49.1
Depuis la chambre du baron, Denève avait vue sur l’ancienne tour de guet, refuge des crieurs. Elle l’observait autant qu’elle se sentait observée, l’œil hagard. Elle en oubliait la brosse arrêtée à la moitié de ses cheveux en désordre. Léopold la lui prit des mains pour accélérer le processus.
— Vous traînez, la semonça-t-il.
— Je prends mon temps, nuança-t-elle. Pourquoi les hommes sont-ils toujours si pressés après l’amour ?
— Je ne saurais parler en leurs noms à tous mais, pour ma part, je reçois actuellement une trentaine de personnes dont une dizaine d’enfants et je dois faire ouvrir ses cadeaux à Yue avant que nous passions à table.
Il noua adroitement les cheveux de son amante en chignon avant de réépingler sa coiffe, puis de finir de boutonner ses propres manches.
— Décidément, vous avez tous les talents, apprécia Denève en s’admirant dans la psyché.
Léopold avait cela que beaucoup de biens nés dédaignaient : la volonté d’être capable. Denève aimait cette part de lui, presque plus que les autres.
— Il faut savoir se contenter, philosopha-t-il. J’ai appris tout petit. Vous devriez essayer.
Elle poussa un long soupir.
— Léopold, vous n’êtes pas amusant.
— Je ne cherche pas à l’être.
Il alla s’affairer du côté de l’antichambre, sans que Denève n’y vît rien, puis revint lui présenter un verre d’eau ainsi qu’une fiole de poudre blanche sur un plateau. Elle reconnut la substance.
— Vous tenez à ce point à ne pas produire de descendance ?
— J’y tien effectivement. Les bâtards sont trop redoutables.
— Les nôtres vous seraient fidèles.
— Ils n’existeront pas, s’entêta-t-il. Prenez ceci de gré, ou j’emploierai la force.
À raison, Denève le prit au mot et céda. Le goût de la poudre diluée lui fit sentir d’avance nausées et étourdissements. Léopold reprit d’une voix insolemment tranquille :
— Voici l’explication de notre longue absence. Vous vous êtes subitement trouvée mal après avoir pris votre liqueur pour l’avoir bue trop vite et à jeun. En gentilhomme, je vous ai offert de vous allonger et de prendre une collation au calme. À présent vous êtes mieux, quoiqu’encore étourdie.
— Déjà fait, rappela Denève.
— À moins d’une meilleure idée, ce sera cela ou l’opprobre.
Naturellement, ce fut cela.
La réception se poursuivit, sans autre mauvaise surprise que le contenu des paquets que Yue eut à déballer cérémonieusement : un ourson en peluche grandeur nature et fourrure véritable, un serpent blanc dans son terrarium, trois petits poissons aux écailles multicolores avec des nageoires en forme d’ailes, deux bébés jackalope, un oisillon à tête de lion sous une cage dorée…
— C’est un anzû, lui apprit Léopold. C’est très rare, cela. Tu es gâtée. Remercie Mestre Korzach pour ce magnifique présent.
Elle n’avait pas attendu cet ordre pour chorégraphier la révérence de gratitude qu’elle n’avait eu de cesse d’exécuter depuis le début du déballage. Mestre Korzach se lança dans le récit de la chasse glorieuse dont il avait ramené deux créatures semblables.
— J’ai voulu offrir ce spécimen à mon fils, qui commence tout juste sa collection, mais il a insisté pour que nous l’offrions à votre protégée. Timofei est un de ses admirateurs depuis qu’il l’a vue sur scène, il y a trois ans. À l’époque, il m’avait même demandé si je pouvais la lui…
…acheter ? supposa Léopold.
Mestre Korzach s’abstint de conclure malgré l’assemblée était pendue à ses lèvres, expectative. Le nouveau statut de Yue lui interdisait ce genre de commentaire. Denève lui épargna d’avoir à s’humilier :
— Aline, bonne enfant, apporte notre cadeau, s’il te plait. Tout le monde doit être pressé de passer à table.
— Bien, Maman, acquiesça-t-elle en allant quérir le paquet.
C’était une boîte immense qu’elle éprouvait quelques difficultés à déplacer. Elle la déposa aux pieds d’une Yue fatiguée que Léopold dut presser un peu, quatre heures approchant. Elle tira sur les nœuds de rubans soyeux qui se défirent dans un petit bruissement gracieux, souleva le couvercle…
Léopold darda un regard assassin à Denève qui, toujours un peu mal, s’affalait sur une chaise à bras telle une ancêtre.
— Vraiment, Madame ?
— Qu’est-ce à dire, vraiment ? le défia-t-elle. Cette chère petite n’a-t-elle pas l’air ravie ?
Yue s’était subitement rappelée comment sourire. Son visage exprimait la joie avec tant d’éloquence que toute tentative de nier aurait été risible.
Sous ses yeux remplis d’étoiles brillaient une somptueuse arbalète et sa provision de carreaux, plus belle encore que celle de Krisha.
— Puisque nous somme voisins, nous organiserons des parties de chasse ensemble et Aline montrera à Yue comment tirer.
Léopold se contint pour ne pas hurler tout le déplaisir qu’une telle sortie lui occasionnerait. Au lieu de cela, il pria Yue de se fendre d’un énième protocole de remerciement et demanda à ce que les cadeaux les plus vivaces soient pris en charge.
Au même moment, une suite nombreuse se faisait faire place dans l’allée. Quatre heures sonnaient. So Hae Temehn était là.
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