27.1

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Sous le domaine des Adade, comme sous beaucoup d’autres, s’étendait une structure bien antérieure à la résidence qui la surplombait. Cette architecture souterraine avait jadis appartenu à une firme de mégissiers spécialisés dans le cuir de basilic. À l’extinction de l’espèce en Terres Connues, le commerce de sa peau s’était effondré, remplacé par celui du cuélebre, dont la surpeau métallique était appréciée des forgerons autant que son cuir ignifuge l’était des tanneurs.

De ce passé venait que toutes les alcôves du sous-sol étaient munies de barreaux. Les parois se paraient de sillons courbes. Sous de faux semblants aléatoires, presque décoratifs, ce motif avait été conçu pour faire de l’habitat une immense relique. L’arcane qui y était rattaché, incarné par un assemblage de glyphes à fouler du pied en entrant, servait à entraver la magie de ceux qui occupaient les lieux. Eût-on dit à Hiram qu’il aurait un jour l’utilité de ce tracé…

Il était entre deux et trois heures du matin. Hiram aurait pu être au chevet de son fils aîné, près de ses filles ou dans le lit d’une de ses femmes, au lieu de quoi il se tortillait sur une chaise bancale dans l’humidité de ses caves, tâchant d’amorcer un dialogue avec ce qui avait été son fils cadet.

Le fabuleux se recroquevillait sous sa forme humaine à même le sol de la cellule aménagée pour lui. Il tremblait un peu.

— Tu devrais passer les vêtements qui t’ont été apportés, lui conseilla Hiram. Tu vas finir par attraper froid.

L’adolescent pouffa. Hiram se renfrogna.

— Tout à l’heure, tu as dit que tu n’étais pas Benabard. Comment faut-il t’appeler ?

— Pourquoi vous voudriez m’appeler ?

— Par respect.

— J’ai presque tué votre fils. Vous êtes sûr de vouloir me respecter ?

— Je ne le veux pas, mais je le dois. Comment faut-il t’appeler ?

— Vous êtes fou.

— Comment faut-il t’appeler ? répéta Hiram un ton plus haut.

Il y eut un silence. Cette accalmie laissa deviner l’activité d’un rongeur dans la réserve de grain. Hiram songea qu’il lui faudrait avancer la prochaine dératisation avant de se rendre compte que c’était là le cadet de ses soucis.

— C’est drôle, reprit distraitement le fabuleux, je crois que je ne vous ai jamais entendu vous mettre en colère en treize ans, mais vous l’avez fait deux fois aujourd’hui. Vous avez la voix qui porte.

— Tu ne réponds pas à ma question.

— Je n’ai pas de réponse à donner. Je suis né il y a dix jours, je n’ai pas de nom.

— Vraiment ? Et comment es-tu né ?

— Je suis né d’un dragon… et d’un humain.

— Tu es né d’un arcane sacrilège ? comprit Hiram.

— Appelez ça comme vous voulez, et appelez-moi comme vous voulez.

— Qui en a été ton nécromant ?

— Cela n’a aucune importance.

— Où et quand est-ce arrivé ?

— Dans l’Éternité.

— Qu’appelles-tu l’Éternité ?

— L’Éternité, s’entêta la créature.

Le fabuleux détailla la cellule à la faible lueur d’une lampe à huile vacillante.

— C’est grand, ici. Plus grand que mon ancienne cage, je veux dire. Mais ce n’est pas assez grand pour voler. J’aurais le droit de sortir pour voler, si je promets de ne pas m’enfuir ?

Ce disant, il avait tout à fait changé d’air et de ton. Ce revirement laissa Hiram pantois.

— Vous ne voulez pas ? C’est parce que je n’ai pas voulu m’habiller ? Si je m’habille, j’aurais le droit ?

Il se traîna jusqu’à la pile de linge et s’empara de la chemise l’air de vouloir l’enfiler, sans savoir comment faire. Il finit par la laisser tomber avec abandon.

— Qu’est-ce que je… Bien sûr que non, je n’aurai pas le droit ! se récria-t-il d’une voix inégale. Je suis un fabuleux, maintenant, un misérable apatride ! J’aurais de la chance si Oncle Archibald me trouve une place dans sa ménagerie ou seulement ailleurs que dans une… tombe… Pourtant, je n’ai rien…

Une lueur de dément lui alluma le regard.

— Est-ce que… balbutia-t-il, est-ce que je peux parler à ma… à votre femme ?

— Mildred ? Elle est endormie et peu prête de se réveiller. Je lui ai servi une version très édulcorée de ce qui s’est passé ce soir. Elle s’est lourdement médicamentée pour trouver le sommeil.

L’être composite serra les lèvres.

— Si elle meurt dans la nuit, vous me tuerez ?

Hiram s’étrangla.

— Tes questions me… déconcertent, avoua-t-il.

— Je sais que vous l’avez épousée pour sa dot, mais je crois que vous l’aimez quand même un peu. Vous allez vouloir que ce soit la faute de quelqu’un, si elle meurt, comme vous voulez que ce soit celle de quelqu’un si Benabard est mort. Cette fois-ci, ce sera ma faute à moi.

Le père épuisé se malaxa les tempes, réalisant qu’il avait débuté la conversation sans vraiment y être prêt, il se leva pour partir.

— Habille-toi, ordonna-t-il ultimement. Je repasserai te voir demain.

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