57.1

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En acceptant de devenir Draconnier Impérial, Galbret Selemeg s’était attendu à devoir gérer des questions éminentes de sécurité et de diplomatie. Ses illusions n’avaient pas survécu à un décan de son nouvel office.

Sa position consistait à voir son barbier souvent, sourire beaucoup et porter un uniforme lourd de décorations, conçu pour donner une image propre et rassurante de son ordre, au peuple autant qu’à la classe dirigeante. Il grossissait l’entourage des rois, paradait les jours de fêtes publiques, serrait des mains, prononçait des discours à l’occasion et, le reste du temps, se cherchait une utilité.

Le plus souvent, il en trouvait auprès de recrues prometteuses dont il s’efforçait d’aider la carrière. Plusieurs programmes de perfectionnement étaient nés de ses initiatives, dont un, aux techniques de vol, qui restaient sous son contrôle exclusif.

Puisque beaucoup de ses apprentis sortaient tout juste de leur premier cycle de formation, mineurs pour les plus précoces, Galbret avait reçu ordre d’en choisir au six, âgés de douze à seize ans, pour une chorégraphie aérienne, à présenter le jour de l’Exhibition des enfants Collectionneurs. C’était beaucoup surestimer le nombre de ces perles rares et leur capacité à être prêtes dans le temps impartis, mais le Draconnier Impérial aimait les défis.

Il les aimait tant que pour compléter la demi-douzaine imposée, il avait consenti à intégrer une civile à son tableau, petite fille supposée prodige recommandée par un pair et dont il était curieux.

Il arriva au Médaillons par la voie des airs en milieu d’après-midi. Épuisée par trois heures de vol, sa dragonne atterrit lourdement sur le sable, dans un grognement qui fit comprendre à Galbret qu’il n’allait pas falloir compter sur elle pour multiplier les démonstrations.

— Ça va, repose-toi.

Il lui glissa de sa selle, les jambes un peu engourdies, toujours plus avec l’âge. Une foule plus importante que ce à quoi il s’était attendu s’affairait autour du cercle et dans les gradins, si bien qu’il aurait eu du mal à retrouver ses oilles si elles n’avaient pas été entourée de leurs propres montures.

Il les aborda avec ce qu’il fallait de sérieux sans faire de cérémoniel, soucieux du bon exemple, fatigué des faux semblants.

— Toi, puceron, se pencha-t-il dans un accès de familiarité, tu dois être la protégée du neuvième prince.

Les yeux vairons de la petite s’arrondirent. Galbret s’égara momentanément entre le gris et le noir.

— Qui ? bredouilla-t-elle.

— Tu l’appelles plutôt baron, je présume. Tu es bien Yue ?

— Oui, Monsieur le Général.

— Général suffira.

Il considéra le dragonneau derrière elle, s’émerveilla de la rareté du spécimen et de son calme remarquable compte tenu de l’agitation environnante.

— Il a l’air docile, ton volcan. Est-ce qu’il a un nom ?

— Oui, il s’appelle Bard.

— Amusant. Vous volez beaucoup ensemble, Bard et toi ?

— Beaucoup, non. Je monte souvent, et Bard vole souvent, mais je monte un dragon qui sait voler depuis longtemps et Bard, c’est quelqu’un qui monte depuis longtemps qui le fait voler. Aujourd’hui, ce sera la…

Elle compta sur ses doigts.

— La quatrième fois pour nous deux, ensemble.

Un rire nerveux échappa à un des plus grands. Galbret leva une main autoritaire en guise de rappel à l’ordre.

— Est-ce que tu connais bien les quatre manœuvres de base ?

— Le décollage, le vol stationnaire, le virage simple et l’atterrissage, récita Yue. Je sais faire.

— Bien ! Tu ne vas pas avoir besoin de beaucoup plus, j’ai prévu un exercice plutôt facile. Tu n’as aucune raison d’avoir peur, d’accord ?

— J’ai pas peur, la détrompa-t-il. Je connais déjà plein de figures difficiles, aussi.

Galbret leva un sourcil intrigué, presque incrédule.

— Lesquelles, dis-moi ?

— Je connais pas bien tous les noms, mais je peux vous montrer, si vous voulez.

— Tant que tu es sûre de ne pas te blesser, accepta-t-il.

Yue enfourcha sa monture avec une aisance notable, avança au pas jusqu’à une zone dégagée puis sécurisa rapidement son équipement. Au signal, le vulcanien fit tempêter ses ailes dans un nuage de poussière, il vrilla vers les cieux à la force d’une unique impulsion. Les ailes progressivement déployées vers l’horizontale, il décrivit un cercle plané au-dessus des gradins.

Après l’ascension, la chute : une plongée un peu trop oblique pour être piquée, mais qui s’en rapprochait, le redressé à ras du sol dans une seconde volte de sable. Nouveau cercle plané. Les pieds solidement appuyés aux étriers, les mains agrippées aux guides, la petite se leva, le corps légèrement renversé pour assurer son équilibre, pendant que sa monture reprenait de l’altitude.

Galbret souffrit une légère palpitation en comparant qu’elle exécutait une boucle aérienne, si ample qu’elle eu la tête en bas plusieurs secondes. Son rétablissement fut un peu maladroit, mais ne la déstabilisa pas longtemps. Une série de glissades latérales, un virage incliné, une tentative de tonneau, balbutiante, mais honorable. Une ultime vrille et un atterrissage propre. Yue ne mentait pas. Les bases leur était acquise.

Non contente de son prodige, la petite voltigeuse descendit mit pied à terre avec ostentation, dans acrobatie leste et légère qui agita à peine le sable sous ses pieds.

Un silence ahuri planait sur le Médaillon, entrecoupé de murmures. Un sourire d’enfant rassasié de jeu illuminait le visage de Yue. Cette démonstration l’avait amusé plus qu’épuisé.

— Alors ? haleta-t-elle en revenant vers Galbret. Je vole assez bien ?

L’euphémisme le fit rire.

— Où est-ce que…

Une seconde fois, il se laissa distraire par la singularité de son regard.

— Tu voles plus que bien, pour ton âge, se reprit-il.

— Seulement pour mon âge ? bouda-t-elle. Ça veut dire pas pour de vrai ?

— Non, ça veut dire que tu manques encore de technique et de stabilité, sans compter que tu prends beaucoup de risques inutiles.

La remarqua vexa visiblement.

— Mais j’aime beaucoup ton style, puceron. J’ai bien l’intention de faire de toi une voltigeuse remarquable, enfants et adultes confondus.


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