Chapitre 11 : Le plan

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Lorsque Robin passa la porte du nuage, je bondis de mon perchoir avec précipitation et accouru à l’entrée pour le voir arriver et refermer la porte derrière lui.

-Robin ! Enfin tu es là ! Il faut absolument que je te parle, lançai-je avec détermination.

Il tourna la tête dans ma direction et adopta un air intrigué quand il vit mon agitation. Je me mis à parler rapidement et confusément, en faisant des allers-retours entre le salon et la cuisine et baladant mes bras en de grands gestes, dans tous les sens, ce qui le fit froncer les sourcils. Je tentai de lui expliquer ce que j’avais découvert grâce à sa mère, mais je mélangeais les informations, oubliais des éléments et en intégrais d’autres qui n’étaient pas utiles. Je mentionnais les rayons du soleil et la lumière blanche de l’écran avant de me rendre compte que cela n’avait aucun rapport et repris au souvenir de l’hôpital, ce qui acheva de désorienter Robin. Il me fit répéter à plusieurs reprises mon histoire depuis le début, afin d’être sûr d’avoir bien tout compris.

-Attends, tu es en train de me dire que j’aurais perdu un souvenir où mon père évoquait des informations d’une importance capitale au moment où je me suis fait agressé par les Syrus ? s’écria-t-il en marquant une pause d’un air de dégoût lorsqu’il évoqua le nom des chasseurs. Et c’est ma mère qui t’a raconté tout ça? il ajouta en insistant sur chaque mot, comme s’il eut peur d’avoir mal interprété ce que je lui avais dit.

-Nous n’en sommes pas sûr, répliquai-je après m’être assise sur une chaise pour tenter de retrouver pleinement mes esprits. A priori tu ne possèdes plus ce souvenir donc il y a de quoi douter. Mais il est possible aussi que tu ne l’ais jamais enregistré dans ta mémoire.

Robin se frottait nerveusement le menton, la bouche légèrement entrouverte et regardait dans le vide en faisant les cents pas devant la porte d’entrée. Au bout de quelques secondes, il vint s’asseoir sur une chaise en face de moi et passa sa main dans ses cheveux, la laissant immobile un instant dans son cuir chevelu avant de la retirer et de relever la tête.

-OK, dit-il le plus simplement du monde. Rappelles-moi comment tu en es venue à parler avec ma mère ? me demanda-t-il soudainement.

Je soupirai et levai les yeux au plafond. Ce n’était vraiment pas le détail le plus important et je désespérais de voir le manque de réaction de Robin. Aussi je lui répondis honteusement :

-J’ai… j’ai glissé sur ma couette et fais tomber l’écran… de ta mère. Mais elle va bien, ne t’en fais pas. Par contre si les Syrus ont réellement récupéré ce souvenir, je pense que plus personne dans cette ville n’ira bien dans très peu de temps et je crois que ça devrait être notre priorité maintenant. Non ? enchaînai-je.

Je me surprenais moi-même à exprimer autant de détermination à vouloir agir pour le bien commun, ce qui n’avait jamais été vraiment ma préoccupation auparavant. En revanche, j’étais consternée par l’attitude de Robin, qui semblait étrangement insensible à la situation. On aurait dit qu’il avait perdu son irrépressible envie d’aider la terre entière et d’œuvrer pour un monde meilleur. Il nageait complètement dans le vague. Je me mis à le regarder fixement et claquai des doigts devant son visage passif. Il esquissa un mouvement de tête en arrière et cligna des yeux plusieurs fois d’affilé avant de se les frotter, comme s’il venait de se réveiller d’un long sommeil.

-Robin tu as entendu ce que je t’ai dit ? Qu’est-ce-qui t’arrive ? Tu as l’air complètement ailleurs, l’interrogeai-je, perplexe.

-Ça va, ça va, excuses-moi. Je suis juste fatigué, j’ai passé une sale nuit et ça fait pas mal à encaisser de savoir que tout le système risque d’être renversé à cause de moi tu vois.

Il avait d’un coup l’air réellement bouleversé, mais ses yeux rougis me disaient qu’il n’y avait pas que ça.

-Bienvenue dans mon quotidien, lâchai-je tristement. Tu sais, je comprends que ça doit être dur. Tu as déjà perdu ton père et rien que d’imaginer ce que ces… abominables personnes pourraient faire de tes derniers souvenirs le concernant… l’idée qu’ils puissent pervertir tous ses principes…

Robin m’arrêta d’un mouvement de la main et ferma les yeux un instant. Il les rouvrit et tapa du poing sur la table avant de se lever en repoussant violemment la chaise sur laquelle il était assis.

Je sursautai et l’observai avec intérêt. Il avait totalement changé d’expression et c’était à présent de la colère qui se dessinait dans les traits de son visage. Son regard brillait d’une flamme bleue de détermination et d’un sentiment que je ne lui avais encore jamais vu, celui du désir de vengeance. De sous cette flamme, sortirent les paroles que j’attendais de sa part.

