Chapitre 2 : J+3
“ Elle n’a pas pu disparaître comme ça, tenta de rassurer Susanna. Tu as posé des questions à son père ? Et à sa sœur ? Quand est-ce qu’ils l’ont vu pour la dernière fois ?
_ Mais oui, maman, répondit Khalil agacé. J’ai appelé toute sa famille. Ils sont tout aussi surpris et déroutés que moi. Ils ne comprennent pas comment elle a pu disparaître du jour au lendemain !
_ Comment ne peuvent-ils pas être au courant ? C’est sa famille, bon sang ! Je n’arrive pas à concevoir que personne n’ait une idée de où elle se trouve, ou de ce qu’elle fait…
Khalil prit sa tête dans ses mains. Il était épuisé. Cela faisait trois jours et deux nuits qu’il ne dormait plus. Il avait ressassé et repassé des centaines de fois dans son esprit les dernières vingt-quatre heures qu’il avait passé avec Mana. Ils s’étaient levé tôt comme à leur habitude. La boutique de fleurs ouvrait à neuf heure, et ils devaient y être à sept heures tapante afin de réceptionner la livraison de fleurs. Ils avaient pris leur petit déjeuner ensemble : des toasts beurrés recouverts d’une épaisse couche de miel de lavande. Puis ils avaient dansé sous la douche, avant de se sécher en quatrième vitesse car ils s’étaient mis en retard. Mana avait réunie son épaisse chevelure frisée dans un chignon bas négligé, et enfilé une salopette en toile verte. Ils avaient tous les deux dévalé les marches des escaliers quatre à quatre en riant car ils ne pouvaient pas se payer le luxe d’attendre que l’ascenseur monte jusqu’au dixième étage. Mana était ensuite montée à l’arrière de sa moto, et ils avaient filé tous les deux sur les routes parisiennes jusqu’à la boutique.
La journée s’était déroulée sans accroc, et comme tous les mardis soirs, Mana était parti plus tôt et l’avait laissé faire la fermeture. Khalil avait passé encore une heure à ranger et à nettoyer la boutique. Puis il était rentré, et il était tombé sur ce foutu mot.
_ Et Malaïka, tu lui as demandé ? demanda une nouvelle fois Susanna.
Khalil se contenta de hocher la tête. Malaïka était la meilleure amie de Mana depuis la sixième. Elle est d’ailleurs la première personne à qui il avait été présenté. C’était une jeune femme enjouée et exubérante. Tout le contraire de Mana. Elles se considéraient comme de vraies sœurs, et il n’y avait rien que l’une ne savait pas sur l’autre.
Et pourtant… Malaïka n’avait plus eu de nouvelles de Mana depuis la veille de sa disparition. Elle n’arrivait pas non plus à la joindre. Silence radio…
Khalil poussa un long soupir. Son t-shirt blanc collait à sa peau noire. Il faisait déjà terriblement chaud en ce début de mois de juin. Il ne savait pas si c’était la chaleur où l’angoisse, mais il avait l’impression de suffoquer. Le sourire plein de douceur que Mana lui avait adressé avant de quitter la boutique ce soir-là le hantait. Depuis quand prévoyait-elle de partir ? Pourquoi tout quitter sans rien dire ? Sans explications ? Il lui avait pourtant semblé que tout allait mieux entre eux. Qu’ils s’étaient retrouvés, et qu’ils s’aimaient follement comme au premier jour. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Susanna observait son fils en silence. Son cœur de mère saignait de le voir ainsi abattu. Il était là, le dos courbé sous le poids de son chagrin et de son angoisse. Elle s’était rendu à son appartement dès qu’elle avait pu. Mais à présent, maintenant qu’elle était présente, elle ne savait plus quoi dire, ni quoi faire pour alléger sa peine. Mana avait tout quitté sans dire un mot, la veille de leur cinquième anniversaire de mariage. Comment pouvait-on être aussi cruel ?
_ Et le soir de sa disparition, tenta-t- elle de nouveau. Elle est partie plus tôt, c’est ça ? Elle ne t’a rien dit, rien du tout ?
_ Non, rien du tout.
La mère impuissante nota tous les efforts que son fils fournissait pour garder son calme. Khalil faisait craquer ses doigts encore et encore, les tordant dans un sens puis dans un autre. Sa jambe droite marquait nerveusement la cadence dans un tressaillement silencieux. Elle pouvait presque entendre les rouages de son esprit travailler à plein régime dans l’espoir de déceler un indice, ou un semblant de réponse.
_ J’ai pas le choix, finit par dire Khalil après un long silence. Je vais signaler sa disparition aux flics.
Susanna tiqua.
_ Voyons chéri, elle t’a quitté. Tu penses vraiment qu’ils vont prendre cette affaire au sérieux ? Et puis, ça se trouve qu’elle est juste parti pour quelques jours, qu’elle avait juste besoin de souffler.
_ J’en ai rien à faire ! explosa Khalil. Il est hors de question qu’elle s’évapore dans les airs comme ça ! Si je dois leur cacher la vérité à propos du mot qu’elle m’a laissé, alors je le ferai.
Sa mère le fixa d’un regard mêlant tristesse et désapprobation. Elle savait combien son fils pouvait être déraisonnable quand ses émotions prenaient le dessus sur lui. Il valait mieux pour tout le monde qu’il parvienne à se calmer, et à passer rapidement à autre chose.
_ Ecoute Khalil, elle a décidé de partir et de tout laisser derrière elle. Peut-être que c’est temporaire, peut-être pas. Mais aucun flic ne voudra prendre cette affaire. Si tu veux des réponses, tu devras les chercher toi-même. Mais je te le déconseille. Tu risques de te rendre fou à chercher absolument un sens à tout ça.
Le regard de Khalil se durcit. Susanna en eut des frissons. Son fils ne l’avait jamais regardé de cette façon.
_ T’es passé vite à autre chose, quand papa t’as quitté ? vociféra-t-il méchamment.
Susanna ne répondit pas. Elle se contenta de détourner le regard. Elle ne le fit pas assez vite, car Khalil eut le temps de voir perler des larmes dans son regard. Un sentiment de culpabilité lui souleva alors le cœur, et ses traits se détendirent aussi vite qu’ils s’étaient durcis.
_ Pardon maman… Je ne pensais pas ce que j’ai dit.
_ Ce n’est rien, souffla Susanna en récupérant son sac à main dont la chaîne en or s’était entortillée autour de son poignet. Je vais te laisser tranquille, tu dois être épuisé. Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit. Je t’ai laissé de quoi tenir toute la semaine dans le frigo. Ne te laisse pas aller, s’il te plaît.
Khalil observa sa mère se lever péniblement du canapé et rassembler ses affaires. Elle lui caressa tendrement la joue avant de se retourner et de se diriger vers le couloir. C’est à cet instant qu’il se rendit compte à quelle point elle était abattue, elle aussi. Mana était aussi sa fille, d’une certaine manière. Il la raccompagna jusqu’à la porte d’entrée en s’excusant une nouvelle fois. Quand il fut de nouveau seul dans l’appartement, le silence pesant qui avait été rendu plus supportable grâce à la présence de sa mère l’accabla de nouveau.
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