Chapitre 1 : La provocation de trop
Ce matin-là, la ville reprenait doucement ses droits après une nuit calme, seulement perturbée par les quelques jeunes qui festoyaient dans les discothèques. Les travailleurs les plus matinaux dévalaient consciencieusement les marches des stations de métro, et les propriétaires de boutiques remontaient leurs stores avec le sourire.
Dans l’internat du lycée de super-héros Yuei, les pas dans les escaliers se faisaient de plus en plus nombreux. Les élèves se pressaient dans le réfectoire puis dans les salles de classe, après un sommeil qui n’avait pas été aussi réparateur qu’ils l’auraient souhaité.
L’une d’entre eux, en seconde A, secoua ses cheveux noirs et jeta un coup d’œil en direction du dortoir des garçons, attendit quelques secondes, puis rejoignit ses camarades en classe. En tant que sous-déléguée, Momo Yaoyorozu ne pouvait pas se permettre d’être en retard.
Dans la salle, seuls quelques élèves étaient présents, bâillant sur leur chaise ou tournant nonchalamment les pages de leur manuel.
— Salut, Yaomomo ! lança Mina Ashido, ses cheveux roses en bataille masquant partiellement ses yeux à moitié fermés.
— Hello ! ajouta Tsuyu Asui, l’élève à l’Alter de grenouille. Tu n’as pas vu Ochaco sur ton chemin ?
— N... Non, répondit Momo en secouant la tête. Elle n’est pas encore arrivée. Salut, les filles. Bonjour, Tenya.
Mais le délégué, la tête enfouie dans ses bras au fond de la classe, semblait ne pas avoir entendu.
— Laisse, expliqua Mashirao Ojiro en secouant sa queue, il n’est pas dans son assiette aujourd’hui.
Yuei était connu comme l’académie des héros. En effet, sa filière héroïque – en plus des filières existant dans un lycée classique – avait une notoriété nationale. En niveau seconde, il existait deux classes où les futurs super-héros étaient formés. Ce métier, plus si nouveau que cela, existait depuis que des super-vilains, seuls ou en groupe, semaient la zizanie partout où ils passaient. Dans une société mondiale où 80% des habitants étaient dotés de super-pouvoirs – appelés Alters – cela devait arriver.
— C’est à cause de l’entraînement d’hier ? demanda Momo, les mains sur ses hanches. Le Recipro Burst n’avait pas fonctionné de manière optimale…
Tenya était particulièrement fier de son Alter, qui le propulsait aisément au sommet des élèves les plus rapides du lycée. Son accélération la plus puissante, le Recipro Burst, était habituellement efficace – bien que de courte durée –, mais avait failli la veille.
— Même pas, répondit Denki Kaminari en souriant. C’est à cause de la seconde B…
— La seconde B ? répéta Momo.
L’autre classe de seconde héroïque ne leur causait habituellement pas de problèmes, mis à part un élève particulièrement hargneux qui ne cessait de les dénigrer.
— Regarde, fit Tsuyu, la langue sortie, en désignant la porte.
L’élève en question, Neito Monoma, était apparu à l’entrée de la salle avec un sourire goguenard.
— Alors, les nazes, vous avez réfléchi à ma proposition ?
Momo haussa les sourcils et serra les dents. Itsuka Kendo, la camarade de Neito, n’était pas derrière lui pour le rappeler à l’ordre. Cela risquait de dégénérer.
— Il n’y a pas de proposition ! fit alors la voix de Tenya, levant soudainement son mètre soixante-dix-neuf et considérant l’ensemble de la salle. Nous sommes des élèves partageant le même objectif : devenir des héros. Alors concentrons-nous sur ça et abandonnons les rivalités stupides !
— Mais ça fait un moment que ça dure, nuança Eijiro Kirishima, qui venait d’entrer par la porte arrière. Ce gringalet n’arrête pas de nous insulter dès qu’il nous voit, et on est censés se faire tout petits ?
L’apprenti héros aux cheveux rouges et à l’Alter de durcissement se plaça au centre de la classe.
— Les petites phrases ici et là, quand on se rencontre à la volée, c’était une chose, mais là il vient carrément nous narguer dans notre salle de classe. Où est monsieur Aizawa, d’ailleurs ?
Le professeur n’était toujours pas arrivé, malgré l’heure de début des cours qui se rapprochait, et il n’était pas non plus visible derrière son bureau, où il s’emmitouflait parfois dans un sac de couchage.
