Chapitre 27 : Écho

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Shoyo


Je venais de tourner la page du calendrier de ma chambre, dévoilant le huitième mois de l'année : Nenad. L'automne commencerait à la fin de celui-ci. L'été avait été discret cette année, je l'avais à peine remarqué tellement j'avais été occupé par ma formation et mes découvertes…

Deux semaines s'étaient écoulées, durant lesquelles j'avais beaucoup réfléchi sur ce que je devrais dire ou non à Naje. Cela faisait déjà sept mois que j'étais dans la même équipe que lui et si on m'avait dit au début que je chercherais avant tout à le protéger, je ne l'aurais pas cru. Jamais.

Je n'avais toujours pas pris de décision. Au fond de moi, j'espérais que les guerriers allaient m'apporter des réponses bien avant que je doive tout révéler à mon coéquipier. Pourquoi plaçais-je tous mes espoirs en eux ? Je ne savais même pas s'ils étaient réellement de mon côté…

Mes parents étaient rentrés et m'avaient puni pour avoir fait le mur. Au moins, ils n'avaient pas remarqué que Naje était lié à tout ça. C'était déjà ça.


Sur le chemin pour aller à l'entraînement, je sentais quelque chose d'anormal. J'ignorais quoi cependant. Ce ne fut que lorsque quelqu'un m'attrapa pour me tirer dans une ruelle discrète que je compris de quoi il s'agissait. Des guerriers de l'ombre. Creslad et Tran, ainsi qu'un autre garçon un peu plus grand.

Ils étaient habillés en civil, même si je savais qu'ils avaient plusieurs armes sur eux. Le troisième avait des longs cheveux noirs ondulés, voire bouclés, et des yeux jaunes bien brillants. Et comme les deux blonds, ils avaient une peau pâle et des cicatrices aux joues.

Pendant que le plus grand me plaquait contre le mur, je me demandai si tous les guerriers avaient ces marques ou si c'était uniquement eux.

« J'imagine que personne ne vous a vus, dis-je.

– Vos souterrains nous le permettent, répondit Creslad avec lassitude. »

Il posa la main sur son camarade aux cheveux noirs, lui indiquant de me lâcher, ce qu'il fit.

« Avez-vous les résultats ?

– On a mieux, dit l'inconnu. »

Tran souleva une mallette.

« Il y a tous les médicaments dedans avec une notice informant comment les prendre, dit Creslad. J'espère que ton ami n'a pas peur des piqûres.

– Ça va le soigner ?

– Ça va l'aider, dit le plus grand. Guérir est encore impossible à ce jour.

– Il y en a assez pour un mois, dit Tran. D'ici trois semaines, quelqu'un reviendra pour refaire quelques examens et réajuster les doses. »

J’acquiesçai de la tête. Où allais-je pouvoir planquer ça pour l'amener à Jared ? Je demanderai à Naje, pour l'instant, je devais leur demander pour Tsuyo maintenant. Mais comment ?

« J'ai quelques questions… Dis-je en hésitant.

– Concernant ?

– Tsuyo Rida. »

Le plus grand me lança un regard choqué.

« Quoi ? Demanda-t-il. Comment il connaît cet idiot lui ?

– Tsuyo venait d'ici, dit Creslad.

– Apparemment, il était très apprécié ici, dit Tran sur un ton moqueur. »

Aucun des trois ne semblaient l'apprécier. Pourtant, Creslad avait dit qu'il ne se souvenait pas de lui. Ils devaient certainement reproduire le comportement de leurs aînés, ou agir avec le peu que leur avaient dit ces derniers à son sujet. Mais qu'avait fait Tsuyo pour obtenir autant de haine ?

« Tu ne l'aimes pas, dis-je au plus grand.

– J'ai mes raisons.

– Tu te souviens de lui, remarquai-je.

– Oui, malheureusement.

– Que s'est-il passé ?

– Il a le don de tout faire foirer, expliqua-t-il. Il avait pris des engagements qu'il n'a pas respecté. Il est parti en abandonnant tout le monde. Ça a foutu le bordel dans nos familles.

– Langage ! Protesta Creslad.

– Quoi ? Il demande. Je réponds. »

Les frères roulèrent des yeux.

« Quelles sont tes questions sur lui ? Demanda Tran.

– C'était l'un des premiers artificiels, il pouvait avoir des enfants, n'est-ce pas ?

