Chapitre 7 : Les Syrus

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À la fin de la journée, je ressortis de l’atelier de clarosfène par la porte de derrière en riant avec Robin. J’avais malencontreusement failli emporter la veste grise avec moi. Je crois que j’aimais bien ce métier, je m’étais avérée plus douée que prévu au bout d’un moment, malgré mes piètres débuts qui avaient donné du fil à retordre à mon ami. Au moins trois fois je m’étais renversée du clarosfène fondu sur les mains, qui heureusement n’était plus très chaud, mais je réussis tout de même à produire entièrement la poignée de la porte en forme de marque page dont je fus plutôt fière. Oui, ça me plaisait bien finalement.

Robin et moi reprîmes le même chemin que ce matin et passâmes de nouveau à travers la foule du centre-ville, parmi laquelle nous nous faufilâmes, passant de grandes rues en ruelles et slalomant entre les immenses livres qui nous entouraient. Je tournai la tête un instant et aperçus entre deux bâtiments, les piliers du temple romain qui trônait au carrefour des quatre quartiers de la cité. Je me demandais ce que ça pouvait bien être et ce qu’il renfermait. De toute évidence c’était un lieu important vu sa situation géographique. Il me rappelait le Panthéon de Paris. J’étais déjà passée devant un nombre incalculable de fois, mais je me rendis compte que je ne m’y étais jamais vraiment intéressée. Le monument faisait tout bonnement partie de ma routine quotidienne lorsque je me rendais au lycée ou que j’allais faire des courses.

Je m’étais toujours dis qu’il n’avait rien d’exceptionnel, mais maintenant que je m’attardais sur ce majestueux temple, il se mit à me manquer et je me dis qu’en réalité je ne connaissais rien au Panthéon. Je ne connaissais même pas les grandes dames et grands hommes qui y reposaient paisiblement. Eux qui avaient tant apporté à l’évolution et la libération de notre pays, des héros pour certains, du peu que j’en savais. Je me promis alors d’en apprendre davantage sur ces personnes à mon retour. Si je parvenais un jour à rentrer.

Comme à mon habitude je m’étais à nouveau perdue dans mes pensées et avais ralenti le pas, ce qui fit intervenir ma chère maladresse et je me cognai dans une passante que je ne vis pas arriver en face de moi. Je fus déséquilibrée et faillis tomber à terre, mais elle me rattrapa par le bras avant que je touche le sol. Revenant à la réalité, je m’excusai et la remerciai, honteuse et elle me répondit qu’il n’y avait pas de quoi, faisant une moue mécontente. Elle me fixait de ses yeux bruns et serrait les lèvres en remettant en place son tailleur noir. Elle m’observa de bas en haut avant de froncer les sourcils.

-Je ne crois pas t’avoir déjà vue par ici jeune fille, dit-elle d’une voix stricte et sûr d’elle. Où travailles-tu ?

Je fus prise de court et ouvris la bouche sans savoir quoi répondre. Il fallait que je me reprenne, paraître naturelle, ne pas se faire prendre, ne surtout pas se faire démasquer.

-Je… je suis employée à l’atelier comme… créatrice, fut la première idée qui me vint à l’esprit. J’espérais que cette réponse la satisfasse et qu’elle ne cherche pas à en savoir plus.

-Mmm… une créatrice hein… tu devrais être plus habile que ça, me répondit-t-elle toujours aussi froide. Fais attention la prochaine fois, tu ne sais pas qui tu pourrais heurter.

Sur ce, elle se détourna de moi et reprit son chemin le plus naturellement du monde. Quant à moi, je la regardais partir ainsi, intriguée et doutant des intentions de cette femme qui paraissait si particulière. Elle regardait les passants avec un air de supériorité qui ne me plaisait guère et j’espérais intimement ne plus la croiser à l’avenir.

Je m’apprêtais à reprendre mon chemin et c’est là que je découvris mon nouveau problème. Robin ! J’avais beau observer tout autour de moi et courir entre les passants pour tenter de le rattraper, je ne le vis pas. Dans toute cette agitation il n’avait pas dû remarquer mon altercation avec la femme au tailleur et avait continué de marcher droit devant.

Je me retrouvais maintenant totalement perdue dans la cité de Christoval, ne pouvant retrouver seule le trajet jusqu’au nuage. Le labyrinthe de rues et de tunnels était trop complexe, aussi je me mis à errer dans le quartier des affaires en espérant tomber sur lui par hasard. Impossible de le retrouver. Je me retrouvais complètement abandonnée au milieu d’une ville inconnue et dangereuse. À plusieurs reprises j’hésitai à demander de l’aide à un habitant, mais chaque fois j’y renonçai, me rappelant les paroles de la femme de tout à l’heure « Fais attention la prochaine fois, tu ne sais pas qui tu pourrais heurter. ». Elle avait raison, c’était trop dangereux. Il suffisait que je m’adresse par erreur à un contrôleur et s’en serait finit de moi. Robin m’avait dit qu’ils n’étaient pas reconnaissables, ils portaient des vêtements ordinaires pour ne pas se faire repérer et pouvoir ainsi surveiller la population en toute discrétion.

