Une précieuse signature
✨ Sache que si tu essayes toujours d’être raisonnable, tu ne sauras jamais à quel point tu es incroyable.✨
― Et vous y êtes parvenu ?
Ren sourit au docteur Hamilton.
― Vous ai-je dis que mon frère est formidable ?
*
― Allez s’il te plait, tu pourrais faire ça pour moi non ?
― J’vais me faire tuer si je te la signe Renny !
― Allez Elie, ce n’est qu’une petite signature de rien du tout.
Il soupira en tirant sur sa cigarette déjà bien entamée. J’avais tout tenté : en rediscuter avec ma mère, plaider ma faveur auprès de mon père, en vain. Mon unique espoir reposait sur Eliott, plus enclin à m’accorder ce délit. Je n’aimais pas employer ce genre de méthodes dans le dos de mes parents et je savais que la punition qui m’attendait s’en resentirait. Mais le désespoir me motivait : il ne me restait que deux jours pour obtenir cette maudite autorisation.
Allongé de tout son long sur le canapé du jardin, Eliott semblait cogiter à ma demande tandis que je me tenais, papier et stylo en main, dans le fauteuil en rotin. Maman rentrait pour le dîner, il fallait donc que je le convainc le plus vite possible.
― J’endosserais la responsabilité, promis.
― Pourquoi tu le fais pas toi-même ?
Je le sondais du regard un instant. Il ne semblait pas contre l’idée, ce qui me fit sourire.
― Je n’ai jamais fait ça, ma signature ne sera pas convaincante, argumentais-je.
― Donc tu te dis que comme j’suis le vilain petit canard, j’ai déjà eu l’occasion de le faire.
― On sait très bien que tu l’as fait à plusieurs reprises…
― C’est pas faux, sourit-il à son tour.
Il se releva pour écraser sa cigarette dans le cendrier qui en débordait avant de tendre sa main. Je saisis volontiers sa perche d’un large sourire, lui confiant au passage tout le nécessaire. Il signa avec aisance, comme si c’était une simple formalité.
― Là, voilà ton autorisation signée par papa.
― Tu as imité celle de papa ? m’étonnais-je.
― Réfléchis deux secondes. Si tu te fais griller par maman, t’auras plus de facilité à convaincre papa de te couvrir parce que lui aussi sera dans la sauce.
Son coup de génie me laissa admiratif. On pouvait reprocher beaucoup de choses à Elie mais sa loyauté et son esprit stratège pour ce genre de conneries surpassaient toutes mes compétences, et de loin.
― Tu es un génie du mal, tu le sais ça ?
Il pouffa, me tapotant l’épaule comme un maître à son élève, un sourire fier illuminant son visage.
― En échange de ce service rendu, je te propose de faire mes devoirs de maths pendant un mois.
― Comment ?
― T’imagines bien que j’allais pas prendre des risques gratuitement.
Je contemplais l’autorisation signée. Un mois de devoirs de maths de Seconde, c’était largement à ma portée et peu cher payé au vu du service rendu. Je cédais.
Le lendemain matin, je m’empressais de donner les papiers à Madame Léonard avant les cours afin de confirmer mon inscription. Elle s’attarda quelque peu dessus, ce qui accéléra les battements de mon cœur ; s'était-elle aperçue de la supercherie ? Elle me jeta un coup d'œil avant d’afficher un sourire.
― C’est bien la première fois que votre père signe une autorisation, remarqua-t-elle. J’imagine que votre mère était très occupée.
― Oui, elle travaille beaucoup en ce moment.
J’étais surpris qu’elle ait remarqué un tel détail mais après tout, Eliott et moi l’avions eu durant toutes nos années de collège, et avec les bêtises à répétitions de mon jumeau, il était peu étonnant qu’elle connaisse la signature de ma mère par cœur.
― Ça me semble bon. Comme l’année dernière concernant la constitution de ton groupe ?
― Tout à fait. Même poste également, acquiesçais-je.
― Parfait. Si vous avez besoin de la salle, n’oubliez pas de me donner vos chèques de caution une semaine à l’avance.
― Entendu.
― Une dernière chose qui je pense vous intéressera : pour la première fois, le concert se déroulera en présence de musiciens professionnels. Si vous remportez leur vote, ils vous donneront accès à leur studio et pourront vous proposer d’enregistrer votre morceau. Qui sait, peut-être deviendrez vous leur prochaine coqueluche !
Là-dessus, elle m’adressa un clin d'œil complice. Une telle opportunité était une aubaine : nous avions remporté la compétition en juin dernier et étions prometteurs aux dires de nos professeurs. Alors pourquoi pas ?
Je m’empressais d’en informer le reste du groupe ce qui nous laissa extatiques pour le reste de la journée. On se retrouva le soir même dans le garage de Julien pour répéter. Son grand-père faisait des allers-retours entre son pick-up et la maison, les bras chargés de cartons d’où dépassaient des bibelots, des raquettes et autres vieilleries lorsque nous débarquâmes. Il nous salua d’un hochement de tête, nous indiquant que les deux frères nous attendaient déjà. Il les héla avant de retourner à sa tâche. Eliott lui proposa son aide, déjà prêt à se saisir d’un carton quelconque mais il refusa. Julien débarqua à son tour, talonné par Raph qui semblait plus rachitique que jamais dans son tee-shirt ample. Les deux nous accompagnèrent dans leur antre, et je ne pus que constater l’amoncellement de cartons dans l’entrée.