– Oui, il pouvait, répondit l'aîné, comme tous les artificiels des premières générations. Mais les fœtus développent plusieurs malformations et en décèdent bien avant d'arriver à termes. »

En d'autres mots, les enfants mourraient avant de naître.

« En a-t-il eu ?

– Il a essayé.

– Est-ce qu'il y en aurait un qui aurait survécu ?

– Pourquoi cette question ? Demanda-t-il. »

Répondre à une question par une autre question était une tactique pour contourner le réel sujet. Il savait. Un enfant avait survécu et il le protégeait.

« Je sais qu'il a un enfant.

– Qui ? »

Je voulus contourner la question lorsque Tran me coupa.

« L'écho. »

Devant nos regards incompréhensifs, il ajouta :

« Naje, son coéquipier, c'est l'écho en question.

– Le monde est petit, soupira le garçon.

– Quoi ? C'est quoi un écho ? Questionnai-je. »

Les deux grands s'échangèrent un regard, cherchant quoi faire ou quoi dire.

« Comment on peut répondre nous maintenant ? Demanda Creslad, désespéré.

– Surtout que je vais avoir d'autres questions moi aussi ! S'exclama Tran.

– Et que vais-je dire aux parents sur ce que sait mon cadet ? Se questionna Creslad.

– On n'a qu'à faire comme le ferait Seth ! Proposa le plus grand. Répondons par directives farfelues et proverbes sans plus d'explications ! »

Il se tourna vers moi et me dit :

« Regarde la définition d'écho dans le dictionnaire et souviens-toi : les yeux sont les fenêtres de l'âme. D'ailleurs, en parlant d'âmes, il y en a des plus complexes que d'autres. Allez salut ! »

Il s'en alla en sautillant comme si rien n'était. Il était bizarre.

« Qu'est-ce que ça veut dire ? Et mes questions ?

– Désolé, dit Creslad. On ne peut pas vraiment répondre à ça. On ne sait pas grand chose non plus…

– Peux-tu au moins me dire si Naje est en sécurité par rapport à ça ?

– Je ne sais pas, avoua-t-il, on n'a pas d'autres cas pour comparer.

– Alors vous ne savez pas s'il peut développer la même maladie que Jared ? »

Il secoua négativement la tête. Mais il ajouta tout de même :

« Ne donne pas les médicaments à Naje. Les non-artificiels y réagissent mal.

– Un conseil cependant, dit Tran, tu devrais te séparer de lui.

– Tu vas me dire qu'il est dangereux ou quelque chose comme ça ?

– Non. C'est juste que les échos ne durent pas longtemps. »

Que voulait-il dire par là ?


Ils étaient partis en me laissant une mallette et mes questions. Ne sachant pas quoi faire, je pris la décision d'arriver en retard à l'entraînement, je l'étais déjà de toute façon, et allai à la bibliothèque.

Je pris grand soin d'éviter ma tante pour me faufiler vers un dictionnaire et l'ouvrir à la définition du mot conseillé par l'idiot aux cheveux noirs.

Écho. 1) Réflexion du son par un obstacle qui le répercute ; le son répété. 2) Ce qui est répété par quelqu'un. 3) Ce qui reflète quelque chose. 4) Accueil et réaction favorable. 5) Effet obtenu par une reprise ou un prolongement du son. 6) Élément qui signifie : son répercuté.

Que devais-je comprendre ? Ça n'aidait en rien ! Je laissai tomber ma tête contre la table, frustré de ne rien comprendre.

« Ça ne va vraiment plus dans ta tête, dit quelqu'un en face de moi. »

Pas besoin de regarder pour savoir que Naje était là.

« Qu'est-ce qui te fait penser ça ? Demandai-je.

– Toi qui lis un dictionnaire. »

Je relevai la tête pour lui lancer un regard vexé.

« Avec autant d'émotions, ajouta-t-il pour se rattraper. »

Je soupirai et reposai ma tête là où elle était.

« Pourquoi es-tu ici ? Demandai-je.

– Tu as pratiquement une heure de retard, le maître m'a envoyé te chercher. »

Et il m'avait trouvé grâce à mon énergie.

« Honnêtement, continua-t-il, je ne m'attendais pas à te voir ici.

– Tu sous-entends que je n'ai pas une tête à venir ici ?

– J'aurais plutôt parié sur ta présence à l'entraînement. »

Il n'avait pas tort.

« Si on y allait ? Le maître nous attend. »

Je hochai de la tête.

° Et tu pourrais me parler de ce qui te tracasse ? °

Il ne me lâcherait pas.