Nous étions continuellement surveillés sans nous en rendre compte et cela me donna la chair de poule, ou peut-être était-ce seulement la température qui descendait avec la tombée du soir ?

Les rues se vidaient petit à petit et je finis par me retrouver presque seule au milieu des bâtiments livres. Toujours aucun signe de Robin. Je commençai à me demander s’il n’avait pas finalement décidé qu’il était trop dangereux de revenir me chercher et qu’il valait mieux me laisser à mon sort. Qu’allais-je faire à présent si c’était le cas ? Quand les gens remarqueraient ma perdition, les autorités viendraient me prendre et me dématérialiseront.

Je marchais le long d’une énième rue identique à toutes celles qui la précédaient et tournai la tête vers un petit passage qui partait sur la droite. Ce passage m’étant familier je décidai de m’y engouffrer et aperçus au bout ce que je cherchais. Un accès aux tunnels. Enfin ! J’allais peut-être réussir à retrouver le chemin pour sortir d’ici, du moins je l’espérais, même s’il y avait de grandes chances pour que je me perde encore plus à travers le réseau. Je me dis qu’au moins je ne serais plus à découvert. C’était déjà un avantage. Je descendis alors entre les fines parois argentées et commençai à m’enfoncer à l’intérieur.

Je parcourais les tunnels depuis à peine quelques minutes, lorsque j’entendis des sons. Des voix masculines résonnaient au fond du tunnel qui me faisait face et je me mis à frissonner. Je ralentis pour tenter de me rapprocher en silence et d’écouter ce qui se disait. Ils devaient être deux ou peut-être trois hommes et semblaient aux prises avec quelqu’un d’autre. Je pouvais voir leurs ombres se refléter sur la paroi opposée, qui s’agitaient. Ils étaient bien trois et tenaient une quatrième personne.

Un coup sourd résonna. Ils l’avaient frappé et commençaient à s’énerver. Je pouvais maintenant entendre distinctement leurs paroles et me colla au mur, comme pétrifiée.

-Arrêtes de t’agiter petit, tu ne fais qu’empirer ton cas ! s’écria l’un des trois hommes d’une voix grave et agressive. Tiens-toi tranquille le temps que notre ami revienne. Tu as compris ? Ça ne sert à rien de te débattre, tu vas te faire mal, c’est tout ce que tu vas gagner.

J’observais les ombres, vis la pauvre victime repliée sur elle-même et entendis un bruit de crachat, avant qu’elle tente de s’exprimer avec difficultés.

-Je… je ne vous laisserai pas faire… je ne me laisserai pas faire… je vous interdis de mes les prendre… ils m’appartiennent.

Je sentis soudain ma respiration se couper de surprise et me couvris la bouche pour m’empêcher d’émettre le moindre son. J’avais reconnu la voix saccadée du jeune homme qui se faisait agresser, c’était Robin, il n’y avait aucun doute. Je me laissai tomber au sol et me recroquevillai contre la paroi, toujours hors de vue des trois hommes. J’étais complètement terrifiée et n’avais pas la moindre idée de ce que je pouvais faire. Il fallait que je l’aide, il avait besoin de mon aide, mais que pouvais-je faire face à eux ? Je n’étais qu’une petite adolescente frêle et paniquée. Pourtant je me devais d’agir où ils risquaient de le tuer pour de bon. Que pouvaient-ils bien lui vouloir ?

Je pris alors mon courage à deux mains et fis la chose la plus stupide et la plus courageuse que je n’eus jamais faite de ma vie. Je me levai en tremblant, inspirai un bon coup et avançai vers les ombres. Je me dirigeai vers eux et finis par me retrouver totalement exposée. Je vis les trois hommes, tous adultes, portant d’effrayants masques noirs hérissés de pics brillants, sûrement fait en clarosfène. Ils étaient debout en cercle autour de mon ami, qui gisait au sol, du sang coulant de sa bouche et le visage salement amoché. Lorsqu’il me vit m’approcher il fut pris d’effroi et me cria :

-Non, non ! Je t’en prie vas t’en ! Enfuis-toi vite ! Ne t’occupes pas de moi Aélys ! Je t’en supplie part d’ici !

