66.2

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Enfermé dans ce qui ressemblait à une cage pour loup géant, Jarolt commençait tout juste à se rendre compte du pétrin dans lequel il s’était fourré. La nuit était tombée. L’odeur d’écurie lui soulevait le cœur. Une chaleur tout aussi écœurante l’enveloppait. Les chevaux et autres bestiaux, ses compagnons d’infortune, lui tenait chaud autant qu’ils l’incommodaient par leurs puanteurs entremêlées, et tout ça ne représentait que ses problèmes les moins préoccupant.

Un prince de Tjarn le retenait en otage, convaincu du tenir une sorte de pervers qui en aurait après sa rejetonne pendant que le véritable amour de sa vie – oui, véritable –l’attendait quelque part dans la montagne.

Au moins ses fers n’étaient-ils pas trop serrés. Il trouvait presque amusant d’avoir été attaché aux chevilles plutôt qu’aux poignets. Il s’imaginait déchaussant sa jambe de bois et souriait de pouvoir se dire à moitié libre, ce faisant.

— T’es complètement con, mon pauv’ Jaro’, se railla-t-il nerveusement. Foutus Yggdrasil… Tu verras où j’te la mettrait, ma prothèse.

Un hennissement de cheval se leva, qui parut l’approuver.

— Exactement ! renchérit-il. C’te galère…

En entendant l’écurie s’agite de plus belle, il devina une présence humaine ou presque, secoua les fourmis de se jambes pour se lever, approcher des barreaux et voir qui approchait.

Un grand type, son âge ou plus jeune, avançait à pas lent dans l’écurie, ses yeux couleur de feu luisants dans la pénombre, sans cligner.

Les mots manquèrent à Jarolt lorsqu’ils ne furent plus séparés que d’un mètre et quelques barreaux.

— Le bruit court que tu as entendu le chant de sirènes et que ça t’a rendu fou, jeta le fabuleux de but en blanc. Est-ce que tu l’es ?

— Quoi, fou ? P’t-êt’. Mais m’ont rien fait les sirènes. À part me bouffer la jambe, je veux dire.

Cette histoire, Jarolt ne la racontait jamais complétement, soucieux de ce que pourrait penser les autres en apprenant qu’il n’avait survécu à sa carrière militaire que par la grâce d’une des carnassières à écailles à qui son vaisseau de campagne donnait la chasse. Mieux valait laisser croire au mythe millénaire d’un chant ennemi des marins et d’un gamin chanceux.

— T’es qui, toi, pour commencer ? l’interrogea Jarolt en s’efforçant de garder contenance.

— Juste un esclave. Tu peux m’appeler Bard.

— Oh, marrant. T’as pas l’air du genre qui chante en jouant du luth.

La plaisanterie ne froissa pas le moindre muscle du visage presque humain. Jarolt toussota nerveusement, irritant sa gorge déjà sèche.

— Qui ta raconté ma p’tite légende ? poursuivit-il.

— Peu importe. Je suis seulement venu te demander si tu voulais passer aux aveux. Notre Mestre finira par découvrir ce que tu es venu faire ici et il t’en voudra de t’avoir obligé à le découvrir par ses propres moyens. À ta place, je parlerai.

Aucun mensonge crédible ne vint au prisonnier pour sauver sa peau sans risquer celle de Sanaeni ou trahir ses principes.

— Quoi, il va m’rouer de coup ? Me tuer ?

— Tu crois que tu n’as rien d’autre à perdre que ta vie ?

La menace nonchalante lui dévala l’échine en un frisson d’angoisse.

Encore une occasion ratée de te taire !

— Ton odeur est étrange, jeta subitement le fabuleux. Tu sens…

La lune ? songeant Jarolt en se rappelant l’eau astrale dans son outre. Cette idée en fit naitre une autre, en lui, qui jaillit un peu trop brusquement d’entre ses lèvres.

— Une servante ! En fait, je suis venue pour une servante. Je l’ai vu hier et je l’ai trouvé… ‘fin, tu vois, j’devais la revoir, lui demander son non et tout… Je voulais de mal à personne.

Bard haussa un sourcil, étonné ou incrédule.

— T’as qu’à demander en ville ! C’est elle que je cherche, insista-t-il.

— Ce sera fait, promit le fabuleux d’une voix omineuse, sa voix naturelle réalisait doucement le prisonnier. Ma mestresse passera te voir bientôt.

Son départ laissa Jarolt étourdi, sans pensée, presque sans espoir. Il avait un peu trop faim pour réfléchir. Ses geôliers comptaient-ils le nourrir ?

En vérité, le baron et sa femme n’y pensait seulement pas, trop occupés à n’être plus d’accord sur rien pour vraiment décider quoi que ce soit. Léopold, conscient du temps que lui faisait perdre l’affaire, voulait une fin rapide et propre, sans effusion de sang ni de paperasse. Denève, dont la grossesse exacerbait l’instinct maternel et qui s’en laissait conter par sa fille, criait vengeance au-delà du raisonnable.

Pendant ce temps, Aline jubilait. Au cœur de ce chaos, il n’était plus question, ni de Yue, ni d’Abelard ; seulement d’elle.

Trop fière de son ascendant pour ne pas en abuser, Aline se mit en tête d’aller narguer leur prisonnier avant d’aller se coucher.

— Vous dormez déjà, Monsieur Sarovv ? remarqua-t-elle d’un air de grande dame mondaine.

Le rouquin sortit de son demi-sommeil en jetant un juron salé de sa langue maternelle.

— Surveillez votre langage, s’offusqua Aline.

— ‘Veut quoi, encore, la princesse ? râla-t-il.

— Vous devriez vous montrer plus aimable. J’ai votre vie entre les mains. Un mot à Maman et j’ai votre tête.

— Hm. T’as même jamais dû voir un décapité, je parie, bailla-t-il.T Tu t'donnes un genre pas vrai ? Un truc pareil te ferais gerber.

— Vous devez vraiment avoir envie de mourir pour me parler sur ce ton, s’offusqua Aline.

— Nan. Mais je sais que t’es pas là pour m’ouvrir la cage alors… J’ai eu plein de sœur tu sais. D’vraies pestes. Toujours prête à aller baver à la mère que je leur tirais les ch’veux ou j’sais pas quoi pour qu’elle me rosse. Si je suis gentil avec toi, tu f’ras rien de gentil pour moi, si ?

Prise de court, Aline resta interdite. Le prisonnier se reblottit dans le creux de ses bras pour y chercher le sommeil, Le jeu finissait déjà, laissant Aline frustrée par cette sorte de défaite.

— Laisse moi dormir et réveille-moi quand papa ou maman viendra me couper la tête, tu veux ?

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