Après que le maître m'avait réprimandé, nous avions suivi ses directives pour l'entraînement. Et à la fin de la journée, je me rendis dans mon dortoir récupérer la mallette. Naturellement, Naje me suivit.

« Qu'est-ce que c'est ?

– Les médicaments de Jared.

– Tu as revu les guerriers ?

– Oui, ce matin.

– Et tu es allé à la bibliothèque ?

– Je tentais de comprendre ce que disaient les guerriers.

– Développe. »

Je ne pouvais pas. J'allais devoir tout lui dire sinon…

« Quoi que tu aies en tête, je finirai par le savoir. »

C'était vrai. Mais j'ignorais si c'était vraiment nécessaire.

« Que sais-tu sur ton père ? Demandai-je en m'asseyant sur le lit.

– Toi, tu as découvert quelque chose.

– Naje, je…

– Isak était un chasseur de démon. »

Quoi ?

« Comment tu sais ? Je n'en ai jamais entendu parler !

– Il ne l'a jamais dit, sauf à moi, mais ce n'était qu'un peu. Il voyait les kimmanix depuis tout petit alors il s'est engagé. Mais il a fini par arrêter. »

Il s'assit également, en face de moi.

« Pour toi, supposai-je.

– Non, il voulait déjà arrêter bien avant que j'arrive. Je n'ai été qu'un argument de plus.

– Pourquoi ?

– Il n'en pouvait plus. »

Naje fit une pause.

« Il devait combattre les démons mais aussi capturer les êtres humains avec des pouvoirs démoniaques.

– Des gens en ont ? Comment c'est possible ?

– D'après mon père, c'est un fléau que Rozenn nous a laissés et qui se répand de plus en plus. Ça touche les gens assez aléatoirement, principalement les enfants, mais ils sont toujours humains et ce n'est pas contagieux.

– Qu'arrive-t-il à ces personnes une fois capturées ?

– Chaque cas est différent, mais le plus souvent, elles sont emprisonnées.

– Et si elles ne le sont pas ? Elles sont tuées, c'est ça ?

– Certains pouvoirs sont trop dangereux… avoua-t-il. »

Mais ce n'était pas de leur faute ! Et savait-il qu'il était concerné ?

« Et tes techniques…

– Oui, elles viennent du fléau. »

Il savait. Il savait que ses techniques étaient des pouvoirs démoniaques. C'était pour ça qu'il était discret avec ! Et il me faisait suffisamment confiance pour me l'avouer. Et Isak le savait aussi. Encore une raison pour le faire passer pour son fils. Personne ne croirait qu'un chasseur avait un enfant avec des pouvoirs démoniaques sans le dénoncer.

« Tu n'as pas l'air d'être surpris, remarqua-t-il.

– Je…

– Tu le savais.

– Oui, avouai-je.

– Comment ? »

Je le regardai droit dans les yeux. Comment lui répondre sans lui dire pour sa filiation ?

« Shoyo, je te fais assez confiance pour ça.

– Je sais et je ne te dénoncerai jamais. »

Il avait assez à faire avec toutes ces histoires, devrais-je vraiment lui rajouter ça en plus ?

« Sais-tu d'où tu tiens ça ?

– Je suis né avec.

– Oui, mais pour une raison en particulier ?

– Non, ça vient tout seul. Ça aurait pu tomber sur quelqu'un d'autre.

– C'est affreux.

– C'est mieux que de les avoir à la puberté. »

Devant ma tête étonnée, il ajouta :

« On peut aussi avoir ces pouvoirs suite à un traumatisme. Ça dépend des gens.

– Est-ce qu'il y a une part de génétique ?

– Aucune idée. »

D'accord, je n'allais pas lui dire.

« Shoyo ? Peux-tu me répondre ?

– J'ai deviné, lançai-je. Cette histoire avec Jared et les pouvoirs, j'ai fait le lien. »

Il sembla accepter ma réponse.

« C'est pour ça que tu étais tracassé ?

– Ouais. J'ai peur qu'il t'arrive quelque chose à cause de tout ça.

– Je suis assez discret, ne t'inquiète pas. »

Je me levai.

« Allons remettre ces médicaments à Jared, dis-je. »

Même si je n'avais rien compris à cette histoire d'écho, j'avais réussi à décider pour Naje. Si ma mère connaissait l'origine de ses pouvoirs, elle m'interdirait de le revoir, mais je savais qu'il était quelqu'un de bien. Je le sentais à travers ma marque. J'allai veiller sur lui.

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