Chapitre 7 ~ I weep and say, “Goodnight, love.”

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Les aiguilles se contredisent sur mon horloge en indiquant les six heures tapantes. Je me glisse le plus silencieusement possible en dehors de mon cocon, tentant de cacher le bruit que font les clés d'Almia — son nom est si étrange après hier soir — en s'entrechoquant.
Les bus sont encore trop distants les uns des autres et la brume glaçante me mord la peau tant et si bien que je me lance d’un pas décidé le long de la route.

Je n'ai presque pas dormi de la nuit mais les heures écoulées auront au moins eu le mérite de me calmer. Pourtant, cette sortie me paraît plus que nécessaire. J'avance à cadence régulière, presque heureux de n'avoir à me concentrer que sur cette chose sans importance : mettre un pied devant l'autre. Cette simplicité me permet de me poser intérieurement.

À chaque expiration, un nuage de fumée blanche se forme devant ma bouche. La température doit avoisiner les deux degrés. Paris est vide. Il n'y a pas un chat dans les rues du quartier.
En même temps, un samedi matin, aussi tôt, qui pourrait avoir envie de mettre le nez dehors, mis à part l’âme errante que je suis ? En plus pour un animal que je n'ai jamais vu et qui ne m'appartient pas. Ma vie ne se résumera donc qu'à ça ? Vingt-sept ans d'existence pour donner quoi ? Un homme qui ne vit que du succès passé de son unique livre. Écrivain soit disant, mais incapable d'écrire depuis trop longtemps. Une ébauche de boulanger peut-être, mais cette activité ne lui ayant donné que les premières brûlures que sa peau d'amoureux des livres ait un jour porté. Un garçon dont le corps porte les négligences dont il fait preuve depuis des mois en poursuivant une fille. Et que fait-il actuellement ? Il avance dans un Paris désert et glacial, à la recherche du chat d'une morte.

Il m’arrive de me demander comment j’ai pu en arriver là… Néanmoins, je n’ai pour cette fois pas le temps de réfléchir à la réponse que j'arrive déjà en bas de chez elle.

J’inspire un bon avant d'affronter ce lieu sordide. Allons chercher ce foutu matou ! Je monte les escaliers de cet immeuble, tel une ombre, espérant ne croiser personne, car j'aurais bien du mal à expliquer ma présence en ces lieux. Je fais rentrer la clé dans la serrure, serrant les dents, croisant les doigts.

Personne. Je couvre d’un regard l’espace dans lequel je pénètre, pestant par avance contre ce chat qui n’est au premier abord pas visible. Je referme derrière moi la porte d'entrée avant d'explorer chacune des pièces de cet appartement. Après une cuisine atrocement vide et une salle d’eau à l’aspect dérangé par les divers vêtements suspendus pour sécher, j’entre dans une chambre tout sauf rangée où un miaulement m’accueille. Un gros chat noir me fixe, allongé au milieu de ce lit bien grand pour la frêle jeune fille qu'était Almia. Dans ses yeux, je lis une interrogation quant à ma présence ici. Je m'approche de lui sans qu'il ne bronche mais, à la seconde où je fais mine de le toucher, il feule comme un diable et recule d'une cinquantaine de centimètres. Je retourne sur mes pas vers la buanderie où il m'avait semblé voir une cage de voyage, parfaite pour ce félin à l'air si sauvage. À mon retour, il n'a pas bougé. Je lui saute littéralement dessus et l'enferme entre deux couvertures. Il joue des griffes et des crocs, mais ne parvient pas à s'extirper de mon étreinte désespérée. Ma main gauche bloquant l'ensemble, je saisis la cage de la droite pour y introduire l'animal.

Ma besogne accomplie, je m'assieds une seconde pour reprendre mon souffle et mes esprits. Je réalise alors que je me trouve actuellement chez Almia, saint Graal de ma curiosité, et que, puisque je ne compte pas y faire une balade régulièrement, je ferais mieux d'en profiter.

La chambre où je me trouve, j'ai pu la voir un nombre incalculable de fois depuis chez moi, mais jamais d'aussi près. Je découvre la couleur de ses murs, presque indécelable entre tous les posters, cartes et autres affiches. Elle a choisi un violet assez fort, plus rouge que bleu, presque pourpre. Jamais je ne m'en serais douté. Quant aux cartes, je peux maintenant distinguer un nombre impressionnant de fléchettes qui y sont plantées. Sûrement ses destinations de rêve. La plupart sont des îles, mais on remarque aussi quelques pays asiatiques. Ces détails m'étaient impossibles à distinguer de loin.

Je découvre également son goût pour les livres. Enfin, ce sont plutôt les titres à l'origine de cette passion qui m'échappaient jusqu'à présent. Je constate quelques classiques au milieu d'une montagne de fantastique, de science-fiction, et de dystopies. Je ne peux m'empêcher de me dire en souriant qu'elle aurait détesté mon roman, sûrement bien trop réaliste à son goût.

Sur son bureau, je tombe sur une photo d'elle souriante, en maillot de bain, la peau magnifiquement dorée par le soleil. Je l'imagine là-bas, insouciante, les cheveux au vent. Mais le silence de l'appartement, vide de vie pour toujours, éloigne rapidement le mirage. Je balaye une dernière fois la pièce des yeux avant de décider que je n'ai rien de plus à y découvrir. J'emporte le chat avant de fermer la porte de cette chambre, comme on fermerait les yeux d'un mort.
Le reste de son appartement ressemble à un catalogue. Rien de personnel n'est apparent. J'ai l'impression qu'elle ne s'autorisait pas à afficher ses goûts. Ayant visité la seule pièce où elle s'assumait entièrement, je n'ai plus rien à voir ici. J'effectue un dernier passage à travers l'appartement, gravant chaque détail dans ma mémoire. Enfin, je saisis Koridwen et quitte définitivement cet appartement où j'espère ne jamais avoir à revenir. Il contient trop de souvenirs de cette nuit d'horreur où j'ai bien cru que mon cœur s'arrêterait pour ne pas repartir. Ou peut-être aurait-ce été préférable. Mais souvent, trop souvent à mon goût, la vie ne fait pas tourner les choses comme on le voudrait. Et tout cela aboutit à ma situation actuelle.

Koridwen qui ne faisait jusque-là que miauler se tait enfin au moment où, paralysé, je m'arrête. Nous sommes au bord de la route témoin, vingt-quatre heures auparavant, de la mort de sa maîtresse. Il ne sait rien de tout cela, mais moi je ne peux me défaire de cette idée. Je suis secoué de tremblements.
Perdu dans ma rêverie à l'aller, j'étais passé inconsciemment à côté de ce lieu maudit. Mais me voilà maintenant planté là, revivant encore et encore les crissement des roues de la veille. Les larmes roulent sur mes joues, plus abondantes à chaque fois que le film morbide recommence dans ma tête. Je n'ai qu'une envie : m'allonger au milieu de cette rue et attendre de subir le même sort qu'Almia, mais je ne peux pas. Je n'ai pas fini ce que j'ai à faire. Il me reste ce chat, ce journal à lire...

Alors, après de longues minutes face à cette route, immobile en apparence mais menant un véritable combat mental, je poursuis mon chemin, le cœur vide.

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