Duel au Milieu des Flammes
Un des murs se fissure sous la terrible intonation de la voix. L’Épouvantail esquisse un mouvement de recul. Craignant la colère d’Equinoir, il se décide à affronter sa peur. Il déglutit, puis avance peu à peu près du brasier. Sa main se tend doucement vers les flammes voulant l’engloutir. Presque en sanglotant, il s’élance dans l’incendie. Il ne ressentit qu’un immense froid sur toute sa peau.
Il rouvre les yeux. Tout autour de lui s’agite un océan bouillonnant de fammes. Des formes s’en dégagent, notamment un banc de rascasses enflammées nageant dans cet étrange liquide. Au centre du brasier attendait un homme sur une table. En l’absence d’indications de la voix, Brett avance à tâtons vers l’homme. Des larmes coulent sur son visage, tellement la peur secoue ses entrailles.
L’homme porte un accoutrement très semblable au sien, quoiqu’un un peu plus sombre. Un corbeau croasse sur son épaule gauche. Une étrange façon de souhaiter la bienvenue à un étranger. Mais le plus perturbant était le visage de l’homme, une tête d’épouvantail dont le sourire distend les coutures.
L’homme invite Brett à s’asseoir sur la chaise en face de lui. Ce dernier s’exécute, larmoyant. L’épouvantail sort un paquet de carte de sa veste, et commence à le mélanger, lentement, très lentement. Il le distribue ensuite en deux parts égales, sans dire un mot. Il prend ses propres cartes et, d’un signe de la tête, indique à son adversaire de prendre les siennes. Une voix, plus rugueuse que celle d’Equinoir, résonne dans la tête de Brett :
« Gagnez, et votre peur sera à jamais effacée. Perdez, et votre vie sera remplacée. »
Brett déglutit. La terreur le fait trembler. Mais il tient bon. Il saisit ses cartes et les observe. Rassuré d’être en terrain connu, il gagne en confiance. Il regarde son adversaire. Ce dernier fait de même. Un duel de regards peut permettre de gagner un duel en cartes, et les deux combattants le savent
Brett observe l’épouvantail. Son visage de paille semble figé dans une éternelle position, mais son allure détendue trahit une confiance en soi excessive. Le corbeau fixe Brett, sans ciller, comme s’il sondait son âme.
La première joute commence. Les cartes ne sont pas en la faveur de Brett. Chacune d’entre elle est défaite par son adversaire, qui tapote des doigts, ou plutôt des branches, sur la table. Peu importe la carte posée, l’épouvantail en a toujours une meilleure dans sa main.
Et alors la manche des plis est perdue, ainsi que celle des cœurs, ainsi que celle des dames. Le seul moyen pour Brett de gagner est de gagner le roi de pique. Le corbeau se fait plus menaçant. Cette manche est un véritable jeu de feintes, les deux adversaires s’affrontent dans un duel à cartes nues, où seules les stratégies les plus vicieuses permettent de l’emparer. Brett respire bruyamment.
Carte après carte, il combat, il tente tout pour regagner son droit de vivre. Carte après carte, il voit toutes ses attaques se faire parer par l’épouvantail sans le moindre effort. Carte après carte, il voit tous les atouts de sa main s’épuiser, sans qu’il ne parvienne à ébrecher la défense de son adversaire. Il va perdre. Il le sait. Déjà, il sent lentement ses souvenirs se vider de sa tête. Non, il les sent se brûler dans sa tête.
Il a une dernière chance. Il a une dernière chance mais il n’aime pas ça. Il n’aime pas quand il fait ça. Il lui faut tricher. Doucement, il repose lentement son bras sur la table, passant sa main sous le plateau afin de sortir une carte de sa manche. L’épouvantail ne dit rien, se contente de fixer son adversaire. Brett parvient à faire sortir la carte ; maintenant, lui faire regagner sa main. Il descend légèrement son jeu de carte et parvient à faire remonter sa carte devant une autre afin de ne pas la dupliquer. L’épouvantail semble ne s’être douté de rien. Brett sent que son cœur va exploser, il faut que sa triche passe, ou sinon c’est la fin pour lui.
Le roi de pique sort de la pile.
L’épouvantail joue sa carte, puis attends son adversaire.
Brett sort sa carte qu’il a dissimulée.
Il l’emporte.
L’épouvantail ne dit rien.
Il rassemble ses cartes, les pose sur la table, et reste les bras ballants, sans accorder un regard à son adversaire. Le corbeau continue de fixer le vainqueur du duel.
Soudain, l’épouvantail poignarde la carte que Brett vient de poser, toujours assis, son bras végétal allongé pour permettre ce geste. Il relève la tête et fixe Brett de ses yeux étincellants. Ce dernier en tombe de sa chaise. L’épouvantail contourne la table et se relève de toute sa grandeur, le faisant paraître comme un géant. Sa voix résonne dans la tête de Brett :
« Tss, Tss, Tss. Ce n’est pas en trichant qu’on sauve sa vie. Les supercheries finissent toujours par nous rattraper. »
Brett est terrifié. Il n’arrive plus à respirer sous l’angoisse. Autour de lui, les flammes ont gagné en puissance. Les rascasses sont parties. Il ne reste que l’épouvantail, le corbeau et lui au milieu de ce typhon de feu.
Le visage du géant de paille se déforme. Les coutures formant sa bouche se cassent petit à petit jusqu’à laisser une énorme fosse. De là émerge une lueur, une lueur qui devient bientôt flamme. Une langue enflammée vient réchauffer le four qui sert de bouche à l’épouvantail.
Brett ne parvient même plus à pleurer. Ses larmes se sont asséchées. Il ne peut que crier, alors il crie, crie, appelle Equinoir, et crie encore. Rien n’y fait. L’épouvantail et le corbeau sont encore là. Des dernières paroles sonnent dans sa tête :
« Adieu, petit homme de paille »
Et le corbeau s’élança sur son visage.
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