66.3

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Son visage disparut au creux de ses bras et de ses genoux, ne laissant plus voir de lui qu’un amas informe de cheveux emmêlées et de vêtement crasseux. Son aspect miséreux aggravait son insulte. Ce vagabond maigre et sale se permettait encore de lui faire des insolences dans sa position ? Aline aurait voulu lui hurler dessus, lui jeter le premier objet venu à la figure.

— Tu ne manqueras à personne ! cracha-t-elle en tournant les talons.

Une exclamation de surprise lui échappa lorsqu’elle se retrouva nez à nez avec le minois renfrogné de Yue.

— Par le ciel ! jura Aline. Arrête de surgir de nulle part comme ça !

— Je suis passée par la porte que t’as laissée ouverte, répliqua Yue. J'ai pas essayé de te faire peur. Qu’est-ce que tu fais ici ?

— Je te retourne la question. Tu n’es pas censée être là non plus. L’heure de ton couvre-feu est passée, je le sais. Tu seras battue si beau-papa apprend que tu n’es pas dans ta chambre.

Yue leva les yeux au ciel.

— Si ça te fait plaisir de le croire. Va le dire à monsieur le baron et à ta mère, vois qui de nous deux aura des problèmes.

En renfort d’argument, son fabuleux passa la porte à son tour, chargé d’un plateau de nourriture qu’il avait dut recevoir ordre d’apporte. Il se rangea derrière sa mestresse, ombre immense qui les toisait l’une comme l’autre de haut.

— Amuses-toi à jouer les servantes, jeta Aline qui ne pouvait se retirer sans réclamer le dernier mot.

Son départ fit pousser un soupir nasal à Yue et sourire Jarolt à travers sa somnolence. Il releva la tête au bruit du plateau métallique posé au sol. En face de lui, le visage poupin d’une petite fille ouvrait des yeux dépareillés sous de longs de cils blancs. Aussi blanc que ceux de Sanaeni. Immanquablement, elle aussi sentait la lune, odeur sucrée, contrebalancé par une autre d’agrume et de mente. Un vrai biscuit, tout poudré, bizarrement lumineux.

— Bonsoir. Tu dois avoir soif.

À travers les barreaux, elle lui tendit un verre d’eau avec la même sollicitude prudente que si elle avait offert une tasse de lait à un chaton blessée. En la recevant, Jarolt songea que toute les fabuleuses du monde devait lui trouver l’air un peu pitoyable.

— Bonsoir, bredouilla-t-il. T’es… Une fée ou un truc du genre ?

— Non. Je suis humaine. J’ai juste l’air un peu fabuleux.

Ce pouvait être vrai. Jarolt n’en cru pas un mot pour autant.

— Bard a dû te parler de moi tout à l’heure. Je suis Yue, sa mestresse.

— Tu… vous, vous êtes une mestresse ?

Yue opina et Jarolt en vint à se demander s’il ne rêvait pas.

— Je suis aussi celle de Io Ruh. Bard m’a dit que tu cherchais à la voir.

— Ah, euh… oui.

La gamine lui fit passer le reste de sa ration, toujours l’air de s’occuper d’un animal errant et en lui expliquant pourquoi il ne pouvait pas les faire se rencontrer. Premièrement, une mauvaise fièvre clouait la concernée au lit. Ensuite, Yue ne tenait pas particulier à exposer sa servante à une personne entrée par effraction chez eux. Pour finir, quand bien même sa démarche aurait été plus protocolaire, ses efforts auraient été vains, Jarolt ne remplissant pas les critères requis pour prétendre à une relation quelconque avec elle.

Yue ne donna aucune sorte de précision sur lesdits critères. Jarolt la soupçonna de ne pas bien les connaitre non plus et de se contenter de répéter les phrases d’un autre qui lui aurait parlé à demi-mot. Au reste, Jarolt s’en fichait. Io Ruh, de son prénom, ne l’intéressait pas au-delà de ce qu’elle aurait pu lui apprendre pour le compte de Sanaeni.

En mâchouillant son pain imbibé de soupe chaude, il se demanda si ces informations qu’elles lui donnaient impliquaient que son mensonge avait pris sur elle. À son âge, elle pouvait bien être assez naïve pour se laisser berner.

— J’ai une question. Est-ce que tu es entrée dans la chambre de ma servante ou dans la mienne ?

Jarolt secoua la tête en finissant d’avaler une bouché trop grosse, puis assura de vive voix qu’il n’avait rien fait de tel une fois capable de parler.

— Tu es sûr ?

— Oui ! Je suis entré nulle part, j’vous jure.

— Alors je te crois, décida Yue.

La soudaineté de sa résolution laissa penser à Jarolt qu’elle le raillait. Pourtant, elle tira sur une chaîne à son cou, extirpant une clef en pendentif du col de sa robe de sa blouse de petite fille ; une clef minuscule. Il crut halluciner lorsque qu’elle inséra le bijou dans la fente grossière du verrou de la cage et que le mécanisme cliqueta.

La stupeur le maintint immobile lorsque qu’elle le libéra de ses chaines.

— Sors de là, t’es libre.

— Pardon ?

— Si tu te dépêche pas, je vais changer d’avis.

— Mais… Le… Ton fabuleux m’a dit que…

— Je me fiche de ce qu’il t’a dit ou de ce que t’as compris. Moi, je te dis de rentrer chez toi.

Méfiant, Jarolt approcha du bord de la cage sans oser en sortir.

— Tu me jures que tout ira bien pour moi si je m’en vais ?

— Je jure que si tu n’as rien à te reprocher, aucun mal ne te sera fait, reformula Yue.

On eut dit des mots empruntés à un autre, ou à d’autres circonstances. Loin d’avoir l’embarras du choix, cependant, Jarolt s’en satisfit. Il salua bas en gage de reconnaissance, puis traina sa prothèse et sa jambe engourdie vers la sortie du bâtiment.

— Il va pas très vite, remarqua Yue une fois seule avec Bard. Tu peux lui laisser combien de temps d’avance, tu crois ?

— Cinq à dix minutes seraient confortables.

— Va pour dix. Ça me laisse le temps de me changer.

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