Chapitre 9 ~ Come back and haunt me

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Je fixe l'espace où elle vient de disparaître pendant de longues minutes, cherchant à déceler un signe de sa présence, mais rien ne semble vouloir m'assurer que je ne suis pas fou. Et puis le soleil vient m'éblouir à travers le vasistas et la fatigue me happe.

Je suis réveillé à 18h par les miaulements du chat. Je lui gratte la tête mais cela ne semble pas lui convenir. Mon estomac vient à ma rescousse et fait office de traduction par un grognement sonore. Ni une ni deux, j'enfile les vêtements qui me tombent sous la main, m'asperge le visage d'eau, et je quitte le studio.

Ce n'est qu'une fois dans le magasin, face à ce groupe d'amis qui rigolent fort dans le rayon, que ma réalité me frappe. Tous ces gens là, si insouciants, heureux. Almia est morte mais pour eux ce n'était qu'un lundi sans importance. C'est comme si le monde s'était scindé en deux, mais que j'étais seul dans la moitié qui s'effondrait. Luttant contre l'angoisse qui agite le fond de mes poumons, je m'empresse de retourner au cocon avec le strict nécessaire.

Les murs sont fins mais suffisent à me protéger du gouffre que je sens entre tous ces gens dehors et moi. J'ai toujours senti cette différence avec les autres. J'écrivais dès que j'avais besoin de retrouver un monde adapté pour moi, d'ailleurs. Il est bien plus simple de vivre à travers des personnages qu'on crée soi-même. Mais pour la première fois, depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, j'avais l'impression de peut-être avoir ma place quand j'ai rencontré Almia. Inspiré par sa présence, je n'ai pourtant pas ressenti ce besoin d'écrire pendant les mois passés à la côtoyer. Une certitude au fond de moi répétait qu'elle était enfin mon attache à cette planète, et voila qu'on me l'enlève ?

Je m'assieds sur la pile de vieux matelas trop mous et de couvertures qui constituent le lit et regarde Koridwen qui tourne dans l'appartement.

— Tu sais, le chat, avant j'habitais en faire de ton appartement. Ça t'aurait plu, là-bas, je suppose. C'était grand, au moins. Mais je doute que nous y retournions un jour, il va falloir t'habituer à ici. Il y a déjà beaucoup trop de vide dans ma poitrine, alors je préfère un petit endroit. Et puis surtout je pense que je ne supporterais pas la vue de ton ancienne maison. Encore pire que de voir les lieux vides, je crois que je serais incapable d'accepter qu'une nouvelle famille s'y installe. Ça serait comme si on enlevait à Almia le droit même d'avoir un jour existé ici.

Et j'imagine que tant que, dans ma tête, elle habite encore là bas, je ne suis pas vraiment seul. Comme s'il sentait mon mal-être, Koridwen vient lecher ma main avant de s'installer sur mes genoux.

*

Je m'éveille avec le frisson que provoque Almia quand elle arrive. Comment ai-je pu m'endormir après le coma que j'ai fait aujourd'hui ? Face à moi, elle se tient droite, exactement comme hier. J'ouvre la bouche, hésitant à briser le silence, puis la referme, ne sachant quoi dire. Je voudrais profiter de ce moment que j'ai tellement attendu de son vivant, mais maintenant qu'elle est ici j'ai peur de tout gâcher.

— J'osais à peine espérer que tu reviennes, je souffle...

Elle hausse les épaules nonchalamment et s'approche de Koridwen.

— Figure toi qu'on ne gagne pas soudainement en sagesse avec la mort, et il s'avère que les humains m'énervent toujours aussi vite. Je me suis vite lassée d'errer dans cette ville. Et puis mon chat me manquait... C'est lui qui méritait un au revoir correct. Je l'ai lâchement abandonné du jour au lendemain. Plutôt qu'écrire cette stupide lettre, j'aurais du simplement lui faire mes adieux.

Je l'observe, encore moyennement convaincu de la réalité de la chose, mais elle poursuit :

— Bon d'accord, je viens plutôt pour m'excuser. Enfin, la partie où j'avoue que je ne sais pas trop quoi faire maintenant que je suis dans cet état n'est pas fausse, mais je me suis dit qu'hier nous ne sommes pas partis sur de bonnes bases. Je me suis défoulée sur toi parce que j'en avais besoin, mais c'est pas comme si c'était de ta faute.

