Chapitre 28 ~ What ain’t living can never really die

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Mairie de Paris, XVIIIe arrondissement, mort à domicile n°8 402, rapport n°1 :

Il est 8h02 mardi dernier (mardi 26 janvier 2027) lorsqu'un habitant de notre quartier met fin à ses jours. Les analyses du laboratoire doivent le vérifier mais au vu des nombreuses boîtes de cachets éparpillées autour de lui, sa mort serait due à une surconsommation de ces médicaments. La piste de l'accident est très vite écartée car il ne présente aucune trace de violence au visage qui aurait pu témoigner d'une prise forcée de ces cachets. La piste sera néanmoins explorée. En revanche, l'état de l'appartement du concerné a été source d'interrogations. La chambre de bonne où il vivait seul avec son chat était dans un état déplorable. On peut clairement voir sur ses poings et ses pieds des marques montrant qu'il est à l'origine de ce chaos. Sa main droite, plus particulièrement, présente une blessure de gravité moyenne mais négligée qui aurait pu entraîner la mort, à long terme, sans les soins adaptés. Seul un bandeau ensanglanté tentait de soigner cette plaie. La majeure partie du faible mobilier présent a été détruite à la main, sans le moindre outil. Sur le sol étaient échouées plusieurs bouteilles et canettes d'alcools de différentes concentrations et de très nombreux mégots de cigarettes. Le studio était imprégné d’une odeur de tabac au-delà du supportable. De l'animal avec lequel il partageait la quinzaine de mètres carrés, il ne reste qu'un cadavre. Son corps, en décomposition, présente de nombreux coups, mais aussi des morsures. Le chat, sûrement tué par son maître, est resté pendant plusieurs jours, gisant au beau milieu de cette pièce macabre. L'homme n'a rien fait pour tenter de se débarrasser du corps.

Selon le voisinage, Sam Merlioz, l'homme découvert, sortait parfois la journée avant de ne plus faire le moindre bruit, alors qu'il était entendu chaque nuit menant des conversations seul, du lever au coucher du soleil, et ce pendant les trois mois précédant sa mort. Il y a de cela vingt jours, il a quitté les lieux pour quelques jours avant de revenir en pleine nuit, l'air perdu, à en croire ses voisins. Quelques habitants du quartier reconnaissent l'avoir croisé le soir du 7 janvier ; il déambulait dans la rue, les yeux exorbités, semblant n'apercevoir personne et obligeant les gens à s'écarter de son chemin pour ne pas être percutés. Cela mène à penser qu'il était sujet à la folie. Cet état serait la source du sort de l'animal.

Au-delà de l'observation, nous avons commencé à enquêter sur ses relations, pour vérifier les circonstances du décès. Il ne vivait pas dans le quartier mais y travaillait jusqu'à il y a plus de quatre mois dans une petite boulangerie où il a démissionné sans préavis, après avoir eu un comportement étrange pendant quelques jours et un arrêt maladie sans preuve d'un médecin. Il vivait à environ une demi-heure de là, mais a déserté son logement il y a peu, d'après ses parents. Là-bas, de nombreuses personnes disaient le connaître, mais seulement de manière superficielle, par des banalités échangées de temps à autre. La personne avec qui il a parlé le plus longtemps et le plus sérieusement, il y a quatre mois et demi de ça, est un vieil homme du quartier, M. Bernard Duchmain, le gardien de l'immeuble d’en face. M. Sam Merlioz serait venu le voir pour lui demander des renseignements sur Almia Fersetta, laquelle est décédée la semaine suivante, le 27 septembre 2026. On a ensuite découvert qu'il empruntait le même trajet quotidien que la jeune femme, aux mêmes horaires, ce qui n'exclut pas une relation plus ou moins intime. En effet, il avait prétendu être son cousin, tandis que les registres nous ont révélé qu’il n’en était rien. Néanmoins, ils n'ont jamais été vus ensemble donc la piste demeure extrêmement fine.

Dans l'immeuble où il a été retrouvé, à l'étage inférieur, vit avec son mari la femme qui a découvert le corps du jeune homme. Elle avait remarqué qu'il ne faisait plus le moindre bruit depuis quelques jours et est donc montée à l'étage supérieur pour toquer à la porte de M. Merlioz. N'ayant pas de réponse, elle a réitéré le jour suivant. Le même scénario se répétant, alarmée par les propos de la pharmacienne ayant vendu un bandage à M. Merlioz pour sa blessure, elle a prévenu les autorités concernées et les a guidées jusqu'au corps.

