L'Armure

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Thèmes Hasardeux 1

Thème principal : Armure.

Thème secondaire : Verrière.

Mot récurrent/important pour le(s) personnage(s) : Jupon.

*

Sur la branche, l’oiseau sautille et semble danser. Suivant les souffles du vent, ne faisant qu’un avec la brise qui fait s’agiter les branches de l’arbre. C’est le printemps, les arbres bourgeonnent et leurs fleurs commencent à s’ouvrir doucement en diffusant leur parfum au grès des courants, pour bientôt offrir leurs fruits délicieux aux lèvres impatientes de leur sucre savoureux. L’oiseau chante et vole autour de l’arbre, libre comme l’air, libre de changer d’air, de suivre le vent ou de le braver. Si le cœur lui en dit, il pourrait même quitter cet arbre, ce jardin et s’éloigner, quitter ce verger et s’en aller.

Mais pour le moment, il est là, devant mes yeux. Virevoltant entre les branches, offrant un spectacle à la fois doux et réconfortant à l’instar des rayons du soleil venant réchauffer ma peau nue au travers de la verrière. Ah… la verrière. Mes yeux continuent de suivre l’oiseau, ce gentil petit moineau dont la liberté n’a d’égal que la courte vie, mais ils voient maintenant la verrière. Cette sublime verrière de verre et de fer forgé dont l’ossature noire semble quadriller le ciel comme autant de barreau me séparant de la liberté. Car je ne suis pas prisonnière mais je ne suis pas libre. Je regarde la forêt de montants de fer et me perd lentement dans mes pensées, laissant échapper un profond soupir sans vraiment m’en rendre compte.

J’essaie à nouveau de regarder le petit moineau, de me plonger dans sa contemplation, il s’est posé sur une branche et chante à qui veut l’entendre. Mais le moment est passé et je n’arrive plus à retrouver cet instant de chaleur et de réconfort. Comme si le ciel voulait me le faire comprendre, un nuage passa devant le soleil et je le regardais avec reproche, une colère sourde montant en moi.

  • Madame ?

Encore agacée de cet instant brisé, je ne l’entendis pas la première fois, ou bien mon subconscient ne souhaitait pas lui répondre et revenir à la réalité. Tant et si bien qu’elle dut répéter son appel.

  • Madame Victoria ?
  • Oui Elise, je sais…

Elle tient dans ses mains des dessous, et me les présente pour que je les enfile. Je vois dans ses yeux l’attente et l’écoute que l’on retrouve chez les servants, mais aussi une douceur qui a su être appréciée depuis toutes ces années. Rapidement, me voilà habillée d’une culotte en flanelle épousant agréablement mes formes et d’une tunique de coton. Les deux sont blanches, c’est ce que l’on attend des dessous, mais qu’est-ce que ça peut m’agacer. Ces rituels se répètent tous les jours, encore et encore, les mêmes tenues encombrantes, embarrassantes et si convenues... Dans la prison de ma place et de mon rang, je suis obligé de m’y plier.

Mais, cela va peut-être enfin changer…

  • Elle est prête ? dis-je, sans laisser transparaitre mon impatience.
  • Oui Madame. Nous l’avons reçue ce matin et l’avons préparée pour vous
  • Bien. Apporte-la.
  • Tout de suite, Madame Victoria.

Elise sort de la pièce et je l’entends appeler d’autres servantes. Quelques instants plus tard, un défilé de servantes vient déposer les différents éléments composant cet objet si particulier. Quiconque ayant l’œil pour ces choses ne pourrait douter de ce qu’apportent les servantes.

Une armure. Mais pas n’importe quelle armure. Mon armure. Elle avait été faite sur mesure dans le plus grand secret et je ne peux empêcher un sourire satisfait de transparaitre sur mon visage alors que les servantes en dépose chaque pièce sur la grande table.

Une fois toutes les servantes reparties à l’exception d’Elise, je m’approche de la table et laisse courir ma main sur le plastron de l’armure. Légèrement plus bombé que la normale, un gorgerin remontant plus haut sur la poitrine, il est fait pour laisser passer ma poitrine tout en la protégeant. Le corset en dessous est d’une grande élégance et son tissu est de très bonne qualité, mais ce qui le rend spécial ce sont les plaques de métal qui viennent renforcer son armature et la maille d’acier qui en compose le rembourrage. Epée, flèche ou poignard, rien ne pourrait passer ce corset. Le plus intéressant c’est que rien ne trahissait sa particularité a part son poids. Et cela, j’en serai la seule informée.

Faisant mentalement l’inventaire des différentes pièces, je remarque qu’un élément semble manquer à l’appel.

  • Où sont-ils ? dis-je, et ma voix laisse alors transparaître les notes d’une colère montante.
  • Un problème, Madame ? demande Elise qui reconnait ces notes.
  • Oui. Mes jupons, où sont-ils ?
  • Oh… ils ne sont pas là ? J’étais pourtant persuadée… excusez-moi un instant, Madame Victoria.
  • Oui, oui. Et fais vite. Ces jupons doivent être retrouvés.
  • Tout de suite.

