Révolte en Gaule
La nuit était tombée et il faisait plus froid que durant les maussades journées gauloises. En cette fin d’October de l’an 721 Ab Urbe Condita, le legatus legionis Tiberius Aquilius Bellius, vétéran de la guerre des Gaules, avait quitté le confort de sa villa. Il commandait depuis près d’un mois une légion dont le camp était situé en Gaule belgique. Dans sa tente personnelle, il admirait religieusement l’enseigne, le long bâton surmonté d’une représentation d’aigle, symbole de l’honneur de la légion et de la toute-puissance de Rome. Tandis qu’il se réchauffait dans sa fourrure de loup, assis sur son lit de camp, un soldat au casque orné d’une crinière rouge entra. Un guerrier torse nu et barbu, portant des braies, l’accompagnait, les poings liés. Malgré la faible lumière de sa lampe à huile, Aquilius reconnut le premier homme, son fidèle tribunus Publius Servilius Catulus, le secondant au commandement de la légion. Ce dernier salua son supérieur en se frappant le côté gauche de son plastron, geste que lui rendit le legatus.
— L’une de nos patrouilles a été prise en embuscade par un groupe d’insurgés, dit le tribunus. Même si ces derniers se sont rapidement réfugiés dans la forêt, nous avons capturé celui-ci.
S’approchant du prisonnier, Aquilius fut surpris de voir que l’homme aux cheveux et à la barbe finement travaillés ne correspondait pas à l’image du barbare négligé qu’il se faisait des peuples celtiques. Ce prisonnier restait cependant l’un de ces sauvages qui s’attaquaient aux grands domaines et garnisons romaines depuis plusieurs semaines. Le dévisageant de son regard perçant, Aquilius lui parla avec un mépris non dissimulé :
— Même si tu connais un minimum notre langue, je suppose que tu ne nous révéleras jamais où se trouve la « Louve des Ardennes ».
La « Louve des Ardennes », tel était le surnom de la druidesse illuminée qui, profitant des troubles de la guerre civile à Rome, incitait des tribus gauloises à se soulever contre les Romains, créant ainsi un climat d’insécurité et de terreur. Pour seule réponse, le Gaulois émit un grognement, tel un chien prêt à mordre.
— Je m’en doutais ! s’exclama Servilius. Que pouvions-nous attendre d’un sauvage vivant au milieu de la forêt ?
— Eh bien, nous verrons si ses arbres sacrés le rendront plus bavard.
Sur ordre du legatus, le prisonnier fut conduit au pied d’un grand chêne se trouvant à l’extérieur du camp. Tandis que deux soldats maintenaient le barbare contre le tronc, un autre s’approcha avec un maillet et deux gros clous en bouche. Le légionnaire en prit un et l’enfonça avec son maillet dans le poignet du Gaulois qui poussa un cri atroce, s’intensifiant au fur et à mesure que le clou s’enfonçait dans sa chair. Le légionnaire en fit de même avec l’autre poignet tandis qu’Aquilius regardait le prisonnier gémir et souffrir. Celui-ci s’avança vers le prisonnier et le fixa, tel un aigle contemplant la proie qu’il tenait dans ses griffes.
Le Gaulois émit des râles de souffrance et serra les dents tout en dévisageant l’officier avec haine et détermination. Comprenant qu’il ne parlerait pas, Aquilius se tourna vers un légionnaire, tenant un flagrum, ce fouet à courte manche doté de plusieurs lanières en cuir reliées à des boules de plomb. Celui-ci s’avança vers le crucifié et lui fouetta la poitrine, lui arrachant un hurlement suivi d’un gémissement. Il le frappa de nouveau avec une telle agressivité que les coups des multiples lanières déchirèrent la peau du prisonnier laissant des lacérations sanguinolentes. D’un geste de la main, Aquilius fit stopper la torture, prit la tête tombante du guerrier par la mâchoire et la redressa vers lui.
— Julius Caesar racontait que parmi les nombreux peuples de la Gaule, le tien était le plus brave. Tu as su faire preuve de courage en survivant à ce supplice qui aurait tué le meilleur de mes hommes. Cependant, tu dois avoir une famille à laquelle tu tiens.
À ces mots, le Gaulois fixa l’officier romain et lui adressa un faible grognement avec colère et agressivité.
— Je m’en doutais ! J’ai beau ne pas connaître ton nom, je peux emprisonner et exécuter n’importe quelle personne de ta race rien que pour soupçon de collaboration avec la rébellion. Si tu me dis où se trouve cette femme, j’épargnerai les tiens.
Puisant dans ses dernières forces, le supplicié émit un murmure. Aquilius tendit son oreille pour bien comprendre.
— Qu’a-t-il dit, legatus ? demanda le tribunus.
— Envoyez des speculatores au cœur de la forêt d’Arduinna à la recherche d’une pierre levée, répondit Aquilius en se tournant vers son second. Elle nous mènera vers le lieu où se cache cette vipère pratiquant des rites immondes dans les bois.
— Et le prisonnier ? Qu’allons-nous en faire ?
— Il restera cloué là où il est pour l’exemple et afin d’éviter qu’il s’enfuie et prévienne ses complices !
Tandis que ses hommes rentraient au camp, Aquilius s’arrêta devant les portes, se retourna et regarda le guerrier agonisant cloué à l’arbre. Dans le silence d’une nuit sombre et profonde, un bruit de végétation broyée et une respiration se firent entendre. Malgré la douleur, le crucifié tourna la tête des deux côtés et vit deux silhouettes de loups apparaître derrière les arbres et s’approcher de lui, attirés par l’odeur de son sang. Apeuré et impuissant, le Gaulois se mit à trembler de plus en plus au fur et à mesure que les loups s’avançaient. Ces derniers grognèrent, prirent leur élan et l’un d’eux bondit pour mordre le ventre du crucifié. Le deuxième loup l’attaqua au mollet et les prédateurs le dévorèrent sous le regard d’Aquilius. L’arrivée des loups était un signe : la bête qui avait nourri Remus et Romulus, les fondateurs légendaires de la Cité, détruirait les ennemis de la République.
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