Nous avons aussi constaté un détail qui sera peut-être utile aux recherches : lors de la découverte de son corps, Sam Merlioz serrait, entre ses bras, un carnet, entièrement rédigé de sa main au vu des documents trouvés dans son appartement. Vous en trouverez la copie ci-jointe.

***

Il était 8h02. Elle prenait le même bus que moi. Je ne l'avais jamais vue auparavant. Je l'observai comme chaque individu dont ma vie croisait la trajectoire. Lorsqu'on est écrivain, il faut bien trouver une source d'inspiration. La mienne venait des gens que je croisais. Cette jeune femme, pas si différente des autres, ne m'avait au premier abord pas paru spéciale. Cependant, elle empruntait le même trajet que moi. À l'arrêt près. À la descente du bus, elle se rendit dans une agence de mannequinat, le pas et l'attitude assurés. À peine eut-elle disparu de mon champ de vision qu'elle quitta mon esprit. C'était une belle journée de janvier, la première depuis longtemps, et je passai une bonne partie de la journée à déambuler dans le quartier. Je cherchais alors du travail, mais le soleil qui illumina le ciel toute la journée m'avait poussé à repousser au lendemain cette tâche bien trop déprimante. Le cœur léger, je me baladais, l'esprit habité par les beaux traits de l'inconnue. À 17h30, elle sortit de l’agence, le sourire aux lèvres. Je décidai de prendre le même bus qu'elle car, inconsciemment, elle m'intriguait, m'attirait. Le véhicule que nous attendions arriva presque trop vite à mon goût, abrégeant ma contemplation. Nous montâmes dans le bus et vingt minutes plus tard, je pus constater qu'elle descendait effectivement au même arrêt que moi. Je restai en retrait lors de la descente afin d'entrevoir la direction qu'elle empruntait. J'eus la surprise de découvrir qu'elle habitait en face de chez moi, dans un vieil immeuble dont les fenêtres avaient un vis-à-vis parfait sur mon appartement.

Dans mon innocence naïve, je ne pouvais savoir où me mènerait cette histoire digne des plus inconcevables mythes inventés en ce monde.

Parfois, je me demande ce qui serait arrivé si ce jour-là j'étais resté souffrant au fond de mon lit ou si elle s'était levée en retard. Si je n’avais pas décidé de sortir et reprendre ma vie en main, je n'aurais jamais posé les yeux sur elle. Peut-être que si nous nous étions vus un autre jour, je n'aurais pas accroché de la même manière à l’aura de cette femme. Ou encore, si elle était descendue à un arrêt différent du mien, je ne l'aurais éventuellement pas ainsi observée pendant des mois.

Mais le fait est que, en dépit de tous ces "si", ce jour-là fut le début d'une longue histoire qui, je l'ignorais, me mènerait à ma perte. Car oui, je me suis donné la mort pour elle.
Almia Fersetta.

Qui eut cru que sous un nom aussi beau se cachait une personne si complexe qu'il me coûterait la vie de l'approcher. [...]

***

Le document dont est tiré l'extrait ci-dessus comporte ainsi plus d'une centaine de pages, racontant la vie et la mort d'Almia Fersetta, suivies des jours après "sa disparition totale", comme se plaît à les décrire M. Merlioz. En effet, d'après son auteur, elle aurait eu un "sursis" après sa mort, temps qu'elle aurait passé avec lui. Sa lecture laisse très clairement penser que la mort de Sam Merlioz est due à un suicide, notamment les dernières pages où il décrit sa descente aux enfers due à la disparition de la jeune femme, datant pourtant de deux mois. Malgré leur lien apparemment faible, il décrit la jeune femme avec une telle précision, et pendant tant de pages, que nous prolongerons notre enquête dans cette direction pour découvrir de quelle manière il a obtenu toutes ces informations.

Une des dernières volontés du mort, écrites sur une feuille rédigée et signée de sa main, est que cette histoire soit publiée. Il dit, je cite, “estimer qu'elle mérite d'être connue, qu'on se souvienne d'elle, et qu'une femme pareille ne peut avoir pour seul hommage une pierre couverte de poussière”. Une fois ce livre étudié le cadre de l'enquête, puisqu'il semble concerner directement la vie de la victime, et la vérification que cet ouvrage ne divulgue aucune information confidentielle, il sera remis à des membres de la famille qui jugeront nécessaire ou non de l'envoyer à une maison d'édition. Nous ne savons pas encore si le papier est suffisamment officiel pour être considéré comme un testament, mais il appartient néanmoins aux proches de la victime, ce qui n'exclut pas une publication. Nul doute qu'un tel drame écrit de la main d'un écrivain décédé, ayant de plus déjà remporté un prix littéraire, ne sera pas sans intérêt. 

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