Chapitre 6 ~ Death grows like a tree that’s planted in my chest.

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Mon cœur s'arrête. Comme le temps tout autour.
17h57, les nombres figés dans l’absolu.
Tous ont le regard fixé sur cette voiture qui s'éloigne sans réduire son allure folle. Je suis le seul qui garde les yeux rivés sur elle. C'est impossible. Il y a quelques instants à peine, elle était vivante, comme moi.
Ma respiration s'emballe, mes doigts se crispent sur le journal et je chute lourdement sur le pavé. Mon cœur broie douloureusement le fond de ma poitrine et, au lieu de se flouter de larmes, mes yeux restent figés sur la scène atroce qui vient de se dérouler devant moi. Le crissement des roues heurte encore et encore mes oreilles. Le monde tourne autour du halo de sang qui s'agrandit sous la tête d’Almia. Mon souffle se fait rauque, je sens mon estomac se retourner avant d'être lui-même bloqué par la paralysie qui me gagne.
Soudain, une sirène retentissante me fait revenir à moi. Une ambulance. Il faut que je bouge de là.
Mes poumons s’arrachent à ma cage thoracique pour me permettre de me lever dans un dernier élan vide d'espoir. Je jette le carnet dans mon sac et me dirige en courant vers un immeuble qui n'est pas le mien. Je frappe de toutes mes forces sur la fenêtre de gauche, animé par un instinct presque animal. Un vieil homme ouvre, plisse ses yeux fripés, avant de me reconnaître. À mon air paniqué, il court, aussi vite que le lui permettent ses jambes fatiguées, ouvrir la porte de l'immeuble. 

— Je dois voir l'appartement d'Almia ! Dites-moi que vous avez les clés ! supplié-je.
— À cette heure-là ? Mais qu’est-ce qui vous prend ?! Vous êtes tombé sur la tête ou quoi ? Et où est Almia ?
— Elle a laissé une lettre qui m'est adressée, mais l'a oubliée dans l'entrée de chez elle ! Si vous me faites attendre vous risquez bien de la croiser mais croyez moi vous n'en avez pas envie.

Les mots sortent de ma bouche sans que j'en aie conscience, mais mon instinct me souffle que j'ai raison. Et puis bien sûr que cette lettre n'est pas pour moi, mais a-t-elle seulement un destinataire ?

— M'enfin, vous ne pouviez pas attendre demain matin ?
— Impossible, il me faut partir sur le champ !
— Bon, écoutez. Almia m'a donné cette clef peu après son arrivée. Elle voulait faire confiance au destin et au hasard et croire que cela pourrait être utile un jour.

Il me tend la clef, les mains tremblantes. Il hésite.

— Je vous fais confiance, vous… Je… Juste ne brisez pas cette belle foi qu'elle avait en l'avenir.
— Je ne vous remercierai jamais assez !

S'il savait… Mais je n'ai pas le temps de lui expliquer qu'il vaut mieux éviter de laisser Almia et destin dans la même phrase désormais, alors je me contente de m'élancer le plus vite possible, avant qu'il n’ait le temps de voir que dans la rue se trouve désormais une ambulance autour d'un corps étalé au milieu de la chaussée.

Je monte les marches quatre à quatre. Arrivé au sixième étage, je tente de déverrouiller l'appartement qui me paraît donner sur la rue. Du premier coup, la clé entre dans la serrure. 

J'essaie de me concentrer sur mon objectif, d'ignorer l'anxiété qui monte dans ma poitrine ou encore la masse d'information que je pourrais ainsi récolter sur elle. Il me faut trouver cette lettre. Car elle doit en avoir laissé une.

Ce matin, elle savait déjà qu'elle se suiciderait. C'est ça qui lui donnait cet air morose. Elle tentait de graver dans son esprit le moindre détail de sa vie. Sa mort n'est pas accidentelle. Sinon, pourquoi après la seconde passée les yeux dans les yeux, avait-elle traversé, si vite, sans regarder, ou plutôt en ayant vu la voiture ? 