― Vous déménagez ? s’enquit Florian, l’air de rien.
Raph se décomposa tandis que Ju observa la pile d’un air défait.
― Non, le vieux emménage avec nous, répondit-il.
― Hey, qui traites-tu de vieux au juste ?
― Toi ! T’es notre vieux.
― Espèce de petit garnement, pour la peine tu feras à manger ce soir et la lessive ce weekend, c’est compris ?
― Oui, monsieur.
Le militaire posa son carton, donnant une tape dans le dos de Raph comme pour le réveiller de sa torpeur. Son silence depuis notre arrivée me perturbait. Ce n’était plus le même luron insouciant, c’était un Raphaël éteint, mutique et d’une maigreur qui en creusait les joues livides.
– Tu veux nous écouter ?
Julien s’adressait à lui sur un ton prudent, doux, comme s’il craignait de le brusquer. Pour toute réponse, son frère haussa les épaules. Il nous suivit pourtant jusque dans le garage aménagé qui n’avait pas bougé depuis nos dernières répétitions, à la différence peut-être qu’une fine pellicule de poussière recouvrait le lambris à la peinture écaillée qui tapissait les murs, et quelques taches douteuses imbibaient la moquette foncée. Le garage était ce repère constant que nous avions depuis l’année de la création de notre groupe, un endroit où nous étions libres, où l’on discutait de nos projets, où l’on refaisait le monde. Éclairé à la lueur de grands néons, il en émanait une odeur de bois d’un autre âge. Dans un coin trônait une impressionnante pile de boîtes à oeufs dont je m’amusais. Julien me fit remarquer qu’il aurait voulu isoler le garage avec des panneaux de mousse acoustique mais que ça coûtait trop cher alors il s’était rabattu sur la solution de fortune : des boites à oeufs. Il en avait déjà aposer quelques unes contre un pan de mur, derrière sa batterie, qu’il avait peintes d’un blanc brillant se fondant dans le décor. Raphaël s’installa toujours sans mot dire sur une commode patinée qui trainait dans le coin le plus au fond du garage, face à la batterie imposante qui dévorait les trois quarts de la largeur de la pièce. On l’observa se hisser sur le meuble, ses jambes pendantes dans le vide, le dos courbé et le regard absent. On se concerta brièvement sur le morceau qu’on répéterait - Somewhere I belong de Linkin Park - puis nous mîmes au travail.
La joie de retrouver nos instruments se mêla à notre enthousiasme face à la perspective d’être repérés à l’occasion du concert. Cela nous donna une telle motivation qu’il fallut au grand-père de nos deux amis de nous interrompre car il se faisait tard, pour que nous nous arrêtions. J’avais les doigts endoloris et à sang à force de gratter les cordes de ma guitare ; cela faisait longtemps que cela ne m’était pas arrivé. En rangeant nos instruments dans nos étuis, j’observais les mains d’Eliott, elles aussi rougies. Il intercepta mon coup d'œil et me sourit d’un air satisfait. Julien enjoignit son frère de nous filer des pansements mais je refusais. Si maman les apercevaient elle me ferait passer un interrogatoire que je risquais de ne pas oublier ; je rinçais donc simplement mes mains dans l’évier de la cuisine pour retirer le surplus de sang et priais très fort pour que mes cellules épithéliales se régénèrent rapidement. Avant de rentrer, je confiais à Julien mon instrument afin d’endiguer la possibilité de me faire prendre en flagrant délit par ma mère, ce qu’il accepta sans aucun mal.
Malgré notre retour tardif, nos parents ne nous questionnèrent pas davantage au moment de passer à table. Maman avait préparé une quiche au saumon qu’elle réchauffa au four quelques minutes. Je dissimulais au mieux l’état de mes doigts tandis que nos parents se servaient un verre de vin blanc, comme à leur habitude. Il était rare que nous dinions tous ensemble et cela s’en ressentit sur la conversation monotone qui rythma notre repas. Eliott raconta sa journée et les répétitions avec les gars en omettant habilement ma participation. Avec lui, j’étais assuré d’avoir la paix : il faisait la conversation pour deux et le faible intérêt que me portait ma mère en dehors de mes résultats scolaires me garantissait une tranquillité toute trouvée.
― Alice passera vous chercher demain, nous informa-t-elle en nous distribuant nos yaourts, j’ai une réunion qui risque de s’éterniser. Vous pouvez rester dormir chez Florian si vous le souhaitez.
On accepta sans rechigner ; il était rare qu’elle nous le propose de but en blanc, par habitude, lorsque nous rentrions seuls on lui demandait l’autorisation d’y aller pour occuper ces heures d’ennuis.
Épuisé, je me dépêchais de prendre ma douche et de me changer pour faire ma prière du soir, retrouver mes draps et un sommeil sans rêve.
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