— Je viens de le rencontrer ! s’éleva une voix féminine.
Entrant également par la porte arrière, une jeune fille aux cheveux bruns mi-longs et au sourire contagieux s’assit à son pupitre, derrière Tenya.
— Ochaco ! s’écria Tsuyu en se retournant.
— Il a dit qu’il aurait du retard, ajouta Ochaco Uraraka en haussant les épaules.
— Mais bien sûr ! répliqua Neito en levant les bras avant d’éclater de rire. C’est bien le propre de la seconde A. Notre professeur, lui, n’est jamais en retard.
— Qu’est-ce que tu fais là, alors ? lui demanda Mashirao.
— En tous cas, l’ignora Neito, je note que vous êtes beaucoup trop lâches pour accepter le défi que je vous ai lancé.
— Je ne vois qu’un lâche ici ! s’énerva Eijiro en frappant ses poings l’un contre l’autre.
— Demain matin à onze heures sur l’île Yuki – n’oubliez pas ! fit Neito en se retournant vers le couloir.
— Je vais t’éclater.
Neito s’arrêta net, et se mit à trembler. Les visages se tournèrent de l’autre côté, où un jeune garçon venait de s’exprimer d’une voix qui ne laissait nulle place au doute. Ses cheveux blonds qui n’avaient jamais voulu s’aplatir surmontaient un regard glacial au rouge menaçant.
— Je… Je n’ai jamais dit que j’allais être celui qui allait combattre ! se défendit Neito. Je parlais de la seconde B en général.
— Et il n’y a aucune raison pour que tu sois le seul à te battre non plus ! s’exclama Eijiro en se tournant vers le blond. Fais-nous confiance, Katsuki ! On va t’aider !
Katsuki Bakugo lui envoya une grimace complètement désabusée.
— Pas moyen. Il a cherché, il va trouver. Et c’est moi qui vais lui rabattre son caquet.
— Après tout, il a gagné le championnat du lycée, appuya Denki. Il serait logique qu’il représente la seconde A.
— Nous… nous verrons bien demain ! balbutia Neito. En tous cas j’y serai, soyez-en sûrs !
— Et comment ferez-vous pour échapper à la vigilance du lycée ? demanda Kyoka Jiro, assise près de Denki.
La jeune fille aux longs lobes d’oreille terminés par une prise jack semblait avoir soulevé un point auquel personne n’avait pensé.
— Nous sommes censés être en internat même le dimanche, ajouta-t-elle. Ils feront des rondes pour s’assurer que nous sommes bien dans nos chambres ou les locaux communs. Et c’est aussi valable pour la seconde B.
— Exactement ! s’exclama Tenya en tapant des paumes sur sa table. Il n’y a donc aucun moyen pour nous de relever ce défi inutile. Fin de la discussion !
— Vous dites ça parce que vous avez les chocottes, fit Neito en ricanant. Allez, je vous laisse, bande de nuls, il semblerait que notre prof soit là, lui.
Momo, qui était toujours debout, passa la tête de l’autre côté de l’encadrement de la porte et s’aperçut que monsieur Kan, le professeur principal de la seconde B, était arrivé dans le couloir. Vlad King de son nom de code, l’un des nombreux héros professionnels ayant choisi d’enseigner au lycée Yuei, avançait d’un pas décidé. Près de lui se trouvait une élève que Momo n’avait jamais vue. Neito les croisa et salua distraitement. La nouvelle venue s’inclina profondément devant lui.
« Si elle savait », soupira Momo en revenant dans la classe.
Elle s’assit à sa place, tout au fond de la salle, de l’autre côté de Tenya et derrière Minoru Mineta, un élève peureux dont l’obsession était la gente féminine. Tandis que ses camarades bavardaient au sujet de l’énième provocation, elle se tourna plusieurs fois à sa droite, mais la chaise près de la sienne était désespérément vide. Elle perdit patience et finit par demander, d’une voix assez forte pour couvrir le brouhaha et atteindre toute la classe :
— Quelqu’un a vu Shoto ?
Les dix-huit autres élèves se tournèrent vers elle dans un silence religieux.
— Il a obtenu une autorisation spéciale. Il est auprès de sa famille et reviendra dans quelques jours.
