Chapitre 17 ~ She's the tear in my heart

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Tout va si vite. La vie file entre mes doigts, je ne peux l'arrêter.

Hier encore, j'étais seul dans mon appartement trop grand pour mon cœur vide, j'observais les gens que je croisais, cherchant en vain de l'inspiration. Aujourd'hui, je suis comblé. Almia et moi vivons un amour si fusionnel, passionné, que je doute parfois de sa véracité. Je me demande encore trop souvent si tout cela n'est pas qu'un rêve.

J'ai l'impression que ces deux époques sont à la fois séparées d'un millénaire et d'une poignée de secondes. Et dire qu’en ce laps de temps je suis passé de l’inconnu du bus à celui qui fait battre son cœur. Pour beaucoup de gens, notre situation ne paraitrait pas idéale : je serais incapable de retourner vers les autres, si je le souhaitais, et je vis dans un monde qui gravite autour d’elle. Mais nous voulons, enfin je voulais, ne rien regretter. J’ai trouvé ce que certains passent toute une vie à chercher. Il faudrait être fou pour y renoncer, surtout pour trois rayons de soleil et une vie bien plus triste. Je ne connais rien du vrai poids des remords, mais Almia a vécu ça. Et elle en est encore tourmentée, agressée intérieurement.

La poitrine légère après tous ces événements qui s'enchaînent, comme si les autres s'alignaient enfin, je profite de la belle lumière qui nimbe le studio. Il est 15h et j'ai suffisamment dormi. Il me reste quelques heures à tuer, alors je me lance dans le tri du courrier que j'ai reçu. En plus de trois mois, le nombre de prospectus est impressionnant. J'ai, par exemple, désormais le nombre d'informations suffisant pour acheter une voiture. Seul bémol, je ne compte pas acheter de voiture.

J'ai aussi bon nombre de factures. Certaines sont automatiquement payées, je ne suis qu'informé de la transaction. Il en reste néanmoins quelques-unes. Je m'en occupe en premier lieu, histoire d'expédier cette besogne ennuyeuse. Une fois le plus désagréable achevé, je m'attelle au courrier plus… personnel. Quelques cartes de vœux colorées, venant de membres de ma famille que je n'ai pratiquement jamais vus me laissent de marbre, ou presque, néanmoins, de rares exceptions attirent mon attention. Un faire-part de naissance parvient à m’arracher une larme. Un ami d'enfance, presque un frère, a, avec sa femme, ajouté un fil de vie à l'humanité. Un garçon. Aussi beau qu'un ange. Je survole du regard les lettres, déchiffrant les noms griffonnés illisiblement. Une carte rouge, gorgée de parfum, me tape à l'œil, mais pas forcément pour de bonnes raisons. Je lève alors le regard, en quête d'un objet bien particulier.

— Tu cherches quoi ? demande une voix féminine.
— Almia ! Enfin ! je lui réponds, Je cherchais un briquet !
— Et pour quoi faire ?
— J'aurais voulu brûler cette lettre, dis-je en pointant du doigt la carte, mais j'ai bien peur de ne pas en avoir et de devoir me contenter de la déchirer.
— Pourquoi tu veux t'en débarrasser ?
— Disons qu'elle vient d'une personne… que j'avais très clairement expulsée de ma vie.
— Et qui est cette personne qui arrive à te mettre dans un tel état ?
— Et pourquoi ai-je droit à un interrogatoire pareil ?
— Pour savoir. La mort a un certain côté ennuyeux. Donc ?
— Rose. Une fille qui s'est imaginée que nous finirions notre vie ensemble, après seulement quelques paroles échangées.
— Si elle a été s'imaginer tout ça, je suis sûre qu'il y avait plus que quelques mots.

J’inspire profondément, déjà lassé de cette discussion qui ne mène nulle part. Quant à Almia, elle est blessée, je le vois. Mais je ne peux, et ne veux, rien lui cacher. Alors je m'aventure sur le terrain risqué et glissant des explications.