Je la regarde, dubitatif. Longuement, elle caresse son chat.

— Dis quelque chose, par pitié.
— J'avoue que j'ai eu du mal avec la façon dont tu m'as laissé hier. Je... mon monde tangue encore tu sais. Alors je crois que la scène dramatique d'hier m'a un peu trop secoué.
— Oui, mais mets toi à ma place. Rien ne s'est passé comme ça aurait dû...

Encore une fois, sa voix s'emballe alors je poursuis.

— Mais j'avais besoin de réponses. Tu viens me voir comme ça, en pleine nuit, avant de vouloir repartir tout aussi vite. Enfin Almia, je t'ai vue mourir sous mes yeux, ça m'a détruit. J'ai rêvé de toi pendant des mois, à accepter que tu ne me connaisse peut-être jamais, à cuisiner des parts de quiche sans que tu saches un jour qu'elles étaient de moi. Mais au lieu de simplement vivre de ça, il a fallu que je sois là quand cette voiture a... Je... J'ai cru ne jamais m'en remettre, et pourtant j'y suis retourné. J'ai recueilli ton chat...
— Je t'ai déjà remercié pour ça.
— Laisse-moi finir ! Je t'ai vue mourir, j'ai adopté ton chat, je suis le seul à avoir compris ton suicide et tu m'engueule avant de faire comme si de rien n'était ? Tu ne peux pas imaginer la puissance du choc ! L'Almia que je connais ne ferait pas ça.
— Ne rêve pas. Tu ne me connais pas.
— Mais je te comprends.

Elle ne répond pas. J'ai peur d'avoir mis un vide entre nous, d'avoir ruiné consciencieusement la seule chance que j'avais de ne pas la faire fuir. Mais je ne supporterais pas de la laisser partir, alors quand le silence commence à s'éterniser je lui pose la première question qui me passe par la tête.

— Pourquoi Koridwen comme nom ?

Je l'ai fâchée, elle ne va pas vouloir me répondre. Voilà, elle est à peine revenue que je l'ai déjà perdue...

— C'est un livre que j'ai lu. Une héroïne que j'aimais bien. Une fille... si forte en apparence... et pourtant incapable d'influer sur le cours de sa propre vie. Et le nom était original.
— Très joli, en tout cas...

J'esquisse un sourire, qu'elle me rend. Mon cœur se réchauffe quelque peu. L'ambiance jusqu'alors tendue devient plus conviviale. La lune est haute dans le ciel. Le moment est propice aux confidences. Après quelques questions banales et superficielles sur elle, auxquelles étonnamment elle répond avec davantage de candeur, je rentre dans le vif du sujet.

— Pourquoi ?
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi tu as fait ça ?
— Je n'ai pas à me justifier.
— Mais pourtant...
— Je croyais que tu savais lire, monsieur l'écrivain. Je ne fais plus confiance à personne depuis longtemps, et tu n'y fais pas exception. Et puis, dans tous les cas, c'est trop tard. Un mort ne revient pas à la vie. Tu ne peux rien pour moi.
— Alors pourquoi tu es là ? J'ai besoin de comprendre. Si ce n'est pas pour toi, dis toi que c'est pour moi. Je n'en dors plus la nuit, je fais des crises d'angoisse, de folie, je ne tiens plus debout. Tout mon monde s'écroule. Je ne suis plus capable de me comporter normalement tant ça m'obsède. Et pour cela, il n'y a que toi qui puisses m'aider. Sauve moi, Almia, je t'en supplie.

Je suis persuadé d'avoir vu une larme rouler sur sa joue avant qu'elle ne tourne la tête vers la fenêtre. L'aube commence à pointer, déroulant ses volutes rosées dans le ciel.

— Il faut que j'y aille !
— Oh, pardon Almia, excuse-moi si je t'ai blessée mais s'il te plaît reste, ne me laisse pas seul !
— Ne prends pas ça personnellement, il m'est tout bonnement impossible d'être dehors une fois le jour levé. Je dois rejoindre mon corps.
— Je... Quoi ? Ton corps ?
— À plus !
— À ce soir... lui répondis-je.

Elle ne m'a pas entendu. À nouveau, l'air se trouble. Je regarde Koridwen, l'air de lui demander si lui aussi a vu ce qui vient de se passer ou si j'ai tout inventé. Et puis je me souviens de ses ronronnements et je réalise. Mon cœur se gonfle de bonheur ; Almia est bel et bien de retour. 

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