Tous les élèves se redressèrent sur leurs chaises tandis qu’un homme à la longue chevelure noire pénétrait dans la salle et s’asseyait sur la chaise du professeur.
— Bonjour, dit-il, les yeux rougis par le manque de sommeil.
— Bonjour, monsieur Aizawa ! répondit la classe comme un seul homme.
— Il y a une nouvelle élève en filière héroïque dans notre lycée. Je discutais avec Vlad à son sujet, et il semble qu’elle intégrera sa classe.
— La seconde B ? Pourquoi ?
— Une nouvelle élève ? Je pensais que les effectifs étaient complets ?
— Pourquoi n’a-t-elle pas passé le test d’entrée comme tout le monde ?
— Taisez-vous, menaça le professeur soudain devenu le héros Eraser Head, les cheveux redressés sur sa tête et les yeux prêts à lancer des lasers. Ça ne nous concerne pas désormais.
***
— L’île Yuki est assez loin d’ici, fit remarquer Mina.
Elle s’approcha du groupe d’élèves revenu à l’internat après l’entraînement quotidien.
— Ça sera compliqué d’y aller ! ajouta-t-elle en se tenant le menton et regardant le plafond.
— Tu penses encore à ça ? dit Tsuyu en tirant sa longue langue d’amphibien. Tu as bien entendu Kyoka : on ne peut pas. Pas de quartier libre à l’extérieur pour les élèves de Yuei, même le dimanche.
Après l’attaque du groupe de super-vilains qui avait enlevé Katsuki et blessé plusieurs élèves dans la forêt où s’était déroulé leur éphémère camp d’été, les dirigeants du lycée avaient pris des mesures drastiques pour assurer leur sécurité. Un groupe de trois élèves entra à son tour dans la salle commune.
— Ah, vous êtes ici ! fit Ochaco, qui en faisait partie. On était avec la nouvelle de la seconde B !
— En effet, dit Tenya, à son côté, en ajustant ses lunettes. En tant que délégué de la seconde A, je me devais d’accueillir la nouvelle élève et lui assurer du soutien de notre classe.
Quelques rires s’élevèrent.
— Si Neito lui retourne le cerveau comme il est en train de le faire avec toute la seconde B, je pense qu’elle n’aura pas grand-chose à faire de ton soutien ! s’exclama Eijiro.
— Vous vous trompez, reprit le délégué. Elle est extrêmement polie et raisonnable, contrairement à…
— Quel est son Alter ? l’interrompit Momo avant de s’en rendre compte.
— Est-ce qu’elle est jolie ? interrogea à son tour Minoru, de la salive au coin des lèvres.
— Très bonne question, Momo ! approuva Denki, passant devant un Tenya énervé et un Minoru déçu.
— Vous souvenez-vous de Twice ?
Tous les élèves se tournèrent vers Izuku Midoriya, qui prit aussitôt un air gêné.
— Je risque pas de l’oublier, répondit Katsuki. Il a envoyé des doubles des membres de l’Alliance des super-vilains nous menacer. Crache le morceau, Deku.
Izuku tressaillit face à l’évocation du cauchemar du camp d’été et à l’attitude impatiente de son ami d’enfance. Il se décida à poursuivre :
— Eh bien, oui, ce Twice a la possibilité de créer des doubles des personnes qu’il observe. La nouvelle – Kyuri – a le même Alter, mais en beaucoup plus efficace : elle a seulement besoin de toucher la personne et hop ! son clone est créé. Et elle peut en créer jusqu’à vingt ! Un Alter pareil… ça a dû jouer en sa faveur pour intégrer Yuei.
Le groupe marqua quelques secondes de pause.
— Tu penses à ce que je pense ? demanda Denki, accroupi et levant sur sa camarade aux cheveux roses un regard qui en disait long.
— Je crois, oui… ! répondit Mina, dans la même position en face de lui.
— Euh… Bonjour !
Momo reconnut la nouvelle élève, cette fameuse Kyuri, entrée dans leur internat à pas hésitants.
— Oh, fit aussitôt Kyuri en reculant. Désolée ! Je me suis trompée. Je cherchais les dortoirs de la seconde B.
— Non non non, déclara Mina en se relevant, marchant vers elle à pas décidés.
Izuku se demanda soudain s’il n’avait pas commis une bêtise. Mina passa un bras autour des épaules de la nouvelle et l’entraîna à l’intérieur.
— Tu vas rester avec nous un moment !
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