60.1

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La convalescence de Bard fut courte. Partielle, de surcroit. Dispensé de corvées et d’exercice physique, il dut tout de même assister à tous les entraînements du corps de ballet aérien pour prendre note des remarques de Selemeg, le tout prostré dans l’ombre du draconnier, chevilles et poignets liés par les fers.

Sur son temps libre, Yue gardait le fabuleux dans sa chambre pour lui garantir quelques heures de tranquillités. Le procédé s’avérait d’une efficacité remarquable. Personne ne vint jamais l’en déloger de force, sinon le glas de l’extinction des feux : Yue dormait invariablement seule, enfermée à double tour, tandis que les esclaves, sauf exception, couchaient au sous-sol, près des locaux techniques : prêts à servir au réveil.

Au bout de six jours, Bard se trouva mieux : assez pour que Mestre Selemeg l’autorisât à reprendre la voltige. Son dos le lançait encore terriblement du fait de deux côtes fêlées, mais sa forme draconique n’en pâtissait pas au même degré. Il en vint à éprouver du soulagement lors de ses transformation, quoiqu’elles le laissassent plus fatigué qu’auparavant.

— Les vulcaniens compte parmi les dragons les plus rapides, mais l’endurance leur fait défaut, expliqua Selemeg à Yue pendant une pause. Sans compter que le tient est encore un bébé. S’il est en plus en train de guérir, il est normal qu’il soit plus fatigué que d’habitude.

— Est-ce que je peux l’aider à guérir ?

— Tu peux seulement le ménager lorsque tu peux.

La fillette observa le dragonneau du coin de l’œil. Épuisé par un long vol, il profitait d’un moment de répit pour récupérer, enroulé sur lui-même sous un rayon de soleil.

— Laissons-le dormir une heure ou deux, offrit charitablement le draconnier. Que dirais-tu de monter Enne ?

Les yeux de la petite voltigeuse s’écarquillèrent. Enne, une sublime dragonne à l’écaille bleu qui fendait le ciel avec la grâce du vent, appartenant au mestre lui-même. Yue n’en croyait pas sa chance. Elle en oublia de répondre.

— Tôt ou tard, Bard va grandir, argua Selemeg pour la décider. Beaucoup, et plus que toi. Il faut que tu t’habitues à monter des dragons adultes si tu veux continuer la voltige aérienne avec lui. Et cela t’aidera pour le ballet de sentir ce que cela fait d’exécuter la chorégraphie sans faute.

Ainsi, elle emprunta ses ailes à Enne pour le second vol le plus exaltant de sa vie : le premier restant indétrônable.

Cet évènement excita les échos de la ville. Nourrie d’exagérations, la rumeur érigea Yue au statut de successeur désigné du draconnier Impérial, celui-ci l’ayant soi-disant prise sous son préceptorat. Cela disposait Léopold Makara à la bonne humeur. Rien ne l’enchantait comme une bonne publicité.

Si le baron s’investissait peu dans les exercices de voltiges de sa pupille, il consacrait une importante partie de son temps à entretenir son image. Pour ce faire, il veillait à l’habiller de neuf, lui faire porter l’emblème de leur maison avec ostentation et la promenait de restaurants fins en salons mondains pour qu’elle se fît voir de la belle société : tout pour que son éclat fût celui d’une jeune baronne talentueuse au physique atypique plutôt que celui d’une esclave de foire au monstre populaire.

Avant peu, c’en fut fini des répétitions de la parade et la capitale Leum vit affluer en masse les futurs consacrés, leurs familles et leurs amis. Leur élégance et leur faste habilla les rues de couleurs. Parallèlement, les attractions pour petits et grands s’implantèrent par dizaines dans les espaces publics et le nombre de gardes impériaux en faction décupla partout. À l’approche de l’Exhibition, la ville cessait de dormir, éclairée de nuit par la lueur festive mille lanternes suspendues.

Pour récompenser ses efforts et leurs fruits, le baron mena Yue s’aérer le long de l’avenue principale la veille du grand jour.

— La ville ressemble au cirque en plus grand, maintenant, observa la fillette à l’adresse de son tuteur.

— Tu ne crois pas si bien dire, réagit-il. Lorsque j’avais ton âge, les Exhibitions étaient encore d’une solennité déprimante. Nul n’associait la caste des collectionneurs au monde du divertissement. Pas de cette façon, du moins. Le succès de l’Héliaque a eu un impact que tu ne soupçonnes pas sur l’image des chimères et des fabuleux dans la société Réelle. Pour ne rien te cacher, j’aspire à ce qu’une certaine reconnaissance me sois témoignée pour cela avant peu.

— Vous voulez devenir célèbre ? comprit Yue.

— En quelque sorte.

— En quel sorte ?

— À travers ma gloire personnelle, je veux rendre justice à une tierce personne. Je dois mon succès à beaucoup d’idées qui ne sont pas les miennes, mais les siennes. Elle se moquait allégrement de la noblesse Réelle qui se targuait d’avoir assis sa domination sur les races chimériques sans avoir cesser de les craindre, ni de les combattre. Elle me répétait que le jour où les Réels n’auraient plus peur des arcanes et de leur engeance, ils en riraient ; qu’ils joueraient avec aussi innocemment qu’un enfant joue avec une poupée.

— Donc… L’Héliaque, vous l’avez créé parce que vous aviez peur avant ?

— Ne m’insulte pas.

— Pourquoi, alors ?

— Je viens de te l’expliquer. Tant pis si mes raisons t’échappent.

— Elle est compliquée, votre explication.

— Tu n’en auras pas d’autres, Yue. Contente-toi de profiter de la promenade.

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