-C’est toi qui as raison Aélys. Nous devons faire quelque chose. Il est hors de question que les Syrus se servent des plans de mon père pour arriver à leurs fins. Nous allons agir, maintenant, annonça-t-il d’un ton ferme.

-Nous ? soulignai-je avec un sourire en coin que je ne pus réfréner.

Il me sourit à son tour, retrouvant la douceur que j’appréciais tout particulièrement chez lui.

-Oui, cette fois tu viens avec moi. Nous allons sauver Christoval, tous les deux.

-Je suis toujours un danger ambulant Robin et je ne suis pas sûr qu’Enora soit d’accord avec cette idée, lui rappelai-je.

-Heureusement qu’elle n’est pas là alors, n’est-ce-pas ? Et je trouve que tu es restée enfermée bien trop longtemps.

Robin me tendit la main. J’hésitai à le suivre à l’extérieur. Je pouvais attirer encore bien des malheurs, mais quand je repensai à mes angoisses d’ombres qui me suivent et de marches d’escaliers à l’agonie, je ne pus résister à l’appel de l’aventure. Je pris la main de mon ami, me levai et il m’entraîna hors du nuage.

Pour la première fois depuis des semaines, je ressentis à nouveau le plaisir intense de déambuler à l’air libre, dans les étroits passages de la cité, parmi les habitations aux formes spectaculaires. Je me sentis revivre et remplie d’une joie immense. Je courus à travers le quartier du ciel, fendant la légère brise qui nous recouvrait comme un voile invisible. Je sentis soudainement toutes mes peurs me quitter, au moins temporairement. Elles restaient en arrière, dans l’ombre, alors que j’avançais maintenant dans la lumière.

Robin et moi atteignîmes l’entrée des tunnels, dans lesquels nous nous engouffrâmes avec une pointe d’appréhension, redoutant de croiser à nouveaux les chasseurs de souvenirs. Mais désormais plus rien ne nous arrêterait. Nous devions aller au bout des choses et empêcher les bombes que nous avions semées d’exploser. J’étais si heureuse de retrouver ma liberté que je n’avais même pas pris la peine de demander à Robin notre destination. Je lui faisais aveuglément confiance et le suivais à travers ce labyrinthe d’argent tel le marin ou le berger suivait sa bonne étoile. Cependant je m’interrogeais tout de même sur le but de cette course effrénée.

J’en profitai pour le questionner lorsque nous ralentîmes le pas à la sortie des tunnels.

-Au fait Robin, tu ne m’as pas dit où nous allions, lui demandai-je en essayant de reprendre mon souffle.

Il surveillait le passage à un coin de rue et se retourna vers moi.

-Nous allons confronter le gouvernement de Christoval ! s’écria-t-il joyeux.

-Comment ? répondis-je plus fort que prévu.

-Chut ! s’empressa-t-il de répliquer. Parles moins fort ! Tu es en territoire dangereux je te rappelle.

-Désolée, je me mis à chuchoter. Qu’est-ce-que tu entends exactement par « confronter » ?

-Il faut absolument les prévenir du danger que nous courons et les confronter à leur propre faille, s’ils connaissent bien son existence.

-Mais nous ne savons même pas ce qu’est cette faille ! Tu penses vraiment qu’ils vont nous croire ?

-Il faudra bien et c’est aussi pour ça que je t’ai emmené avec moi. En cas de problème, tu as toujours la conversation avec ma mère en mémoire. C’est au temple qu’ils ont créé les capteurs de souvenirs et je suis persuadé qu’ils en ont encore en stock.

Je finis par comprendre quel était mon véritable rôle dans cette histoire. J’étais la preuve. La preuve qu’il leurs faudrait si nos mises en garde ne se montraient pas fructueuses. Ma mémoire renfermait des informations capitales, malgré les précautions prises par la mère de Robin pour m’impliquer le moins possible. J’étais peut-être à présent la seule à disposer de cette information du côté des « gentils ». Il était donc de mon devoir de la transmettre. Robin n’était en réalité que mon garde du corps et me servait de guide pour atteindre notre objectif.

Il me fit signe que la voie était libre et nous nous engageâmes dans une gigantesque avenue bondée de monde, une des quatre qui entouraient l’imposant temple grecque que je me plaisais à admirer lors de ma dernière sortie en ville. Nous nous trouvions à la frontière entre le quartier du ciel et le quartier artistique comme je l’appelais, avec ses bâtiments aux formes extravagantes de vagues, de visages et autres silhouettes extraordinaires. Nous nous glissâmes dans la foule qui peuplait l’avenue et avançâmes en direction du monument central, qui prenait de plus en plus de hauteur à mesure que nous nous en rapprochions, prêts à faire face aux plus hauts dirigeants de la cité.

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