Elise se précipite et j’entends le fourmillement des servantes paniquées. Je suis une bonne maîtresse de maison, mais je suis aussi bonne que sévère et j’écoute avec satisfaction leurs petits piaillements d’inquiétude à l’idée qu’il manque ces jupons. Et ça, elles peuvent s’en inquiéter.

Ces jupons sont essentiels à mon armure. Ils sont essentiels à bien des égards. Déjà leur couleur d’un rouge rubis, à la fois sombre et vif, comme le sang. Leur tissu est unique, un tressage et traitement particulier qui s’il n’est pas agréable sur la peau, est très résistant, à la limite du cuir bouilli. Mais surtout, et c’est en cela qu’il n’est pas possible de m’en séparer, ces jupons ont en leur sein, cachés entre leurs nombreux plis et épaisseurs, les fourreaux de mes lames.

Deux fourreaux qui suivent et se perdent dans les jupons, deux lames fines dont les manches sont de la même couleur que les jupons et se fondent parfaitement. Sans eux, mon armure est incomplète, une muraille sans meurtrières, un château sans archers !

Elise revient, aidée de deux autres servantes, portant mes jupons de combat. Sans parvenir à le retenir je pousse un soupir de soulagement, tout serait perdu si je ne les avais pas. C'est aujourd'hui ou jamais, c'est là que tout se joue ! Relevant la tête, je m'adresse aux servantes.

  • Bien, nous avons assez perdu de temps. Commençons.

Elise, toujours avec l’aide des deux servantes, s’affaire alors à m’équiper de cette sublime armure. Et à chaque pièce je me sens un peu plus prête pour le combat qui arrive. D’abord le corset qui me serre la poitrine et les côtes, puis le plastron et les épaulettes. Au premier coup d’œil elles semblent moelleuses comme de petits coussins rembourrés mais elles sont en réalité faites du même acier que le plastron et sauront sans aucun doute me protéger. Les jupons sont ensuite fixés au plastron et je sens le poids de l’ensemble peser sur mes épaules, c’est lourd mais tout à fait supportable.

Ma tenue est complétée par une paire de gants qui ferait pâlir de jalousie n’importe quel chevalier, tant par leur finesse que par leur élégance. Mes doigts sont libres de leurs mouvements et les gants remontent presque jusqu’à mon coude en canon d’avant-bras, et pourtant ils n'entravent en rien mes mouvement. Il faudra que je pense à envoyer une lettre de remerciement à ce forgeron après tout cela. Enfin j’enfile les bottines renforcées qui viennent grandement aider à soutenir le poids de mon armure.

Une fois prête, nous faisons passer une forme de « robe d’apparat » par-dessus l’armure qui vient en cacher les traits les plus distinctifs. Cette robe a été étudiée pour et ressemble plus à un tabard qu’à une vraie robe mais l’ensemble est harmonieux. Je me regarde dans le miroir et je suis satisfaite autant par ce que je vois que ce que je ressens. Rien ne peut m’arrêter maintenant, cette armure est parfaite. Je me tourne vers Elise, les autres servantes étant parties.

  • Pour la gloire d’Alderrante

Les yeux d’Elise s’écarquillent très légèrement, et la lueur de douceur bienveillante disparait pour laisser place au regard froid et décidé d’une combattante.

  • Pour la gloire de ma Reine ! dit-elle en posant le genou à terre, le poing sur le cœur.

Elle se relève rapidement et part vers les quartiers des servantes, sa démarche ayant perdu tout de la lenteur mesurée des servants pour laisser place au pas décidé du soldat. Un brouhaha important émerge de leurs quartiers, mais sans un mot. Des bruits de fer, de sangles, et je souris à ces sons.

Ignorant ces bruits comme l'on ignore une mélodie lointaine, je me tourne vers le dernier coffret posé sur la grande table. Je l’ouvre et passe avec amour mes doigts sur les lames qui s’y trouvent. Identiques toutes les deux, les lames sont faites d’un acier bleuté. Leurs gardes sont ondulées pour suivre les plis des jupons et de la même couleur. J’enfile la première lame dans le fourreau droit puis me saisis de la seconde lame.

La faisant tourner autour de moi, j’en apprécie le maniement si naturel et gracieux, même dans cette armure. Ce forgeron a décidément fait des merveilles... J’entends du bruit derrière moi, discret mais bien là, et je le reconnais. Je ne me retourne pas, je regarde en direction de l’oiseau sur sa branche, toujours là, mais il ne chante plus.

Il me regarde, comme curieux de ce que je vais faire, sans savoir qui je suis, sans savoir que je suis la Princesse Victoria Corinthia d’Alderrante, héritière du trône usurpé par le traître. D’un mouvement rapide je frappe en direction de l’oiseau qui bien que derrière la verrière, sursaute de cette attaque et s’envole.

  • Je reprendrai cette liberté par mes propres mains, dis-je tout bas, à moi-même.

Je me retourne alors et voit toutes mes servantes formant deux lignes distinctes, une haie d’honneur, Elise en tête. Mais qui dirait que ce sont des servantes. Toutes habillées de cuir noir et de mailles sombres, arborant pour seule touche colorée la fleur de sang sur leurs poitrines, armées et prêtes à mener la guerre qui me rendra justice.

Oui, je suis la Princesse, mais ce soir, je serai la Reine.

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