Je suis le seul à la connaître assez pour deviner qu'elle a dû laisser quelque chose. Je suis aussi le seul à mériter sa lecture. Enfin, pour ça il faudrait que je trouve cette foutue lettre

Je fouille fébrilement les piles de papier éparpillées sur les différents meubles de son appartement. Je ne peux pas l'avoir inventée. Suivant toute logique, il faut qu'elle ait laissé quelque chose. Sinon elle n'aurait pas passé une dernière journée comme si de rien n’était. Mais plus je panique, moins je parviens à chercher. Au moment où je me résigne à l'idée que j'ai tout imaginé, mon souffle monte en pic, et je sens que je suis à bout. Soudain, un petit papier rouge attire mon regard. Il est plié en forme de rose mais je vois bien qu'il contient du texte. Je l'attrape de mes mains tremblantes. Au pied de cet immeuble, la foule augmente. Ils ne vont pas tarder à prendre les premiers témoignages. Je ne veux rien avoir à voir avec eux. Ils ne me laisseraient pas son "testament" ou son journal. Jouant le tout pour le tout, croisant les doigts, je me saisis du petit origami et descends l'escalier, manquant de chuter à chaque palier tant ma vitesse est forte et incontrôlée.

En passant devant la loge, je voudrais rendre les clés au gardien mais il est dehors, sur la scène de mon malheur, à contempler ce corps désarticulé. Je prends mes jambes à mon cou et décide de ne pas rentrer à l'appartement ce soir. Trop proche du lieu du drame.

Le prochain bus ? 17 minutes. Beaucoup trop long. À pied, j'irai plus vite. Dopé par l'adrénaline, je m'élance vers mon cocon.

Je parcours en un temps record la distance me séparant de mon sanctuaire. Lorsque je m'enferme dans la petite pièce, mes poumons vont imploser, mes muscles crient grâce et je suis en nage. Je sors alors timidement la lettre et le journal, que je n'ai pas pu lui rendre. Je ne le pourrai jamais. J'aurais dû le faire le matin même. Ce matin…

Cela me paraît déjà avoir eu lieu il y a une éternité. À ce moment-là, je ne me doutais de rien. Je profitais de la revoir après ma longue absence auprès d'elle, bien qu'elle n'en sache rien.

Je déplie timidement la fleur de papier. Quitte à la lire, pourquoi attendre ?

Hey,
Si vous lisez ça, c’est sûrement parce que vous avez trouvé mon corps étendu au milieu de mon salon. Je suis désolée pour vous. Ce n’était pas dans l’intention d’infliger ça à quiconque, mais mon corps ne pouvait pas rester là indéfiniment.
Ce monde n’est plus le mien, voilà tout ce que j’ai à dire.
Peu importe ce que vous aviez à voir avec moi, peu importe si vous comptez vous rendre à mon enterrement ou plutôt revendre mes affaires afin d'augmenter votre richesse personnelle, je ne vous demande qu'une chose, occupez vous de mon chat Koridwen, le seul qui m'aura à jamais été fidèle. Trouvez-lui un foyer aimant.

Almia

Son chat. Je l'ai laissé là-bas. Et voilà. Encore une chose que je n'aurai pas pu faire pour elle. Comme lui rendre son journal.
Au moins, je sais désormais la prochaine chose que je ferai. Il faut que je retrouve cet animal. J'irai demain. Heureusement que j'ai encore les clés. Je pense que d’ici là, ils n'auront pas encore embarqué le chat pour le donner à je-ne-sais-qui.

Il faut que je dorme.
Ferme les yeux Sam. Tu reprendras conscience de tout ça demain. Tu pleureras plus tard. Mais là, il faut que tu te reposes. Ou tu ne tiendras pas, me dis-je à moi-même.

Malgré cela, je passe la nuit la plus longue de toute mon existence.

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