49.1

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Denève avait toujours aimé la vue qu’offrait la chambre du baron sur son domaine. Le fauteuil qu’elle s’était installé près d’une fenêtre pour l’admirer tenait toujours sa place. Sortie du lit, elle s’y était lovée avec orgueil et nostalgie pour contempler ce paysage de roche, de plaines, ses étendues d’eau miroir et monuments épars, oubliant presque la brosse arrêtée à la moitié de ses cheveux en désordre. Léopold la lui prit des mains pour accélérer le processus.

— Vous traînez, la semonça-t-il.

— Je prends mon temps, nuança-t-elle. Pourquoi les hommes sont-ils toujours si pressés après l’amour ?

— Je ne saurais parler en leurs noms à tous mais, pour ma part, je reçois actuellement une quarantaine de personnes dont une quinzaine d’enfants et je dois faire ouvrir ses cadeaux à Yue avant de servir la pièce montée.

Il noua adroitement les cheveux de son amante en chignon avant de réépingler sa coiffe, puis de finir de boutonner ses propres manches.

— Décidément, vous avez tous les talents, apprécia Denève en admirant son reflet diaphane entre les croisées.

— Vous devez fréquenter beaucoup d’incompétents pour être impressionnée par ce genre de broutille.

— Hélas, tous mes amants ne sont pas prince de Tjarn.

Sans répondre, il alla s’affairer du côté de l’antichambre, puis revint lui présenter un verre d’eau ainsi qu’une fiole de poudre blanche sur un plateau. Denève reconnut la substance et poussa un long soupir.

— Vous avez bien que cela me rend malade. Tenez-vous à ce point à ne pas produire de descendance ?

— J’y tien effectivement. Les bâtards sont trop redoutables.

— Les nôtres vous seraient fidèles.

— Ils n’existeront pas, s’entêta-t-il. Le plaisir a été pris, voilà la peine.

— Léopold, vous n’êtes pas amusant, récrimina-t-elle en diluant la poudre

— Je ne cherche pas à l’être.

Le goût de la solution lui fit sentir d’avance nausées et étourdissements. Léopold reprit d’une voix insolemment tranquille :

— Notre longue absence risque de poser question. Nous dirons que vous êtes subitement trouvée mal après avoir pris votre liqueur pour l’avoir bue trop vite. En gentilhomme, je vous ai offert de vous allonger au calme. À présent vous êtes mieux, quoiqu’encore étourdie.

— N’avons-nous pas jouer la même comédie au dernier bal où nous avons été ensembles ?

— À moins d’une meilleure idée, ce sera cela ou l’opprobre.

Naturellement, ce fut cela.

La réception se poursuivit, sans autre mauvaise surprise que le contenu des paquets que Yue eut à déballer : un ourson en peluche grandeur nature et fourrure véritable, un serpent blanc dans son terrarium, trois petits poissons aux écailles multicolores avec des nageoires en forme d’ailes, deux bébés jackalope, un oisillon à tête de lion sous une cage dorée…

— C’est un anzû, lui apprit Léopold. C’est très rare, cela. Tu es gâtée. Remercie Mestre Korzach pour ce magnifique présent.

Elle n’avait pas attendu cet ordre pour chorégraphier la révérence de gratitude qu’elle n’avait eu de cesse d’exécuter depuis le début du déballage. Mestre Korzach se lança alors dans le récit de la chasse glorieuse dont il avait ramené deux créatures semblables.

— J’ai voulu offrir ce spécimen à mon fils, qui commence tout juste sa collection, mais il a insisté pour que nous l’offrions à votre protégée. Timofei est un de ses admirateurs depuis qu’il l’a vue sur scène, il y a trois ans. Il n’en a pas cru ses oreilles en apprenant qu’il allait pouvoir devenir son ami en plus de son voisin.

Il exagérait un peu trop pour être honnête, mais puisque le baron n’attendait pas la moindre sincérité de ses invités, son acte d’allégeance en valait un autre. Denève lui épargna d’avoir à s’humilier davantage en coupant court à ses flatteries :

— Aline, apporte notre cadeau, s’il te plait. Tout le monde doit avoir hâte de passer à table.

— Bien, Maman, acquiesça-t-elle en allant quérir le paquet.

C’était une boîte immense qu’elle éprouvait quelques difficultés à déplacer. Elle la déposa aux pieds d’une Yue fatiguée que Léopold dut presser un peu. Elle tira sur les nœuds de rubans soyeux qui se défirent dans un petit bruissement gracieux, souleva le couvercle… Léopold darda un regard assassin à Denève qui, toujours un peu mal, s’affalait sur une chaise à bras à la façon d’une aïeule.

— Vraiment, Madame ?

— Qu’est-ce à dire, vraiment ? le défia-t-elle. Cette chère petite n’a-t-elle pas l’air ravie ?

Yue s’était subitement rappelée comment sourire. Son visage exprimait la joie avec tant d’éloquence que toute tentative de nier aurait été risible.

Sous ses yeux remplis d’étoiles brillaient une somptueuse arbalète et sa provision de carreaux, plus belle encore que celle de Krisha.

— Puisque nous somme voisins, nous organiserons des parties de chasse ensemble, n’est-ce pas ? Les petites apprendront à tirer ensemble.

Léopold se contint pour ne pas hurler tout le déplaisir qu’une telle sortie lui occasionnerait. Au lieu de cela, il pria Yue de se fendre d’un énième protocole de remerciement et demanda à ce que les cadeaux les plus vivaces soient pris en charge.

Au même moment, un convoi opulent remontait l’allée principale. Quatre heures sonnaient. So Hae Temehn était là.

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