliquait avec lui. Ces nouveaux vêtements marquaient ce changement.
C'était la première fois que quelqu'un les choisissait à sa place. D'habitude, il récupérait les anciens des enfants plus grands du clan, il se débrouillait avec ce qu'il avait sous la main parce que Hagop n'avait pas le temps à lui consacrer pour ça. Et pour la première fois, les vêtements qu'il portait étaient à sa taille.
« Dans une des bases des FS pour ta nomination.
– Que devrais-je dire ?
– Rien. C'est à moi de parler de toi.
– Alors je ne dois rien faire pour montrer de quoi je suis capable ?
– Non. Comme je t'ai repéré, c'est à moi de savoir tout ça. Et je sais beaucoup de choses sur toi.
– Et je ne sais rien de vous…
– Tu ne sauras rien de moi.
– Mais je connais votre nom, rappela-t-il.
– C'est mon nom de code, pas mon vrai nom. Tu peux l'utiliser aussi.
– Il a une signification ?
– Ça veut dire accident. Ne demande pas pourquoi, il vaut mieux que tu ne le saches jamais.
– Et je ne saurais vraiment rien d'autre ?
– Jamais.
– Mais vous savez tout de moi.
– Je sais que tu es le fils bâtard d'Isak Huiju et d'une femme inconnue de l'empire de Neyast. Tu es sous la garde du sodur-chef de Manok, Hagop Rida, depuis que ton père est de nouveau parti. Tu as des notes excellentes, tu t'en sors bien en pratique et encore mieux en théorie. Je pourrais réciter tout sur toi, de ton dossier médical jusqu'à ta cachette favorite. Mais je ne sais pas tout sur toi.
– Il n'y a rien d'autre.
– Ah oui ? »
Baleset s'arrêta de marcher et se retourna vers lui. Naje se stoppa face à elle.
« Il fait nuit noire, gamin. Je connais ce chemin par cœur contrairement à toi. Alors dis-moi, comment as-tu fait pour contourner tous les pièges ? Et n'essaye même pas de me dire que tu as eu de la chance, il y en a plus d'une vingtaine.
– J'ai hérité de la technique de la vision éclaircie du clan des Huiju.
– C'est vrai, mais tu ne t'en es pas servi. Tu ne sais pas la maîtriser non plus. Alors qu'est-ce que tu caches à tout le monde ?
– Rien. »
Elle ne devait pas savoir. Il avait promis de ne pas se faire remarquer. S'il lui disait, elle allait le rejeter. Et il allait la seule personne qui lui accordait un peu d'importance, même si cela ne faisait pas longtemps.
« Pourtant il y a encore peu de temps, tu faisais des crises. Tu allais bien, puis tu semblais voir quelque chose et tu partais te cacher en panique. Ça faisait peur aux autres enfants du clan.
– Comment vous… Seuls les Rida le savent…
– Je suis un FS, gamin, rien ne m'échappe. Alors, dis-moi, mon cher petit apprenti, dit-elle en s'approchant de lui, qu'est-ce que tu caches ? »
Il voulait reculer. Il voulait partir. S'enfuir et ne rien dire. Mais Baleset le rattraperait. Il hésita. Il risquait de perdre la chance qu'il venait d'avoir s'il disait la vérité, mais il risquait la même chose s'il n'était pas honnête. Il n'avait pas le temps de réfléchir, il dut prendre une décision rapidement.
« Je peux voir dans le noir.
– Tu sais faire autre chose ?
– Pas que je sache…
– Pourtant il y a plus. »
Elle plaça une main sur son épaule se mit à sa hauteur.
« Gamin, tu es mon apprenti. Je finirais tôt ou tard par le découvrir. Et ça semble te faire peur, alors dis-le moi maintenant si tu veux que je t'en protège.
– Vous n'allez pas m'envoyer dans un hôpital psychiatrique ? »
Hagop l'avait déjà menacé de faire ça.
« Il ne t'arrivera rien. Alors ?
– Je vois des monstres.
– Des démons ?
– Je ne sais pas. Personne d'autre ne les voit.
– Tu les vois tout le temps ?
– Non, ils vont et viennent. Et ils n'ont pas tous la même forme.
– Ils t'attaquent ?
– Pas tous, mais certains oui. »
Baleset se redressa et sembla prendre un temps pour réfléchir.
« Tu les vois depuis combien de temps ?
– Depuis toujours.
– Et tu n'en as parlé à personne ?
– Hagop ne m'a jamais cru et il m'a fait promettre de ne rien dire. »
Baleset ne dit rien. Naje fut pris de panique.
« Est-ce que vous allez me renvoyer ? Demanda-t-il d'une voix fébrile.
– Non. Nous allons travailler sur ça et trouver un moyen pour que tu n'aies pas de problème. »
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