Fille ou garçon ?
- Fille ou garçon ?
- Garçon.
- Et pour la couleur des yeux ?
- Bleus.
- Cheveux ?
- Bruns
- Corpulence ?
- Grand, mince et musclé. Beau, en somme.
- Orientation sexuelle ?
La question me désorienta. Je n’avais pas pensé à cet “aspect” là. Je jetai un coup d’oeil à Mathilde, elle me sourit, on s’était compris.
- Hétérosexuel.
- Très bien. Enfin, je veux dire… Je ne juge pas. Je prends note de votre souhait.
L’homme en blouse joignit le geste à la parole et tapa sur son clavier. Il releva la tête, nous fixa pendant quelques secondes et reprit.
- Voilà, vous avez choisi les paramètres physiques de votre futur enfant. Sachez que nous pouvons également influencer ses caractéristiques psychologiques. Avez-vous un souhait particulier ?
Mathilde répondit quasi-immédiatement, comme si elle avait déjà anticipé cette question.
- Il devra être intelligent et équilibré émotionnellement, bien sûr. Et surtout, j’aimerais qu’il ait un don. Est-ce possible ?
- Tout est possible, Madame.
Je ne pus m’empêcher d’intervenir, intrigué. Nous n’avions jamais parlé de cela.
- Un don ? Lequel ?
- J’aimerais qu’il ait l’oreille absolue. Qu’il soit un grand pianiste reconnu. J’aurais tant aimé en faire mon métier, j’étais assez douée quand j’étais plus jeune, mais la vie en a voulu autrement. J’ai toujours eu ce regret, et ça me hante profondément aujourd’hui…
- Ah bon, je ne savais pas… Pourquoi ne m’as-tu jamais parlé de ça, ma chérie ? Tu sais que tu peux tout me dire…
- Eh bien voilà, je le dis maintenant, il fallait bien que ça sorte un jour ! Mon désir d’enfant fait resurgir beaucoup de choses enfouies en moi, en ce moment… Comment pourrais-je être heureuse si je les ignore ?
Elle baissa les yeux et se mit à sangloter. J’étais triste pour elle, mais également un peu vexé. Elle n’avait jamais évoqué devant moi cette passion pour la musique, cette frustration qui avait découlé de la non-réalisation de son rêve, et ce besoin de compenser avec notre futur enfant. Moi qui pensais qu’elle était heureuse et comblée, je me sentais stupide de découvrir cela après vingt ans de mariage. Et elle se confiait à un homme qu’elle ne connaissait pas, en plus !
Je tâchai de ne rien dévoiler de mes sentiments mais je n’en pensais pas moins. Enfin, nous n’étions pas là pour faire une psychanalyse mais pour concevoir notre progéniture. Je mordis sur ma chique.
- Professeur, est-ce que le souhait de ma femme est réalisable ?
- Bien sûr, je vous l’ai dit, tout est possible.
- Parfait !
- Mais bien sûr, votre demande a un coût.
- Évidemment. Combien ?
- 1 million d’euros.
- Pardon ?
- 1 million d’euros.
Ce montant était clairement hors budget.
- C’est que… C’est hors de nos moyens…
- Et quels sont-ils, vos moyens ?
Je n’avais pas aimé ce ton condescendant mais encore une fois, mon fils passait avant.
- 50 000 euros.
- Ah… C’est embêtant, ça. Dans ce cas, nous pouvons raboter sur certaines caractéristiques, comme l’oreille absolue…
Mathilde le coupa.
- Hors de question !
- Ou alors… Nous pourrions ne pas intervenir pour empêcher l’apparition de certaines maladies congénitales… Dans ce cas, votre enfant souffrirait d’asthme, d'allergie au pollen et d'intolérance au lactose, comme Monsieur. Mais je vous le déconseille. L’économie que l’on réaliserait serait à peine compensée par les pénalités imposées par la loi lorsque nous laissons passer des maladies dans le génome des nouveaux-nés...
- Il n’y a pas de solution, alors ?
- Il y en aurait bien une, mais…
- Nous sommes prêts à tout !
- Bon. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il existe un plan gouvernemental appelé “Programme de Purification Nationale”. Il a pour objectif de rendre la population meilleure d’un point de vue génétique. Bien entendu, notre entreprise participe activement à ce projet grâce au processus de sélection prénatal auquel vous avez décidé de souscrire pour votre futur enfant.