— D'accord, on a un peu flirté, mais il y a longtemps, à un âge où tout le monde le fait. Sauf que Rose... ne comprenait pas vraiment le principe. À chaque infime compliment que je lui faisais, elle m'imaginait la demander en mariage. Alors j'ai mis de la distance entre nous. Et elle l'a très mal pris. Elle a tenté de me harceler, mais j'ai été plus persuasif qu'elle et elle a arrêté. Enfin, c'est ce que j'ai cru. Elle a entrepris de lancer des rumeurs sur moi, comme quoi nous aurions été ensemble, elle m'aurait quitté, je lui en aurais voulu et l'aurais menacée. J'ai mis toute la distance que je pouvais mettre entre nous et, à chaque fois qu’elle tentait de prendre contact avec moi, je l'ignorais du mieux que je pouvais. Elle a sûrement fini par comprendre le message car elle a arrêté de me stalker. Et là, comme une fleur, elle revient, après des années, comme si nous étions de bons amis. Alors, oui, je voudrais détruire cette lettre.

Ma tirade l'étonne et elle me demande :

— Mais tu ne veux pas lui laisser une petite chance, en lisant sa lettre ?
— Des chances je lui en ai laissé des dizaines, lui proposant de tout reprendre à zéro si elle arrêtait. Elle les a toutes ignorées. Essaie de voir les choses de mon point de vue.
— Et toi du mien.

Elle me jauge du regard pendant quelques instants, je ne faiblis pas.

— Tu sais que Nolan a… elle hésite avant de couper court et conclure, Oh fais ce que tu veux.

Elle enchaîne sur un sourire, qu'elle veut vivant, que je trouve faux.

***

La soirée s'écoule, elle jouant avec Koridwen, heureux que je ne monopolise pas sa maîtresse, moi ruminant des souvenirs noirs. J'abhorre Rose pour revenir ainsi, au moment de ma vie où tout commençait à enfin aller bien.

Le milieu de la nuit passé, je m'approche d'elle.

— Tu m'en veux ?

Elle ne me répond pas.
Et merde.
Je m'installe sur mon lit.

— Je sais pas. Peut-être. Ou alors, non. J'imagine que j'en veux à d'autres. Comme Nolan. Qui ne m'a plus jamais répondu, à compter du jour où il est parti. Alors, je ne peux pas m'empêcher de l'imaginer là, Rose, c'est ça ?

Dans un souffle, je lui répond un "oui" presque inaudible. Son regard perd sa netteté et fixe un point invisible. Alors je me jette à l'eau :

— Excuse-moi.
— Quoi ? demande-t-elle, émergeant de sa rêverie.
— Excuse-moi, je répète.
— J'avais bien entendu. Ce que je veux dire, c'est… pourquoi ?
— Je me suis braqué, sans écouter ton avis, sûr que tu t'opposais à moi sans raison.
— Contente de te l'entendre dire, mais moi aussi je dois faire mon mea culpa. Je me suis fâchée contre toi, alors que tes raisons étaient aussi fondées que les miennes. Alors, on en fait quoi de cette carte ?
— Je n'ai toujours pas envie de la lire, en tout cas pas plus que tout à l’heure, mais je n'ai pas non plus envie de rester buté. Je te propose d'attendre. On range cette lettre, et dans quelques semaines, on l'ouvre, ensemble. Histoire que je me prépare mentalement.

Ses lèvres s'étirent, et elle m’offre enfin un sourire franc. Je ne peux que l'imiter. Derrière elle, formant un halo digne d'une déesse, l'aube se lève, déployant ses tentacules oranges dans le ciel nocturne. D'une moue déçue par le temps écoulé, elle achève cette nuit sur un “À ce soir" si plein de promesse et d'amour que je reste là, longtemps, à fixer le ciel qui s’éveille, l'air idiot, mais heureux.

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