Il faisait déjà presque nuit quand Khalil tourna la clé dans la serrure du rideau de fer qui protégeait les vitres de la boutique des intrusions nocturnes. Avec un soupir de soulagement, il se dirigea vers sa moto garée pas très loin, un peu plus haut dans l’allée. Il envoya un texto à Mana avant de refermer le clapet de son casque et d’enfourcher son fidèle destrier : “Je suis là dans quinze minutes”. Il attendit quelques secondes, espérant que sa charmante épouse ait déjà pris connaissance de son SMS. Mais Khalil fourra très rapidement et non sans déception le téléphone dans la poche cargo de son pantalon.

Sa moto filait rapidement sur les rues embouteillées de la capitale. Alors qu’il progressait en slalomant entre les automobilistes agacés, la pensée de retrouver Mana après cette journée de travail éreintante lui arracha un sourire. Elle serait sûrement en train de danser sur de la Pop acidulée, remuant des pâtes dans de l’eau frémissante. Il le savait déjà parce qu’il la connaissait par cœur, elle et ses habitudes ancrées dans le marbre. Mana était une femme prévisible, dont la vie était rythmée par les mêmes rituels et habitudes. Les soirs où Khalil assurait la fermeture, c’était pâtes carbo.

Khalil finit de remonter l’avenue de Choisy, puis bifurqua dans une ruelle où il gara sa moto. Une fois son casque retiré, il checka de nouveau son téléphone. Mana était visiblement trop occupée à danser, car elle n’avait pas encore lu son message. Où alors elle s’était encore brûlée avec l’eau de cuisson des pâtes. Il sourit d’amusement à cette idée, puis sortit petit paquet compact du compartiment situé à l’arrière de sa moto avant de s’empresser de pénétrer dans un immense immeuble. Ils vivaient déjà depuis cinq ans dans un petit appartement confortable situé à l’avant-dernier étage. Ils avaient emménagé en plein treizième arrondissement de Paris juste après leur mariage. C’était Mana qui avait choisi. “La lumière peint les murs, ici”, avait-elle simplement d’argumenté. Et comme Khalil était fou de Mana, il s’en était contenté.

L’amoureux transi tourna les clés dans la porte d’entrée. Celle-ci émit un gémissement plus sinistre qu’à l’accoutumé. L’appartement était d'ailleurs inhabituellement sombre. Mana laissait pourtant toujours toutes les lumières de l’appartement allumées. Elle devait sûrement dormir. Khalil appuya avec douceur sur les interrupteurs du couloir d’entrée, puis du salon, et enfin de la cuisine. Aucun ustensile de cuisine n'avait été utilisé. Rien dans l’évier non plus. Pas de pâte carbo en vue.

Khalil s’apprêta à appeler Mana de la cuisine, mais il se ravisa rapidement. Il ne voulait pas la brusquer si jamais elle dormait. Sa femme pouvait se montrer assez agressive si elle était surprise en plein sommeil. Alors il longea doucement le long couloir qui réunissait le salon et leur chambre à coucher. Il appela Mana une nouvelle fois. Pas de réponse. Surpris, il alluma la lumière. Les ténèbres de la chambre furent rapidement chassées par la lumière mordorée émise par l’unique ampoule de la pièce. Khalil fut encore plus surpris quand il vit un lit vide. Enfin, presque vide. Sur le couvre-lit crème trônait solennellement une feuille pliée en deux.

Khalil s’approcha, inquiet. Tout cela était bien trop inhabituel. Quand il saisit la feuille du bout des doigts, il put lire dans l’écriture élégante de Mana son prénom. Mais c’est en dépliant nerveusement la feuille et en y lisant les quelques mots qui y étaient écris que la panique le saisit.

“Ne me cherche pas”.

Le sang de Khalil ne fit qu’un tour. Il laissa tomber la feuille qui rejoignit le parquet dans un virevoltement gracieux, et saisit brusquement son téléphone.

Il appela, et appela encore. Rien. Seulement cette phrase prononcée en boucle par cette voix métallique et impersonnelle : “Le numéro que vous avez appelé n’est pas attribué. Votre appel ne peut aboutir”.

C’est à cet instant que le monde de Khalil s’effondra.