Le professeur me regarda fixement, puis se tourna vers son écran. Il cliqua plusieurs fois et sourit.
- Nous avons analysé le dossier de Monsieur. Je l’ai devant moi. Monsieur, vous souffrez de deux maladies congénitales majeures : le diabète et l’asthme. Ce n’est pas votre faute, vous avez été conçu de manière “traditionnelle” : vos parents n’avaient pas accès à notre technologie. Ils n’ont pas pu choisir le meilleur pour vous. De plus, vous êtes fumeur et consommez de l’alcool, mais cela, vous l’avez choisi. En conséquence, vos organes sont dans un état très médiocre. En d’autres termes, à cause de votre comportement et de vos anomalies génétiques, les dernières années de votre vie risquent de coûter cher à notre système de santé, et donc à la société. Ajoutons enfin que vos tests de QI et vos évaluations psychologiques attestent d’une personnalité très commune, voire inférieure en beaucoup de points à la majorité de nos concitoyens. Je vais parler crûment, mais vous n’êtes pas exactement un élément moteur de notre société, Monsieur, vous comprenez ?
Cet homme était odieux, je sentais la moutarde me monter au nez. Je m’apprêtais à lui mettre mon poing dans la figure, quand Mathilde intervint.
- Continuez, professeur.
- Très bien, Madame. Monsieur représente donc à lui seul un coût potentiel majeur pour la société, alors qu’il n’y apporte que très peu. Bon… Imaginons que nous supprimions ce coût, nous pourrions alors rentrer dans le budget grâce à des subventions de l’État.
J’étais interloqué.
- Pardon, mais… Que voulez-vous dire par « supprimer ce coût » ?
- Eh bien… Il s’agit de ne pas faire supporter les conséquences de votre vieillissement à notre système de santé.
- Attendez, vous voulez dire que je dois... renoncer à ma vie ? Me suicider ? C’est ça ?!!
- Vous utilisez des mots très durs, Monsieur. Il faut voir les choses autrement. Il ne s’agit pas de renoncer à votre petite vie, mais d’offrir une vie parfaite à votre fils. C’est un geste noble.
- Mais c’est complètement stupide ! Viens, chérie, arrêtons cette mascarade et rentrons à la maison !
Mathilde resta sur sa chaise, tandis que je m’élançai vers la porte. Elle se tourna vers moi, et me dit, avec le plus grand calme.
- Mon amour, il faudrait peut-être considérer la proposition du professeur avec plus de sérieux… Tu n'as pas dit que tu veux le meilleur pour notre enfant ?
- Si, mais...
- Quel cadeau incroyable ce serait de donner ta vie pour ton enfant ! Le professeur l’a dit, ce serait un geste noble et beau !
- Mais…
- Ah, j’ai compris, tu es donc médiocre et égoïste au point de ne pas vouloir sacrifier ta propre vie pour celle de ton enfant ?
- Mais ma chérie… Moi, nos vingt ans de mariage, tout ça, ça ne compte pour rien ?
Mathilde hésita. Je venais de marquer un point. Enfin, je le croyais, car elle répliqua.
- Justement, le jour de notre mariage, tu m’as dit que tu ferais tout pour me rendre heureuse… Jusqu’ici, on ne peut pas dire que c'est une réussite, tu le vois bien. Mon bonheur passe par notre fils. Ne me déçois pas encore une fois…
J’étais stupéfait, je ne savais pas quoi répondre à ça. En quelques minutes, je venais de comprendre que mon épouse n’était pas heureuse en ménage, que je la décevais, et qu’elle était prête à me laisser mourir pour avoir un enfant parfait. Et tout ce déballage avait eu lieu devant un odieux personnage en blouse blanche. Je venais de me prendre une vraie claque. J’étais groggy, KO debout. Je ressentis une profonde lassitude, et une envie irrépressible de tout plaquer. Ma vie venait de perdre son sens. Après tout, c’était peut-être le moment de lui en donner un.
Mécaniquement, je me tournai vers le professeur.
- Très bien, où doit-on signer, et comment va-t-on s’y prendre ?
Mathilde me regardait : je ne l’avais jamais vue si heureuse.
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