Je ne bougeai pas d’un poil et continuai d’avancer tandis que les trois agresseurs se tournaient vers moi, surpris par cette intervention imprévue. Je puisai en moi toute la détermination que je pus trouver et tentai de prendre un air assuré pour leurs parler.

-Laissez-le partir s’il vous plaît. Relâchez-le, il ne vous sera utile en rien du tout je vous assure. Pourquoi vous le maltraitez comme ça ?

Seulement ce ne fut pas l’un des agresseurs qui répondit, mais une cinquième personne que je n’avais pas entendu arriver dans mon dos.

-Tiens tiens, deux prises ce soir, vous avez assuré les gars, dit l’homme manifestement satisfait du comportement de ses camarades.

Je me retournai et vis qu’il portait le même masque noir à pics et s’avançait dangereusement vers moi. J’étais coincée.

-Celle-là elle vient à peine d’arriver. Elle est sortie de nul part et ose nous demander de relâcher son copain, s’amusa l’agresseur le plus loin de moi, qui tenait l’épaule droite de Robin.

L’homme qui venait d’arriver se mit à rire à son tour et me fixa avec intérêt.

-Charmant. Et qui es-tu ma belle pour avoir l’audace de t’opposer aux Syrus ? Un contrôleur peut-être ? s’adressa-t-il à moi avec une voix mielleuse qui ne lui allait pas du tout.

Je demeurai tétanisée et me reculai contre la paroi avant de lui répondre.

-Non je ne suis pas un contrôleur. Je veux seulement comprendre ce que vous voulez à mon ami et vous empêcher de lui faire plus de mal que ce qui a déjà été fait.

-Arrêtes je t’en prie Aélys, n’aggraves pas les choses…, intervint Robin avec désespoir.

-Laisse-la voyons, répliqua l’homme qui se rapprochait de moi. Cette jeune fille m’a l’air fortement intéressante, mais pardonnes-moi pour ce terme, également un peu naïve. Que crois-tu pouvoir faire exactement ?

-Bon dépêches-toi Carl ! l’interrompit l’un des agresseurs qui n’avait encore rien dit jusqu’ici. Ça fait déjà trop longtemps qu’on stagne, il faut se dépêcher.

-Mm… tu as raison, dit-il en se détournant de moi pour rejoindre ses compagnons auprès de Robin.

-Tu as les capteurs ?

-Évidemment que je les ais. Tu me prends pour un incapable ?

L’homme sortit de sa poche un petit instrument métallique, une spirale qu’il colla à la tempe gauche du garçon, qui ne parvenait plus à se défendre. J’aurais voulu les empêcher d’agir, mais une fois de plus je restai bloquée dans ma peur et je savais pertinemment que je n’avais aucune chance contre eux.

-Je vous en prie ne faites pas ça ! Ne lui faites pas de mal ! m’écriai-je dans une dernière tentative pacifique.

Ils ne me prêtèrent pas la moindre attention et l’homme sortit de sa poche une seconde spirale, qu’il colla à sa propre tempe. Il posa deux doigts sur celle du jeune garçon et les deux « capteurs » s’illuminèrent d’une lueur blanche. Je vis les yeux de Robin se révulser et il se mit à convulser, comme s’il se faisait posséder par une entité démoniaque. J’assistais au spectacle avec horreur, jusqu’à ce que la lueur blanche s’éteigne et que l’homme déconnecte les deux spirales. Il paraissait essoufflé, comme si cette pratique lui avait demandé un grand effort physique. Ayant apparemment obtenu ce qu’il désirait, il se leva et rangea les spirales, tandis que les autres relâchaient leur pression sur Robin.

-Parfait. Les souvenirs du fils d’Edmond Coronas, on ne pouvait pas rêver mieux, annonça l’homme avec entrain.

-Et pour la fille ? Qu’est-ce-qu’on fait d’elle ?

-Elle n’est pas sur la liste. Elle ne nous sera d’aucune utilité, répliqua-t-il d’un air de déception écœurant. Quel dommage…

Il m’observa encore un instant, puis repartit dans le tunnel par lequel il était arrivé, suivi des trois autres agresseurs masqués.

J’attendis qu’ils se soient assez éloignés avant d’esquisser un mouvement et de reprendre mon souffle. Les larmes aux yeux, je courus vers Robin et me laissai tomber au sol pour lui soulever la tête et examiner ses blessures.

-Oh mon dieu Robin est-ce-que ça va ?! Je suis tellement désolée ! Je ne savais pas quoi faire, lui dis-je en sanglotant.

Il se redressa comme il put et me sourit, un fin filet de sang coulant encore de sa lèvre. Je le pris dans mes bras et enfouis ma tête dans son cou chaud, heureuse de le retrouver sain et sauf.

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